Il y a des voyages desquels on ne revient pas tout à fait les mêmes. Celui que vous propose l’autrice-compostricie-interprète Laryssa Kim fait partie de ceux-là. Formée à la composition acousmatique au Conservatoire Royal de Mons, l’Italo-Congolaise puise dans une riche et étonnante artillerie variant du reggae à la musique concrète pour donner vie à ses rêves, le tout accompagnée des musicien·nes Nicola Lancerotti, Camille-Alban Spreng et Théo Lanau. Le résultat s’intitule Laryssa Kim’s Oneironauts et sera à découvrir le 17 septembre prochain aux Nuits du Botanique pour une représentation unique et immanquable, en première partie du mythique Sébastien Tellier. On l’a rencontrée plus tôt cet été pour discuter de ce projet hors du commun, de ses inspirations et de ses projets à venir.
La Vague Parallèle : Après avoir passé autant de temps dans la solitude des studios, ça fait quoi de retrouver un vrai public en chair et en os ?
Laryssa Kim : C’est très fort. On passe beaucoup de temps à produire seul·es lorsque l’on crée notre musique. Et le moment de la vérité, c’est celui du partage. La vérité, c’est lorsque je peux montrer aux gens ce sur quoi j’ai travaillé.
LVP : Ton registre est assez large et varié, et la musique de tes débuts est aux antipodes de ce que tu proposes aujourd’hui. Comment expliquer ce grand écart ?
LK : La forme actuelle de mon projet est assez récente. À mes débuts, quand je vivais encore à Rome, j’ai surtout fait du reggae et j’écrivais des morceaux à partir d’instrumentals riddim. C’était totalement différent. Après cela, j’ai continué d’exploiter mon registre reggae à Amsterdam mais je me suis vite découverte un attrait pour le théâtre et la danse contemporaine. De là, je me suis familiarisée avec une musique plus improvisée, plus expérimentale. Et grâce à cette découverte, j’ai pu utiliser ma voix différemment : elle était devenue un instrument. Je l’utilisais comme une matière que je pouvais distordre et synchroniser à la danse.
LVP : Tu dirais donc que la musique que tu fais aujourd’hui te rend plus libre que celle de tes débuts ?
LK : Aujourd’hui, je me retrouve entre ces deux phases de ma vie : entre la structure que m’avait inculquée le reggae et l’improvisation de ma formation en école de danse et de théâtre. Mes morceaux gardent une certaine structure musicale sur laquelle je chante, mais j’utilise tout de même ma voix comme un instrument avec lequel je peux expérimenter des choses qui s’éloignent du cadre traditionnel de la musique pop. Donc je suis libre, oui. Mais la liberté totale c’était celle que j’avais découverte à Amsterdam, en tant que danseuse. Là, mon art était uniquement articulé autour de l’improvisation, sans structure quelconque.
LVP : Comment appliques-tu cette notion d’improvisation à tes nouvelles compositions ?
LK : Je fais de l’impro quand je veux créer quelque chose. Ca me donne de la matière à partir de laquelle je fais des choix, je sculpte et je façonne. Sur le projet actuel que je vais présenter aux Nuits Bota, avec les musicien·nes qui m’accompagnent, on a glissé des petits moments d’improvisation. On essaie de maintenir cette relation à l’improvisation car c’est très intense.
LVP : Ton parcours a notamment été chamboulé par ta formation académique à la composition acousmatique. Comment guide-t-elle tes morceaux aujourd’hui ?
LK : L’acousmatique est une branche de la musique électro-acoustique. Avant, on parlait surtout de « musique concrète » en opposition à la « musique abstraite ». La musique abstraite, c’est le registre qui regroupe la pop ou le classique et dans lequel tu vas écrire et produire une musique à partir de certains codes qui régissent la discipline musicale, en l’occurrence les notes et les mélodies. En musique concrète, si tu n’as pas la matière première, c’est à dire les sons, tu ne peux pas écrire. Je dirais donc que l’acoustique impose une attitude plastique envers les sons, car tel un sculpteur, on doit prendre des sonorités à partir desquelles on crée un code unique à l’origine d’un morceau.
LVP : Tu as d’ailleurs synthétisé ton approche de la musique concrète dans un premier EP paru en 2019 et intitulé Love Em’ All. Sur la pochette du projet, tu arbores un symbole fort. Quelle est son histoire ?
LK : Je suis passionnée par toute une série de disciplines : astrologie, ésotérisme, spiritualité, alchimie. Et aussi les rêves, beaucoup. J’avais envie que tous ces centres d’intérêt se retrouvent sur la cover de mon projet. Le symbole en question, c’est le papa d’un ami à moi qui l’a réalisé. Je lui ai simplement partagé plusieurs symboles alchimiques qui me parlaient et il a décidé d’en fusionner deux : celui de la femme et celui de la lune.
LVP : Un autre trait marquant de ce projet, c’est la présence de plusieurs langues en si peu de morceaux. Pourquoi était-ce important pour toi d’inclure l’italien, le français et l’anglais ?
LK : Car c’est moi : chaque jour, j’utilise au moins quatre langues différentes. J’ai vécu dans différents pays, j’ai intégré différentes cultures. La communication, pour moi, c’est essentiel. J’aimerais pouvoir parler à un maximum de personne, et cette connaissance des langues me le permet. Parfois, c’est vraiment mystérieux car mon inspiration ne dépend pas de la langue : je peux être inspirée dans n’importe quelle langue, à propos de n’importe quel sujet.
LVP : Pour le morceau Tōhjvo, par contre, on n’a pas réussi à mettre le doigt sur la langue utilisée.
LK : Ce n’est pas une langue, en réalité. (rires) J’ai écrit ce morceau comme cela, car c’est de cette façon que le morceau m’est apparu dans la tête. Je m’exprimais davantage avec des sons qu’avec des mots. Mais, après l’avoir composé, j’ai une amie finlandaise qui m’a fait remarqué qu’il existait un mot quasi identique en finlandais qui signifiait « espoir ». Et j’ai trouvé ça incroyable.
LVP : Durant le confinement de l’été 2020, tu t’es produite au Botanique dans le cadre des livestreams de fin de résidence organisés par la mythique salle de concert bruxelloise. Ta performance incluait une prestation de la danseuse Rébecca Louis. Pourquoi avoir mêlé les deux disciplines ?
LK : C’est un peu un hommage à mon vécu : j’ai beaucoup pratiqué la danse et le théâtre, et dans ma formation je me suis beaucoup posé la question de l’effet qu’ils pouvaient avoir l’un sur l’autre. Qui influence qui ? J’ai fait pas mal de compositions musicales pour des pièces de théâtre, et je me suis rendue compte que le rôle de la musique était toujours d’illustrer quelque chose. Et le problème, avec la musique acousmatique, c’est qu’on perd un peu cette notion d’illustration tellement le procédé est radical. C’est pour cela que j’ai décidé d’intégrer une performance corporelle de Rebecca, pour intégrer un côté visuel à la dimension purement sonore de ma musique.
LVP : En parlant de cette création spécialement pensée pour les Nuits du Botanique, que signifie “Oneironauts” ?
LK : Littéralement, j’ai mélangé les mots « oneiro » qui se réfère aux rêves, et « nauta » qui fait référence au voyage. Donc les oneironauts, ce sont les personnes qui voyagent dans les rêves. Comme je l’ai dit, j’ai beaucoup d’intérêt pour les notions astrales et les rêves lucides. La thématique du rêve est toujours présente dans ma vie, donc c’était logique d’inclure ces thèmes-là dans cette création unique.
LVP : Comment avez-vous transposé le monde des rêves en musique ? À quoi s’attendre pour cette performance ?
LK : Par rapport à mon solo, ce sont des énergies complètement différentes. Même au niveau de l’esthétique, si on retrouve ma voix et mes textes, la présence de ces trois musicien·nes apporte une certaine synergie intéressante car chacun·e vient d’un univers totalement différent. On a défini cette création comme quelque chose de schizophrénique, car le projet est ponctué de changements soudains, sans transition. Cela peut se révéler très surprenant, et il faudra s’accrocher pour faire partie du voyage et nous suivre dans tous ces rêves qu’on a retranscrits en musique.
Billetterie et plus d’informations : https://botanique.be/fr/concert/laryssa-kims-oneironauts-2021
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.