Rencontre avec Local Natives : “Il faut être conscient de ce qu’il se passe dans le monde”
"
Auteur·ice : Mathias Bourgonjon
13/11/2016

Rencontre avec Local Natives : “Il faut être conscient de ce qu’il se passe dans le monde”

Depuis la sortie de leur premier album Gorilla Manor en 2009 et après le second Hummingbird en 2013, le succès n’a cessé d’accompagner chacune des sorties de Local NativesSunlit Youth, leur dernier disque en date, condense des morceaux toujours aussi subtils et mélodiques que dans leurs précédents mais en effleurant du doigt une formule quasi stadium-like où des titres efficaces et puissants cadrent un raffinement constant. Juste avant de commencer leur show au Cirque Royal, nous avons eu l’occasion de nous asseoir avec Taylor Rice et Kelcey Ayer, deux des têtes chantantes de la formation américaine. Pas étrangers à la salle bruxelloise (ils avaient joué en support au groupe The National le 25 juin 2013), ils se réjouissent de pouvoir avoir leur propre show au Cirque.

Vous êtes à peu près à mi-chemin dans votre tournée. Comment ça se passe ?
TR/KA : C’est environ la moitié de la tournée européenne mais on s’approche de la fin de la tournée mondiale, oui. C’est notre 12ème semaine de tournée. On est sur la route depuis un petit temps, maintenant. Les dates de Londres et Paris ont été particulièrement incroyables. Surtout Paris parce que c’était le jour juste après les élections et c’était donc un concert purificateur et rempli d’émotions. On avait vraiment l’impression que les gens qui étaient présents ce soir-là ainsi que nous-mêmes étions tous sur la même longueur d’onde pour faire face à ça. C’était un super moment !

Vous avez d’ailleurs été fort actifs pendant la campagne présidentielle en appellant vos fans au vote afin de “choisir l’espoir et l’amour au lieu de la peur et la division*. Comment vous sentez-vous maintenant que ce résultat-là est tombé ?
TR : Je pense qu’on est toujours en train de digérer la nouvelle. C’est un choc. On a essayé de convaincre les gens d’aller voter pendant toute notre tournée. On soutenait d’abord Bernie Sanders et nous avons suivi la campagne de Hilary Clinton par la suite. C’est une énorme perte et c’est dur de perdre cette bataille où on avait l’impression qu’un côté prônait l’unité et l’autre la division. Tout le message de notre album, qui nait de sentiments très positifs et plein d’espoir au milieu de beaucoup de cynisme, semble plus pertinent que jamais et les évènements actuels ajoutent une couche supplémentaire à tout ça.

KA : On a demandé à tout le monde de choisir l’espoir dans une période très sombre et, maintenant, il faut qu’on joigne le geste à la parole à un moment où le pire nous arrive aux Etats-Unis.

Comment pensez-vous qu’il va être maintenant possible de faire la différence ?
TR : Je pense qu’il est possible de le faire de plusieurs façons. Dans une chanson comme Fountains of Youth, il y a une ligne à propos de “Mrs President” et on pensait qu’elle serait là maintenant mais ce n’est pas le cas. Cette chanson parle de notre jeune génération. On est plus ouverts, on a grandi avec internet, ce qui nous a permis d’être connectés au monde. Si on regarde le comportement de vote des jeunes, ils étaient majoritairement en faveur du parti démocrate. Ce moment a été réduit à la politique mais je crois que ça va au-delà de ça : la lutte pour l’empathie et l’unité afin de rassembler tout le monde. Il y a des tonnes de façons de le faire. Par exemple, durant cette tournée, on travaille conjointement avec des organisations qui se battent contre les actes de violence sexiste. On pense déjà que prôner de telles valeurs peut faire pencher la balance. Politiquement, il y aura d’autres élections et il faudra faire le bon choix. Ce qui est important maintenant, c’est d’être emphatique même pour les gens qui ont voté pour le parti contre qui on était a priori. J’aime pas cette attitude “fuck you” contre le gagnant.

KA : Rien qu’être conscient de ce qu’il se passe dans le monde et dans notre système politique est important. C’est lorsqu’on arrête de regarder et de s’y intéresser que l’on se prend un coup de massue.

Taylor Rice et Kelcey Ayer (Local Natives) © Eliza Kowal

Est-ce que c’est le rôle d’un artiste d’être engagé politiquement ?
TR : Je vais parler en mon nom mais je trouve effectivement que la musique est un outil vraiment fédérateur. Notre musique n’est pas pour un seul parti politique, elle est pour les deux côtés et on espère que c’est un message qui parle aux deux côtés et qu’il peut unifier. Je pense qu’il y a une démarcation assez mince. On est pas un groupe purement politique mais on a un micro et la scène et j’imagine qu’on s’est senti le devoir d’utiliser notre influence pour pousser le monde dans la direction que l’on pense juste. C’est la première fois qu’on franchit le pas en étant publics concernant nos idéaux politiques. On a commencé ça pendant l’ère Obama et, maintenant, dans un contexte différent, cela ne nous surprendrait pas si beaucoup d’autres artistes se manifestaient car beaucoup de choses que les artistes ont à coeur sont menacées.

Il semble que, depuis votre premier album, cet engagement politique de votre part se fait de plus en plus ressentir. Est-ce une approche consciente ou bien c’est plutôt quelque chose qui s’est produit naturellement ?
KA : On a toujours essayé de faire nos albums d’une façon très organique et en fonction de notre ressenti. Par exemple, pour notre premier album, on a vécu tellement de nouvelles expériences et on a voyagé dans le monde entier, c’est ça qui en est ressorti. Le second album s’est plutôt construit autour de tragédies. Ma maman venait de mourir à cette période-là. Donc, je pense qu’on écrit juste sur nos émotions du moment. Maintenant, en m’approchant de mes 30 ans, j’ai eu une espèce de réveil politique alors que Taylor et Ryan (Hahn, troisième chanteur du groupe, ndlr) ont toujours été assez actifs. Concernant le futur, je pense qu’on va toujours faire des albums qui reflètent là où se trouve au moment où on compose. Au final, ce sont les choses honnêtes que les gens vont apprécier le plus. C’est d’ailleurs quelque chose que la musique fait magnifiquement bien.

TR : On est clairement pas un groupe politique. On ne va jamais s’imposer un programme pour composer en fonction de thématiques particulières. Nos processus de composition se nourrissent de nos expériences et des choses que l’on peut ressentir.

Taylor Rice et Kelcey Ayer (Local Natives) © Eliza Kowal

Traduit de l’anglais

Photos © Eliza Kowal

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@