Joseph Schiano di Lombo, entretien avec un feu follet
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Auteur·ice : Paul Mougeot
08/11/2021

Joseph Schiano di Lombo, entretien avec un feu follet

Il s’est installé sans bruit au sein d’un paysage musical qui ne jure que par les étiquettes et pourtant, Joseph Schiano di Lombo s’est donné toutes les peines du monde à les rejeter une à une. Tout à la fois musicien, plasticien, dessinateur et écrivain, le jeune artiste qu’on a rencontré dans le cadre du MaMA Festival ne s’embarrasse pas de qualificatifs pour pouvoir se consacrer pleinement à son art. Entretien avec un feu follet, insaisissable par nature autant que par principe.

La Vague Parallèle : Hello Joseph, comment vas-tu ?

Joseph Schiano di Lombo : Aller mieux serait difficile ! Je reviens de Belgique où j’étais en résidence et je suis très heureux d’être ici pour le MaMA Festival donc tout va bien.

LVP : Cette année, tu as sorti cette année ton premier album, Musique de niche, qui a été conçu dans un contexte forcément particulier et qui dégage pourtant une immense sérénité et beaucoup de poésie. Comment es-tu parvenu à te défaire de l’agitation du monde pour créer une musique aussi douce et positive ?

JS : Déjà, je te remercie pour ces mots ! C’était une réaction naturelle, à vrai dire. Ça a compensé automatiquement ce qui se passait dans le monde extérieur. Disons que l’hostilité environnante m’a poussé à  me concentrer sur les choses telles que je les aime, c’est-à-dire douces, positives, sans tomber dans un optimisme béat pour autant.

En même temps, quand j’ai fait Caresses (Always Too Short) en septembre dernier, je me suis dit que c’était trop niais et que je ne pouvais pas envoyer ça à Cracki Records. Pourtant, ils m’ont dit que c’était même leur préférée. Donc je me suis laissé porter, sans faire de plans. Je donnais aussi des sortes de concerts depuis ma chambre pendant le confinement, ça s’appelait Musique de chambre depuis ma chambre, c’était de la musique très douce, c’était une réaction naturelle de défense on va dire (rires).

LVP : J’ai lu de très belles comparaisons sur ce que ta musique pouvait évoquer à celles et ceux qui l’écoutent et c’est souvent son côté cinématographique qui revient en tête. Par certains aspects, ta musique me rappelle également certaines musiques de jeux vidéo : When Friend Leaves Home me fait penser à la musique du niveau aquatique de Super Mario 64, par exemple. Il se trouve que le jeu vidéo est également une discipline très poétique, très libre, ce qui est une dimension importante de ta musique. Est-ce que c’est quelque chose qui t’inspire ?

JS : Honnêtement, je ne joue jamais aux jeux vidéos, je connais très mal ce domaine. Je crois que j’ai juste joué à Rayman 2: The Great Escape sur la PlayStation et c’est mon père qui a fini par le terminer à ma place. Il a même banalisé plusieurs week-ends pour finir le jeu, il balançait sa manette à travers la pièce tellement il était à cran (rires) !

Personnellement, je ne joue pas aux jeux vidéos parce que ça me tend pas mal, mais je trouve que la musique des jeux est intéressante. J’ai des amis qui travaillent là-dessus, d’ailleurs. Pour ma part, j’ai plutôt été inspiré par des bandes-originales de films, mais je crois que les inspirations ne sont jamais vraiment très conscientes de toute façon. Ça vient plutôt naturellement : quand j’entends une musique, elle a tendance à me revenir à travers le geste de l’improvisation et je la fixe ensuite en travaillant dessus.

LVP : Ce premier album sonnait vraiment comme un exercice de style, comme un concept-disque à la place forcément particulière. Comment est-ce que tu imagines la suite ?

JS : Les exercices de style, c’est un peu ma passion. S’attaquer au style, c’est s’attaquer à l’enveloppe des choses. On pourrait penser que l’enveloppe est superficielle, mais c’est un sujet tellement étendu qu’il en devient hyper profond.

Quant à la place de Musique de niche dans le reste de ma discographie, c’est compliqué de répondre pour le moment parce que je ne sais pas du tout de quoi sera faite la suite. Les choses qui arrivent sont vraiment très différentes, mais en même temps, elles auront forcément un lien avec ce disque.

 

LVP : Justement, en passant ton œuvre au crible, on a le sentiment qu’autant tu adores explorer différentes disciplines artistiques, autant tu esquives les étiquettes auxquelles elles peuvent correspondre. Comment est-ce que tu te définirais aujourd’hui ?

JS : Je me décrirais comme un esquiveur, du coup (rires) ! C’est à la fois se définir et refuser de le faire parce que se définir n’est pas le plus intéressant. Ça a un intérêt évident pour vendre un projet ou pour devenir quelqu’un aux yeux des autres. Mais au fond, devenir un esquiveur, est-ce que ce n’est pas aussi intéressant ?

À ma modeste mesure, j’ai déjà reçu des messages d’étudiants en art qui me disaient qu’ils trouvaient ça rassurant de voir quelqu’un qui fait ça d’une manière un peu plus visible. Je pense qu’on a toutes et tous plein d’envies, plein de talents. Faire m’intéresse plus que d’être, je crois. Je préfère faire quelque chose plutôt que d’avoir à le définir.

LVP : Est-ce qu’il reste encore des disciplines artistiques que tu rêverais d’explorer ?

JS : Récemment, quand j’étais en résidence à Bruxelles, un ami qui fait des tapis m’a proposé de faire un tapis et c’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé. Il y a une étape de ce processus qui m’a intéressé en particulier, et j’aimerais bien l’utiliser pour en faire des choses, notamment pour une exposition qu’on m’a proposé de faire.

Tout compte fait, je ne suis pas non plus illimité dans les possibilités que j’explore. Ma manière de dessiner est fixée, d’une certaine manière. Je développe une chose mais je picore beaucoup. C’est à la fois très superficiel et un approfondissement perpétuel.

LVP : Au printemps, tu as également sorti ton premier roman, L’oxymore. Comment s’est passée cette sortie ? Quelle place est-ce que ça prend dans ton œuvre ? 

JS : C’était un projet à deux têtes, mené avec Fanette Mellier qui est une grande graphiste qui me l’a commandé. Ça faisait longtemps qu’elle m’en parlait. J’ai mis un an, un an et demi à écrire, avec beaucoup d’interruptions.

Les sorties du livre et du disque étaient assez proches donc c’est tout de même Musique de niche qui l’a emporté. Même mes amis me disent : “ah mais t’as sorti un livre ?” parce que l’algorithme valorise surtout une certaine facette de mon travail, la musique en l’occurrence. C’était aussi quelque chose de différent en termes de réception, c’est un travail plus long…

Le 18 novembre, on va faire un live à la Maison de la Poésie pour présenter le livre et c’est une autre façon de parler du texte, de le faire vivre, de le faire connaître. La musique, c’est quelque chose de plus immédiat.

LVP : Est-ce que c’est d’autant plus important pour toi d’avoir cette activité d’écriture qu’il n’y a pas de texte dans ta musique ? Est-ce que c’est une manière de restaurer l’équilibre entre les deux ?

JS : Peut-être ! J’ai essayé d’écrire des paroles de chansons et je trouve que c’est un art difficile. C’est d’autant plus difficile que je ne chante pas.

Je crois aussi que le texte est musical en lui-même, les mots ont des sonorités, peuvent interagir… Mon livre tient d’ailleurs plus de la poésie que du roman, parce que c’est un polar sans histoire, sans meurtrier, sans personnages. C’est un peu pour moquer cet esprit très XIXe siècle du triomphe de la raison, cette vision de l’Homme et de sa raison surpuissante qui viennent à bout de tout… Ça ne m’intéresse pas trop.

LVP : Ce qui est intéressant dans ton travail, c’est précisément qu’il mêle des références classiques et d’autres beaucoup plus contemporaines, sans aucun mépris de classe, sans élitisme ni snobisme. Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, c’est ce snobisme qui sclérose la créativité dans la musique et dans l’art en général ?

JS : Ce qui nuit à la créativité, c’est de savoir ce qu’on fait. Dans ce milieu comme dans beaucoup d’autres, il y a des gens qui savent ce qu’ils font, qui s’inscrivent consciemment dans une certaine démarche. Ils le font parce qu’ils ont tels éléments de comparaison… Il y a une vraie volonté derrière tout ça et je trouve que ça dénature les choses.

Personnellement, je suis presque surpris de devenir musicien alors que je fais de la musique depuis que je suis tout petit. J’ai juste lâché ces morceaux de musique pour chien, en me disant “oh, ils sont là”. Évidemment, je connaissais la musique pour plantes de Mort Gartson, c’était une inspiration, mais j’essaye de rester spontané, de conserver une part d’improvisation. Sinon, ça m’ennuie. Par exemple, j’ai accepté de faire un polar pour mieux m’en détacher, pour faire de la contrainte quelque chose d’inattendu.

 

LVP : Il y a une grande poésie qui se dégage de ta musique et justement, tu te produis souvent dans des lieux atypiques, qui dégagent quelque chose de romantique par leur histoire ou par leur architecture comme la Gaîté Lyrique, les Arènes de Montmartre ou encore la ZUT de la Villette. Comment est-ce que tu choisis les lieux où tu te produis ? 

JS : C’est totalement involontaire ! Je ne suis pas encore à un stade où je peux vraiment choisir les lieux dans lesquels je joue.

Cela dit, c’est essentiel de bien choisir les lieux, le visuel est très important. On va s’habiller différemment en fonction du lieu, par exemple. J’essaye toujours d’imaginer ce que ça peut rendre. La première chose que je fais quand j’arrive dans une salle, c’est de parler à la personne qui s’occupe de la lumière parce que je ne veux surtout pas de rose pétant ou de vert (rires).

LVP : Est-ce qu’il y a un lieu en particulier où tu rêverais de jouer ta musique ?

JS : J’ai toujours eu envie de jouer à l’église Saint-Merry, je suis allé y voir jouer Mica Levy jouée par Eliza McCarthy, c’était fou. Un piano là-dedans, c’est dingue !

J’apprécie beaucoup les lieux sacrés parce que j’aime le côté cérémoniel et la qualité de son qu’on y trouve. J’aime les lieux atypiques, en fait. J’aimerais bien jouer sur une barque au milieu d’un lac par exemple !

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux partager avec nous une découverte musicale récente ?

JS : Récemment, je suis allé au salon Art on Paper à Bruxelles. Ils y présentaient le travail d’une jeune artiste qui s’appelle Carole Ebtinger, son travail m’a énormément touché. Je l’ai immédiatement contactée pour lui dire que j’avais envie de mettre ses dessins en musique !


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