C’est avec ce don particulier de plonger ses auditeur·ices dans un trouble nouveau à chaque sortie, tout en restant cohérent avec son univers si unique, que Listening Center nous dépeint une énième fois son imaginaire. Regards (et oreilles) sur un magicien de l’électro et ses synthés.
Comme le nouveau tome d’une saga, le dernier album de Listening Center, Sight And Scene, vient enrichir un récit déjà bien ancré. Mais si on croit l’avoir comprise au fil des sorties, sa musique relève toujours de l’énigme. Alors on se concentre un peu et on tente de comprendre ce qu’elle nous raconte. Car, au-delà des mélodies, il y a ces choses qu’on n’entend pas mais qui sont pourtant bien là. Et à travers ce brouillard bizarre, on finit par percevoir des mondes.
Listening Center, c’est le projet du musicien et ingénieur du son irlandais, David K. Mason. Lancé en 2011, il s’inspire des Radio Workshops de la BBC qui jouent un rôle majeur dans l’avancée technologique musicale des années 50. Ayant pour but premier de créer des génériques pour les programmes radio et télé, ces ateliers deviennent rapidement un lieu d’expérimentation autour des nouveaux instruments électroniques.
On retrouve d’ailleurs cette fascination pour les sons du futur dans le tout premier album de l’artiste, Example One, avec des choix de titres comme A State of Tomorrow ou New Narratives. S’en suit, un an plus tard, un single composé en collaboration avec PYE Corner Audio, produit par Ghost Box Records pour leur Study Series. Le label, dont le compositeur Belbury Poly (Jim Jupp) est à la tête, est une figure de cette musique britannique électro expérimentale un peu étrange.
Les machines sont lancées. Les synthétiseurs se livrent au fil des albums pour mettre au jour un catalogue mélodique sans fin. Partant d’une même histoire, les propositions s’enchaînent comme pour tenter de se clarifier toujours plus, raconter encore mieux. Et les airs s’inscrivent dans nos esprits par leur simplicité déconcertante, prouvant le génie musical de Listening Center. C’est comme si ces musiques avaient toujours existé, comme si on les connaissait avant même de les découvrir. Car, d’une justesse déstabilisante, elles sont presque logiques, évidentes. On pense à Meridian, Edifice, Solaroid, Echo Location ou à tout l’album Cybernetic Window. Ces notes liquides tombent comme des larmes, nostalgie d’un monde où l’électronique n’était encore qu’émergent.
Dans Sight And Scene, on s’éloigne de cette recherche mélodique. En effet, l’artiste se laisse guider par une musique parfois improvisée et plus sérielle comme dans Transference One. On passe d’une musique ambient/downtempo, style Boards Of Canada avec The Death Of Group D Meter, au cœur de ses influences Krautrock (rock électro expérimental allemand des années 70) avec des titres plus stimulants comme Capture Errors et Visitor Information. Et dans les notes rebondissantes de Answering Service, qui font penser à un plic-ploc continu de gouttes de pluie, ou celles de Wired Backwards qui renvoient à des reflets mouvants, il y a quelque chose de presque biotopique. Un paysage trop parfait dont Off Ramp, qui donne des airs de musique de dessin animé, trace bien les contours.
Sous ses airs calmes, l’album n’est pas forcément apaisant. Sans trop savoir comment on s’y sent, on finit par trouver quelque chose de dérangeant. Il y a une ambiance de rêve étrange ou de souvenir qui n’existe pas, une fausse nostalgie. Un sentiment général de trop beau pour être vrai s’émane de cette suite musicale, nous mettant en garde sur un truc qui cloche. C’est ce côté un peu enfantin, trop facile, qui donne l’impression que la vie n’est qu’un jeu. Tout devient faux autour de nous et, si ça peut paraître rassurant en moment de crise, l’idée devient vite angoissante. Le morceau Transport Dilemma illustre parfaitement ce sentiment. Et sans vraiment savoir si on est fasciné⸱es ou perturbé⸱es, on rejoue l’album une fois de plus pour tenter de percer ses mystères.
Je dois mon cardio à la techno et ma bonne humeur à mes écouteurs. Un esprit sain dans un corps sain quoi.