Le premier album de girl in red est la crise d’adulescence de la Gen Z version Euphoria
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
04/05/2021

Le premier album de girl in red est la crise d’adulescence de la Gen Z version Euphoria

| Photo : Jonathan Vivaas Kise

Après deux premiers EPs gorgés d’un rock lo-fi délicieusement crasseux, girl in red nous présente if I could make it go quiet, un premier long format aux accents plus pop et accessibles. L’occasion pour elle de donner de l’ampleur aux tribulations adulescentes qui nous forgent à jamais. 

“Do you listen to girl in red?” Si vous n’êtes pas assez cools pour avoir la référence, la voici : en trois ans seulement, Marie Ulven (de son vrai nom) est devenue la poétesse lo-fi queer dont le monde avait besoin. Une Sappho des temps modernes. En versifiant l’amour lesbien sur la scène bedroom pop avec des titres tels que girls ou i wanna be your girlfriend, c’est tout un langage qu’elle a offert à la jeunesse LGBTQI+. L’écouter, c’est intégrer une ligue secrète et émancipatrice, au sein de laquelle chacun·e exprime ses vérités. Ses concerts en témoignent, la communauté de girl in red est une effervescente et éclatante fédération aux couleurs de l’arc-en-ciel.

Mais doit-on la réduire à ce statut de porte-drapeau ? Certainement pas. Au-delà de la hype, la chanteuse norvégienne regorge d’une musicalité remarquable et d’une plume habile et décomplexée. Un atout lui permettant notamment d’aborder le sujet sensible de la santé mentale de front, tout en arborant un ton lymphatique fascinant. Une faculté propre à la Gen Z, qui a su réattribuer aux questions d’estime de soi, de rapports aux autres et de détresse psychologique une place centrale dans les espaces de discussion.

 

Le mélodrame “euphorien”

À l’image de la série à succès Euphoria du réalisateur Sam Levinson, Marie Ulven dédie une œuvre complète à l’effusion émotionnelle juvénile. Le tout sans jamais devoir en rajouter. Les mélodrames sentimentaux d’une jeunesse en mal d’amour, en carence de sérotonine et en quête de plaisirs. C’est d’ailleurs de la protagoniste principale du show, Rue, qu’un des morceaux tire son nom. Un titre qui prouve le songwriting aiguisé d’Ulven. Elle aborde ici les démons qui l’habitent avec, sur le bridge frénétique, une perspective de guérison lorsque se répètent de galvanisants “I’ll make it work”.

Une atmosphère grave aux antipodes de l’effervescence enjouée de Serotonin, le titre introductif du disque. Celui-ci nous plonge dans l’hyperactivité impétueuse logée dans la tête de girl in red. Produit en équipe avec l’artiste FINNEAS, on y retrouve la chanteuse sur des terres jusqu’ici inexplorées, comme cette section de rap incongrue – mais plaisante.  Un grand écart qui démontre que girl in red n’a épargné aucun recoin de son être pour cet album. Elle y déverse toutes ses émotions, de la plus brutale (sur le métaphysique Body And Mind) à la plus légère (sur l’anecdotique I’ll Call You Mine).

Been in the deep end since I realized
There is a difference

Between body and mind
If I could make it go quiet
inside
Get some rest for my weary eyes

Une plume incisive et rusée

L’écriture de girl in red s’est toujours démontrée farouche et insolente, et on retrouve sur Did you come? son espièglerie fascinante qui narre ici avec humour le désir charnel. Même chose pour hornylovesickmess, véritable mea culpa libidineux sur lequel elle s’excuse de laisser le passionnel empiéter sur le relationnel. Un morceau qui permet de savourer la finesse du tandem qu’elle forme avec Matias Tellez, producteur remarqué aux côtés de boy pablo, autre pépite bedroom pop made in Norvège. Le duo donne ici vie à une œuvre sonore contribuant activement au storytelling, et qui traduirait le sexuel. Le piano pour la douceur et les percussions pour la bestialité. Notre coup de cœur de la collection.

Mais la romance trouve tout de même sa place sur if I could make it go quiet. Sans pour autant nous vendre du romantisme aseptisé et nauséabond. L’onirique midnight love conte cet amour caché exclusivement nocturne (et toutes les blessures qui l’accompagnent) tandis que l’énigmatique . (simple ponctuation typographique) explore les séquelles d’une rupture, en marquant symboliquement le point d’arrêt d’une relation. Deux morceaux qui se rejoignent non seulement sur leurs thèmes, mais également sur leur univers étonnamment uptempo. Des beats énergiques qui mènent la musique de girl in red vers un ailleurs qui lui va bien.

 

Déluge émotionnel

Sur le conclusif it would feel like thisMarie Ulven s’autorise un temps de respiration. Une œuvre instrumentale, car tout a déjà été dit. Le titre complète en réalité le nom de l’album : if I could make it go quiet, it would feel like this. Ce silence, c’est une enfilade suspendue de piano, épaulée par une section de cordes symphoniques qui rappellent la dimension homérique du périple parcouru. Un silence qui fait suite au déluge émotionnel qui aura débarrassé l’artiste d’un vacarme qu’il lui tardait de cracher en musique.

Si on s’attendait à retrouver le rock à grattes primitif de ses débuts, c’est raté – à l’exception peut-être de l’électrique You Stupid Bitch qui renoue avec sa discographie passée et promet de jolies euphories en live. À la place, on découvre une galette qui replace la curiosité au centre du processus de création. Et ça paie. La musique de if I could make it quiet est franche. Tant au niveau des genres musicaux qu’elle explore qu’au niveau de sa plume incisive, revendicatrice, rusée. Une écriture qui appréhende la banalité de nos jeunesses pour leur offrir la dimension épique qu’elles méritent.


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