Le souffle nouveau de Hyacinthe
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Auteur·ice : Charly Galbin
23/03/2023

Le souffle nouveau de Hyacinthe

« Frérot ça fait 10 piges » que Hyacinthe et sa voix grave plaquée sur des prods inattendues accompagnent nos mélancolies et nos rages intérieures – nuit. Longtemps considéré comme un O.V.N.I dans un game parfois dérouté par son interprétation éclectique du rap, il semble aujourd’hui on ne peut plus en phase avec une époque musicale qui célèbre la déconstruction des genres. Le défi avec la sortie de son nouvel EP c’était pas le bruit du vent c’était juste mon souffle ? En trouver un second, de souffle. Et montrer que parmi les bizarres qui envahissent nos playlists en 2023, il reste une référence. Disons-le tout de suite, avec ou sans ventoline, le défi a été relevé.

Je me souviens de cette époque. Alors que je frôlais la majorité, je tentais de me distinguer de la masse des normies qui m’entouraient dans le lycée de cette ville moyenne de province. Fini le foot, j’allais fumer des joints. Fini La Fouine, j’allais écouter Hyacinthe, LOAS et Krampf. C’est comme ça que Le Milliard Et Une Vie ou Les Lingots passaient régulièrement sur les enceintes de mon salon, en after des soirées technos que je découvrais, alors qu’il est plutôt convenu en pareille situation de jouer des morceaux sans voix à un BPM qui ravit des corps dopés.

 

Mais Hyacinthe et son collectif DFHDGB réussissaient à faire du rap dans des esthétiques visuelles et musicales qui débordaient ses contours habituels. Et ça, ça a plu à toute une génération, celle qui a pris ses premières cuites et subi ses premiers déboires amoureux dans les années 2010, que Hyacinthe a marqué de son empreinte.

10 piges plus tard, j’ai repris le foot et La Fouine, sans arrêter les joints et Hyacinthe, qui vient de dévoiler son neuvième projet solo, c’était pas le bruit du vent c’était juste mon souffle – la veille de la sortie du nouveau projet de Nessbeal, poète émérite du rap français dont Hyahya affectionne la prose. Et dès l’entrée en matière de cet EP, un air doux vient nous ravir, comme une brise printanière qui viendrait se frotter à la tige d’une tulipe pour mieux dessiner sa résistance et l’enraciner durablement dans la terre.

On sourit, cueillis par les petites notes jouées par un synthé programmé par San Juliet et Medbanger sur UPDL. La mort ne met pas longtemps à résonner dans la voix de Hyacinthe qui, très vite néanmoins, accélère son phrasé en même temps que le beat électro, pour conter une confiance en lui-même nouvellement acquise. Alors que les petites notes initiales prennent maintenant des accents rave, Hyahya répète à son “futur lui” comme une prophétie autoréalisatrice : « je vais prendre soin de toi ». À chaque jour suffit sa peine ?

Parfois ça me fait bizarre que je sois encore là
Aujourd’hui c’est la première fois de ma vie que je crois en moi.

Cette renaissance intime se prolonge dans celle d’une direction artistique moderne et hybride, à l’image de cette cover synthétique aux contours aussi poreux qu’explosifs, ambiance hyperpop. L’élixir musical le plus finement distillé de cette nouvelle esthétique se trouve en la présence de Comme si je l’avais fais, où, en compagnie d’AnNie .Adaa, référent de ces expressions rappologiques contemporaines, Hyacinthe confie qu’être en vie, c’est pas si mal. Et on le comprend si c’est pour multiplier les flows sur cette superbe prod de San Juliet, aussi contre-intuitive qu’instinctive, autant chaotique qu’épique. 2023, comme on l’aime.

On retrouve ce même geste artistique, résultat de longues années de démocratisation de la MAO, sur Don’t worry be happy. Et c’est dans le laboratoire de UNICORN WAVES et Herman Shank qu’a cette fois été concocté cette instrumentale aux textures et profondeurs diverses. Nous est offert alors un hymne contemporain sur lequel Hyacinthe reprend définitivement son souffle, après s’être retourné une dernière fois sur un idéalisme adolescent qui l’a longtemps accompagné, pour finalement acter sereinement que ces promesses ne seront rien, afin d’avancer maintenant plus paisiblement. Don’t worry.

Ainsi a-t-on l’impression d’apercevoir le nouvel acte intérieur d’un Hyacinthe plus paisible. Et moins innocent. Mais on n’en est qu’aux prémisses. Car il n’en oublie pas pour autant sa fan base de dépressifs dont je suis, en nous balançant son spleen depuis les ténèbres dans Hivernal, plus inquiétant que le générique d’une émission TV sur des crimes irrésolus, banger idéal pour se suicider. On adore cependant, car de la rage provient son souffle, et de son souffle la poésie dont on ne veut jamais qu’elle meure.

J’ferais comment sans la dalle qui fait lever l’matin comme la fleur dans l’asphalte ?

Avant de fêter ses 10 piges d’improvisation musicale sur un missile techno final montrant à ceux qui ne savaient pas encore qu’il est le meilleur dans ce registre, on retrouve ailleurs un Hyahya fidèle à son éclectisme musical et à son obsession pour l’alcool et les nuits parisiennes.

 

Fauché et sincère, il nous raconte ses aventures comme employé dans un bar de nuit dans Vodka Get et ses sonorités à l’ancienne. On ressent finalement dans tout l’EP cette ambiance transitive entre la nuit et le jour naissant que Hyacinthe transperce avec confiance et le bonheur d’avoir terminé son shift, esquivant les morts et les vivants, contenté, en écrivant dans ses notes, qu’il est à « deux doigts de cé-per ». On lui souffle alors que, sans comprendre que ce n’est pas encore le cas, on le lui souhaite chaudement.

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