LENPARROT : entre pérégrinations nocturnes et création musicale
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Auteur·ice : Joséphine Petit
04/12/2020

LENPARROT : entre pérégrinations nocturnes et création musicale

Quatre disques d’une beauté absolue. C’était là où nous avions arrêté les comptes avec LENPARROT il y a deux ans. Le chiffre s’élève maintenant à cinq. Romain Lallement revient somptueusement sur nos platines avec son projet solo pour le plus grand bonheur de nos petites oreilles. Avec Another Short Album About Love, l’hiver sera doux et mélodieux. De ses références et son entourage, à la création et ses peurs au cœur de cette période si particulière, nous avons pris le temps de recueillir ses mots avec délicatesse.

La Vague Parallèle : Ton nom d’artiste LENPARROT vient d’un clin d’œil à un album de Baxter Dury, Len Parrot’s Memorial Lift, et aujourd’hui, à la découverte du nom de ton nouvel album, Another Short Album About Love, on pense à The Divine Comedy, on a raison ?

LENPARROT : Oui, complètement ! Je suis super friand de clins d’œil, et du fait de les assumer, d’être totalement en accord avec le postulat qui dit que tout a déjà été fait. Donc si tout a déjà été fait, quand on revendique une influence, autant la mettre en avant. Je trouve que c’est faire honneur à des artistes ou des albums qui ont été importants, qui ont été une source d’influence conséquente. Et puis, d’un point de vue plus musicologique, c’est presque une forme d’humilité. C’est assumer cela pour mieux s’en détacher. Concernant ces deux références, c’est plus les albums qui sont cités et revendiqués, plutôt que les artistes eux-mêmes. Dans la carrière de Baxter Dury, c’est vraiment ce disque-là, Len Parrot’s Memorial Lift, qui fait office de chef d’œuvre absolu pour moi. Je m’en sens hyper proche, même si je ne l’écoute pas tous les quatre matins, parce que je trouve que la période est déjà suffisamment mélancolique pour en rajouter une couche (rires). Ça reste un disque que je trouve formidable. The Divine Comedy, c’est un groupe qui a plus de vingt ans de vécu et beaucoup d’albums au compteur, c’est presque un peu flippant. Je connais très mal leur carrière mais je suis tombé sur A Short Album About Love grâce à ce site grandiose qui s’appelle Rate Your Music, une sorte de data base incroyable et hyper bien référencée, que je ponce depuis que j’ai quinze ans. J’ai trouvé la pochette sublime et le titre magnifique. Je n’ai pas encore pris le temps d’aller explorer de façon plus vaste leur discographie, mais ce disque-là, je le connais par cœur, c’est pour cela que j’aimais bien le clin d’œil.

 

LVP : Pour enregistrer ton premier album, And Then He, tu t’étais entouré d’artistes tels que Julien Gasc à la production, ou encore Yuksek pour le mixage. Peux-tu nous dire quel a été ton entourage pour ce nouvel album ?

LENPARROT : Oui bien sûr. Il y avait beaucoup de monde sur l’enregistrement de mon premier album, et je pense qu’en certains points ça m’a dépassé. Ce n’était pas simplement du namedropping, j’avais un besoin maladif d’être en confiance et rassuré d’être entouré par des personnes que j’aime et que j’admire. Mais c’était une sorte de présence absente, car j’avais une nécessité absolue de tout verrouiller, et les espaces de liberté de chacun étaient très restreints. Je ne souhaitais pas reproduire les mêmes erreurs sur le nouvel album. De façon à bien clarifier la hiérarchie de chacun, je me suis dit que c’était plus envisageable en étant moins, et avec des personnes avec qui je travaillais depuis longtemps. Donc pour le nouvel album, je me suis entouré d’Antonin Pierre et Raphaël d’Hervez qui sont deux de mes meilleurs amis. Antonin était à la guitare sur les dernières années de Rhum For Pauline (un groupe dont Romain faisait partie avant, ndrl), et je connais Raphaël depuis mes dix-huit ans. Il a fondé avec Quentin Gauvin le label Futur, sur lequel il a enregistré tous nos albums avec Rhum For Pauline. Avec le groupe, on a aussi été ses musiciens lors du premier album de Pégase. On a tourné ensemble plus de trois ans, donc on se connaît très bien. Peu de temps après la sortie de And Then He, il m’a témoigné son envie de travailler ensemble et de produire un nouvel album. J’ai gardé ça en tête, puis j’ai été en tournée pendant longtemps, et pour plein de raisons, ça m’a paru ensuite comme une évidence. Défendre ce premier album seul sur scène pendant près de deux ans, ça a été les montagnes russes, psychologiquement, moralement et émotionnellement. Je suis sorti lessivé de ce moment-là. En prenant aussi conscience de la manière dont la confection de l’album avait pu être éreintante, il m’a paru judicieux de revenir en terre amicale avec juste un trio pour œuvrer sur ce nouveau disque. En fait, Raphaël et Antonin sont deux personnes qui n’avaient encore jamais travaillé sur la partie enregistrement de mes chansons, mais qui n’ont jamais été très loin. L’enregistrement, c’était super, on était au studio de Raphaël, en bord de mer, pas très loin de Nantes, et ça s’est fait sur un an. On a commencé en août 2018, jusqu’en novembre 2019. Au début, je suis arrivé avec onze titres, et on en a gardé quatre. Le reste a été écrit comme en réaction à chaque session, qui esquissait peu à peu la trajectoire de l’album. C’est à l’inverse de la manière dont j’avais fait le premier album. De l’avoir écrit sur le long terme, ça m’a finalement permis d’embrasser cette esthétique apaisée, plus sereine et moins mélancolique, dont j’avais envie. C’est le temps qui m’a aidé à cheminer vers ça, et pouvoir éreinter un peu plus les chansons au fil des mois, et j’ai trouvé ça très agréable.

 

LVP : En parlant d’entourage, sur le disque précédent, on pouvait entendre de nombreux featurings, notamment celui avec le quatuor féminin d’excellence Fishbach, Cléa Vincent, Michelle Blades et Juliette Armanet sur Ur Boat. Ici, il n’y a qu’un seul featuring, avec Sarah Maison. As-tu eu également besoin de resserrer ta musique autour de toi ?

LENPARROT : En fait, j’en ai discuté peu de temps après la sortie de And Then He avec Flora (Fishbach), qui n’avait pas de regrets, reconnaissait que les chœurs étaient dingues, mais que ça pouvait peut-être aussi desservir qu’il y ait autant d’invités sur un même titre. Est-ce qu’en les disséminant, en leur laissant plus de place, il n’y aurait pas eu la réelle possibilité d’un dialogue ? J’étais tout à fait d’accord avec elle. Finalement elles sont presque un peu effacées dans une sorte de chorale. Ça renvoie au fait que j’étais tellement dans la peur que les choses m’échappent que j’essayais de tout cadrer. Le featuring s’était fait en une heure, et il n’y avait pas vraiment eu de marge de manœuvre entre les chœurs que j’avais écrits et ce qu’elles avaient pu enregistrer. C’est la raison pour laquelle j’étais attaché à ce qu’il n’y ait qu’un seul featuring et que ce soit une réelle rencontre sur ce deuxième album. Je voulais que la personne soit conviée au sein du disque dans une cohérence d’ensemble, et qu’on puisse vraiment l’entendre. Je suis tellement amoureux de la voix de Sarah que je tenais à ce que ce soit un duo en bonne et due forme. Pour moi, le pari est gagné car Paladines est un des titres que j’aime le plus sur cet album, et c’est parce qu’elle est là, parce qu’il y a une place qui lui est vraiment dédiée.

 

LVP : D’ailleurs, c’est la première fois qu’on t’entend chanter en français dans un disque de LENPARROT, sur Paladines et Quoi, deux titres qui se suivent dans ton album. D’où t’est venue cette envie ?

LENPARROT : Ça m’est venu assez rapidement, dans les prémices de cette aventure en solitaire. Avant même d’avoir sorti un deuxième single, j’avais déjà une proposition des Inrocks de faire une reprise sur une playlist ou mixtape de Noël, et je m’étais amusé à enregistrer une reprise de William Sheller. Je suis né en France, avec des parents qui écoutaient beaucoup de variété française, et j’avais là quelque chose de l’ordre de l’attraction-répulsion. C’est dans mon arrière paysage musical et culturel, c’est relié à l’enfance. J’ai le souvenir de mes grands-parents qui écoutaient énormément Alain Souchon et William Sheller, qui m’ont accompagné depuis que je suis tout petit. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration, et en même temps beaucoup de timidité. De toute manière, j’allais moins vers cette musique-là. Finalement, je me suis ouvert au français en rencontrant et en fréquentant des groupes de la scène française, qui sont devenus mes amis, comme Laure Briard, Julien Gasc, Cléa Vincent, Juliette Armanet, Fishbach, ou encore Thibault (aka Voyou), avec qui je jouais au sein de Rhum For Pauline. Beaucoup de questionnements m’ont accompagné tout du long. Déjà, j’avais peur d’être maladroit. Force est de constater qu’avoir le filtre de la langue anglaise, en étant français, mais en chantant en anglais, et en jouant principalement en France, c’était quand même un peu une manière de jouer au chat et à la souris avec mon public. Ce qui est certain, c’est qu’au début je n’en avais pas envie, puis après j’en avais envie mais je n’osais pas. Je pense qu’un des déclics a été Julien Gasc, car je suis fou amoureux de sa musique, et il m’a beaucoup inspiré. Ma réflexion ensuite, ça a surtout été de faire cohabiter le français et l’anglais au sein d’un même disque. Et pendant longtemps, j’étais trop attaché à des questions de cohérence d’ensemble. Mine de rien, ces choses créent encore des blocages. Mais j’avais envie que ces deux titres soient sur l’album. Peut-être comme un prélude à ce qui pourrait suivre, à un troisième album uniquement en français ? Je ne sais pas, je me pose la question. C’est un peu tôt, puisque je n’ai pas encore suffisamment de chansons pour aborder un troisième album, mais je verrai comment mes morceaux s’égrènent avec le temps. C’est vrai que j’ai quand même une certaine appétence pour le français en ce moment.

 

LVP : À l’écoute du nouvel album, on sent que tu t’éloignes un peu plus des aigus dans ton registre de voix. Ce changement était-il voulu, ou bien est-il venu naturellement ?

LENPARROT : Je crois que c’est venu assez naturellement. Je n’y avais pas trop pensé au départ. Dans les démos que j’avais apportées, il y avait quelques titres qui étaient encore en voix de tête, la plupart qu’on a mises de côté. On était soucieux de faire un disque vraiment cohérent. Le terme “short”, ça va aussi dans le sens de “resserré” : l’idée n’était pas de faire un disque court, mais plutôt resserré et cohérent. C’est comme cela que la place du français a posé question. On s’est dit qu’on tenait trop à ces titres, et qu’il fallait qu’on articule le disque autour pour que les titres y trouvent leur place. On a aussi remisé des choses trop pop, qui faisaient un trop grand écart, et qui étaient encore dans l’esthétique du premier album. On avait envie de cette esthétique un peu jazz et R’n’B, mais au sein de formats chansons. Je me souviens de Part Time Idiot, dont la démo était en voix de tête. On voulait vraiment qu’elle soit sur le disque, mais elle était la seule en voix de tête. Ça la rendait trop à part, donc on l’a transposée, de façon à ce qu’elle soit dans un registre plus grave. Ça va aussi dans l’idée de ne pas se répéter, de sortir de ma zone de confort, d’aller explorer de nouveaux terrains de jeu, et délaisser quelque chose qui était très présent sur les premiers disques, qui me semblait naturel à l’époque, mais qui l’a moins été après. Revenir sur ce timbre un peu plus grave, un peu plus chaud, ça contribue aussi à aller vers quelque chose de plus serein, plus apaisé, et pouvoir épouser des teintes un peu plus mélancoliques, intimes, mais moins fragiles. Finalement, avec ce que j’avais envie de raconter, avoir un timbre plus plein, c’était totalement bienvenu.

 

LVP : Si on sent que fiction et réalité s’entremêlent dans l’album, il y a bien un fil conducteur à tous les morceaux : le thème de l’amour. Est-ce ainsi que tu as réfléchi à l’ensemble des titres à retenir pour l’album ?

LENPARROT : Oui, en fait ce n’est pas vraiment un disque qui traite de l’amour en tant que tel. On est moins dans un registre romantique que peut l’être l’album de The Divine Comedy, par exemple. Il s’agit plus d’aller explorer le sentiment amoureux. Je vois vraiment ce disque comme une pérégrination nocturne de ce personnage, Lenparrot, qui est le même du début à la fin, et qui se remémore ses histoires amoureuses passées et actuelles. Dès Leo, on peut se dire que c’est le début de soirée. Puis, la nuit tombe avec Freddie. Paladines, Quoi, Rumour, Marathon et Palmistry forment un gros bloc au milieu du disque. Pour moi, c’est le milieu de la balade dans la nuit. Berries amène ensuite une pause un peu plus onirique, qui remonte un peu plus loin dans les souvenirs. Il y a quand même du romantisme dans l’écriture et dans l’arc narratif, mais ce n’est pas qu’une seule histoire d’amour tout du long. Ce sont plein d’histoires imagées, rêvées, vécues ou non. Donc, dans ce sentiment amoureux qui parcourt toute la balade nocturne, il y avait des chansons qui n’allaient pas, qui étaient un peu trop sombres, avec trop de rancœur. Je voulais aussi quelque chose de kaléidoscopique, sans trop de redites. Par exemple, Freddie synthétise plusieurs chansons que j’ai pu écrire en amont. Je crois que Dominique A disait qu’il y a des chansonniers qui vont explorer un panel très large dans ce qu’ils abordent, et puis il y a ceux qui vont essayer d’explorer un nombre incalculable de fois la même chanson. Avec ce disque, il y a eu plein d’esquisses d’un même titre jusqu’à ce que ce soit le bon, comme avec Freddie, plein de tentatives, dont a gardé celles qui étaient les plus réussies.

 

 

LVP : La pochette de Another Short Album About Love, ainsi que celles des singles déjà parus tels que Freddie, Paladines, Wrong / Gone, et même le clip de ce dernier morceau : tous sont faits d’illustrations qui suivent la même ligne artistique. Tu peux nous en dire un peu plus ?

LENPARROT : Je travaille avec Anne Chamberland et Grégoire Canus qui forment le duo À Deux Doigts depuis 2014, et ce sont mes partenaires les plus fidèles. Ils sont là depuis les balbutiements de cette histoire. Au fil du temps, nous avons tissé une esthétique et un univers, qui sont arrivés à un point d’orgue, une résolution et un épilogue avec And The He, puis The Boy With The String Quartet. Pendant que je débutais l’écriture du second album, je leur ai dit que je pensais qu’on était arrivés à la fin d’un chapitre. Ils m’avaient accompagné, esthétiquement parlant, dans l’illustration de toute cette histoire, au fil des singles, des pochettes de tous les disques, et notamment celle de Naufrage, qui est une de mes préférées au monde… enfin, de mes disques ! (rires) On avait la certitude de toujours souhaiter collaborer ensemble, mais la nécessité absolue d’aller vers autre chose. Déjà, musicalement parlant, je souhaitais aller explorer d’autres terrains : revenir à une voix de poitrine, aller vers le français, vers quelque chose de plus ouvert, aller aussi revisiter aussi des esthétiques présentes dans les premiers EP, qui avaient été délaissées. Puis, je suis allé à la rencontre de nombreuses références visuelles photographiques et cinématographiques dans l’écriture et dans ce que j’avais envie de raconter au sein de ce disque. Je leur ai demandé d’intégrer tout cela dans l’esthétique de ce nouvel album et des singles aussi. Par exemple, dans ce jeu de balade nocturne, mon personnage, peut être vu de l’intérieur dans certaines chansons, mais à d’autres moments aussi observer lui-même d’autres personnes par la fenêtre. Il y a une multiplicité des perspectives. Ça a été assez déroutant pour eux, parce qu’on était absolument d’accord sur le fait qu’il fallait aller autre part, mais on ne savait pas vers où. Je ne pouvais pas non plus leur demander de ne pas être eux-mêmes. Il y avait une continuité, au même titre que je ne pense pas avoir muté du tout au tout dans l’esthétique musicale de ce deuxième album. Il s’agit juste aller plus loin, et c’est tout le challenge d’une collaboration, d’une amitié qui date et qui est exclusive. C’était écrire un second chapitre ensemble.

 

 

LVP : Tu puises ton inspiration chez différents artistes dans ce nouvel album : on a pu lire les noms de la réalisatrice ukrainienne Maya Deren, celui de l’auteur de bande dessinée Brecht Evens, ou encore du photographe suédois Anders Pertersen. Tous ces artistes ont une chose en commun : le travail de l’image. Ça a quelle importance pour toi dans ton processus créatif ?

LENPARROT : J’ai toujours été très sensible à l’aspect cinématographique, dans cette idée de considérer la plupart de mes chansons comme la bande son d’un film imaginaire, un film que je me raconte, et de se figurer chaque chanson comme une sorte de court métrage. Quand je suis à la recherche d’accords ou de paroles, il s’agit d’essayer de retranscrire le film qui se joue devant moi. Quand je suis au piano, je vois la mélodie comme une protagoniste qui va à la rencontre de différentes choses. Pour moi, la trame narrative existe à partir du moment où on se demande quand est-ce qu’on crée un élément perturbateur, quand est-ce qu’on va à la résolution, et ainsi de suite. Les couleurs des accords imposent presque tacitement les paroles qui vont suivre. C’est un peu de l’ordre d’une écriture de scénario. C’est très souvent comme cela que j’envisage ma façon de composer. D’ailleurs, j’ai eu le privilège par le passé d’écrire la bande originale de certains courts métrages (À l’Aube, de Jordan Amicelle et Mathilde Bossard, ou encore L’Homme Penché de Jacques Lemaire). Et l’exercice n’est en réalité pas du tout le même. Quand j’écris au service de quelqu’un, d’un film, il y a des contraintes. Ici, libre à moi de décider que mon film ne va pas se passer comme cela et que ma chanson va plutôt se dérouler ainsi. J’ai aussi parfois peur d’être dans une citation trop explicite d’une référence, car en règle générale, je suis complètement drogué à la découverte de disques et d’autres artistes, autant actuels que passés. Depuis le premier confinement, je suis dans un tunnel sur la musique brésilienne. Je m’y sens très bien, mais c’est sûr que je vis plus dans les années 1970 que 2020 en ce moment, et c’est presque rassurant je trouve (rires). Ça m’embêterait d’être un peu trop collé à une référence précise. J’en ai déjà tellement, dans une constellation que j’ai tissée avec le temps. Si en plus mes chansons viennent encore se jouer de clins d’œil, même au sein de l’écriture, ce serait trop. Donc, quand je suis en train d’écrire, j’ai un mood board qui va constituer chaque chanson et l’album, et je trouve ça plaisant de créer une synesthésie, d’entendre avec l’image, et voir avec les sons. C’est ainsi que j’ai été très influencé de tous ces artistes que j’avais envie de convoquer dans ce disque.

 

LVP : Après ton premier album, tu as pris le temps d’enregistrer un EP live de tes propres titres réarrangés pour un quatuor à cordes, The Boy With The String Quartet. Si la réécriture t’intéresse toujours, est-ce qu’on peut imaginer la même chose pour ce nouvel album ?

LENPARROT : Alors j’y songeais, puis disons que la situation actuelle provoque d’autres choses. Il n’est pas possible de jouer en ce moment, donc forcément, j’essaie de voir comment rebondir. Je suis déjà un peu rassuré, car dans ce malheur commun, j’entends des artistes qui me sont chers qui témoignent de la difficulté d’écrire en ce moment. Pour moi, c’est vraiment le cas. Je n’ai pas eu beaucoup de temps l’année précédente, mais c’était pour une raison assez noble, car j’ai eu une petite fille. Lors du premier confinement elle avait environ huit mois, et était à la maison à nos côtés tout le temps, donc ce n’était pas simple. Depuis 2019, je ne dois avoir que trois ou quatre chansons au compteur, et ça me fait peur. J’essaie de me dire : chaque chose en son temps. Ce sont des temporalités bousculées. Mais, même en étant très lent, ça ne m’est jamais arrivé. Depuis les débuts de LENPARROT, si j’arrive à écrire une chanson voire deux par mois c’est un miracle. Contrairement à certains amis, je ne m’enferme pas pour des sessions d’un ou deux mois pour écrire un disque en entier. Je n’assemble pas non plus plein de petits brouillons accumulés. Non, quand je suis sur une chanson, elle m’habite, elle m’obsède pendant plusieurs mois d’affilée. Là c’est un peu le cas : la dernière chanson que j’ai écrite, je pense qu’elle m’a bien pris trois mois, et celle d’avant c’était un semestre (rires) ! Pour revenir à The Boy With The String Quartet, c’était une carte blanche offerte par Le lieu unique, la scène nationale de Nantes, à la sortie de And Then He. C’était absolument génial, je n’ai de cesse de répéter que c’est un des plus beaux week-ends de ma vie. Le premier soir, je le jouais seul, accompagné de plusieurs invités : Julien Gasc et mon cher et tendre JS de Juveniles. Puis le deuxième soir, je jouais avec le quatuor à cordes de mon père. J’ai passé un mois à écrire les arrangements aux côtés de mon grand-père, qui est chef de chœur et chef d’orchestre. C’était une expérience inédite, absolument folle. Je réfléchissais donc à la possibilité, d’ici un an, de réécrire une orchestration inédite pour jouer le nouveau disque. J’avais songé à une section de cuivres, parce qu’il y a beaucoup de saxophone joué au Mellotron sur ce nouvel album. Je n’exclus pas cela, et si j’ai la possibilité de le faire, j’en serais absolument ravi. Mais pour le moment, je suis sur les prémices d’une nouvelle création, avec Sarah Maison, Cyril Pedrosa, qui a réalisé le court métrage animé de Paladines et qui est dessinateur de bandes dessinées, et ma conjointe, Marion Le Nevet, à la dramaturgie. On va explorer le répertoire de Burt Bacharach. C’est un projet pour la fin de l’année prochaine, qu’on espère tourner le plus possible. À la différence de pouvoir jouer sur scène en public dans les prochains mois, il y a au moins la possibilité d’être en résidence, de travailler sur des spectacles au sein de différents lieux qui, même s’ils sont fermés au public, peuvent au moins accueillir des artistes. C’est the next big thing to come !

LVP : Pour finir, tu peux nous confier ce que tu écoutais en boucle pendant l’écriture de l’album ?

LENPARROT : À ce moment-là, j’étais résident en tant que DJ au Lieu unique, juste après ma carte blanche. J’avais privilégié les DJ sets entre 19h et 23h avec aucune injonction à la danse. C’était très chouette, parce que ça permettait d’aller vers des choses très calmes, apaisées et contemplatives. J’ai beaucoup écouté un artiste canadien qui s’appelle Beverly Glenn-Copeland, dont les deux premiers disques sont proches de Minnie Riperton, dans le genre un peu spiritual folk avec une voix somptueuse. Il a aussi un disque presque essentiellement instrumental, Keyboard Fantasies, enregistré en 1986 sur un clavier Yamaha DX7, qui est fou, très beau, et hyper méditatif. Autour de la naissance de ma fille, c’était tellement intense émotionnellement que je n’étais pas capable d’écouter de la musique avec des paroles. J’avais besoin de quelque chose qui puisse faire le vide mentalement, de l’ordre presque spirituel. Je ne suis pas un religieux, mais l’élévation avec la musique, dans une sorte de transe, d’auto-hypnose, de bulle au milieu du temps, je trouve que c’est une des puissances les plus incroyables de la musique. Il y a aussi deux titres longs de Pharoah Sanders, qui était un musicien de Coltrane. The Creator Has a Masterplan est un des morceaux les plus beaux que j’ai entendus de ma vie, sans exagération. Et il y a ce morceau où, quand t’écoutes un truc pareil, tu te dis qu’on pourrait peut-être passer ça à ta mort (rires). C’est du jazz, tu sens qu’il y a une recherche d’élévation au sein de l’écriture même. Ce titre s’appelle Let Us Go Into The House Of The Lord, voilà, tout est dit (rires). Et, une dernière chose, car c’est toujours difficile de faire un choix : j’écoutais Designer de Aldous Harding, et j’ai dû l’écouter peut-être 500 fois. C’est un chef d’oeuvre absolu, tout y est parfait, sublime. D’ailleurs, c’est un bon disque d’automne, je ne l’ai pas écouté depuis un moment, je vais peut-être me le refaire !

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