Moka Boka, avec le sourire t’as le talent
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
23/01/2020

Moka Boka, avec le sourire t’as le talent

Nouveau maître du spleen rappé avec son premier album Pas de Pluie, Pas de Fleurs, l’artiste belge Moka Boka revient jouer de ses charmes, de sa voix suave et de son flow envolé sur Juste Avant Kwami, nouvel EP reflet d’une maturité artistique nouvelle, d’une réelle évolution personnelle et d’une tonne de talent. Un disque moins mélancolique que le précédent mais tout aussi qualitatif sur lequel se mêlent fluctuations vocales et les rimes si pertinentes d’une des pépites les plus prometteuses de la scène rap francophone. 

Il n’y a pas de secret derrière un rap qui fonctionne, et on croirait pourtant que Moka Boka a sa propre recette secrète. “Bouge toi, bosse dur, bouge toi !” scandent les lignes de Nord, traduisant la ténacité inépuisable qui a habité le jeune musicien jusque cet EP. Détermination et patience feront donc la force de cet artiste à l’aura si positive remarqué par une COLORS Session parfaite pour son titre Sourire. Un tube qui a décidément tout pour lui : les marimbas de l’instru, la fluidité de son flow, la grâce de son éloquence et la finesse d’un texte plein d’humour et de métaphores. Il n’en fallait pas plus pour gagner nos coeurs. Avant d’en arriver là, c’est au travers de plusieurs projets, dont certains produits en solo, que Moka a su tracer son chemin vers des rencontres qui se dresseront comme des tremplins, mais pas que. Car spoiler alert le rap game belge n’est pas un ring de boxe. Au contraire, le rap game belge est bâti sur des élans de solidarité, de cohésion et de collaborations. Des valeurs que l’on retrouve dans cette amitié qu’il a su tisser avec le rappeur Swing, issu du collectif L’Or du Commun et avec qui il partage le délicieux Heracles présent sur le précédent opus. C’est également par sa rencontre avec le beatmaker le plus chaud du plat pays, j’ai nommé Krisy (aka De La Fuentes), que l’artiste a su exploiter davantage son style particulier et le talent brut qu’il renfermait au sein du label Lejeune Club mené par le producteur bruxellois.

Juste Avant Kwami suit la lignée de son prédécesseur et se construit comme une oeuvre complète, articulée autour de thèmes et d’atmosphères différents. Des univers délimités par une intro et une outro incroyables. Sobrement intitulé Intro (Pour te voir), le premier morceau témoigne déjà de la patte si spécifique du rappeur qui ne se limite pas à déblatérer des punchlines de façon aléatoire et saccadée. Moka Boka s’efforce d’harmoniser ses compositions instrumentales et le rythme de ses phrases, les syllabes de ses mots et la sonorité de ceux ci pour délivrer des titres percutants et captivants. Un vrai travail d’orfèvre comme on n’en voit pas assez dans le monde du rap. Le titre se voit aussi bercé par des samples de vocalises féminines qui ne vont pas s’en rappeler une certaine Jorja Smith et qui élèvent d’autant plus toute l’intensité de cette introduction. Ça commence bien. L’outro, elle, s’occupera de redescendre en pression avec une flopée de lignes envoûtantes posées délicatement sur un riff de guitare électrique onirique. Outro (Abîmes) délivre son lot de profondeur et de fragilité percutante, véritable introspection qui puise sa force dans la mélancolie de lignes telles que “les ténèbres m’oppressent sans cesse”. Entre cette intro et cet outro somptueux, c’est une effusion de sentiments, de rythmes et de rimes qui se superposent pour construire le millefeuille musical urbain le plus convaincant de ce début d’année.

Un disque qui va jongler entre deux thématiques majeures, entre les deux passions du penseur : les femmes et la musique. Les courbes de ses conquêtes se dessinent ainsi sur Zéro comme moi qui relate de ses interactions avec cette gent féminine qui le fascine tant. Une obsession que l’on va retrouver sur Tête qui tourne (Addiction) dont le nom traduit largement l’esprit libidineux de sa relation avec les diablesses qui le hantent. Sur Yeux DouxSans les mains et l’interlude Anvers (coup de coeur pour cette minute de poésie sensuelle), c’est plus romantique que le rappeur se confie dans un registre fleur bleue et profondément sentimental à propos des coups dans le coeur qu’il a pu connaître. Un homme qui rappe l’amour, c’est forcément brillant.

À 26 ans seulement, Moka Boka est déjà habité par des crises existentielles desquelles il parvient à puiser des élans de motivation. Un thème qu’il aborde dans Aventure, un morceau fort transcendé par l’intelligence d’un refrain plein de vie et débordant de confiance en soi qui crie “Plus peur de la mort, plus fort que mon corps. J’vais le faire sans effort, je suis dans mon aventure.” Un morceau qui peut compter sur une instru légèrement électronique qui souffle un vent de modernité sur un rap aux sonorités old school. Une assurance qui contraste beaucoup avec les méandres douloureux traités sur le très introspectif Moka sur lequel l’artiste fait part des doutes qui l’habitent et des injustices qui l’ont marqué au fer rouge. “J’suis parano, j’te jure, j’m’enferme dans l’noir comme d’hab’, faut qu’je persévère. La nuit, j’deviens bleu, les ténèbres veulent m’avoir et j’peux pas perdre. Mis à part jusqu’à la mort, c’est vrai. […] Mal à l’aise sur terre jusqu’à la fin, jusqu’à c’que je parte” Des doutes qu’il arrive tout de même à tempérer grâce à l’instru brûlante relevée par des beats incandescents qui dédramatisent ce titre au sujet lourd pour offrir un banger secouant.

Arrive alors Anxiétéla pépite de l’album. Sur frénésie de piano et d’envolée vocale féminine, les lignes de Moka Boka viennent claquer fort comme on l’aime pour nous conter ce sentiment anxiogène universel sur lequel les mots sont souvent compliqués à apposer. “À force de plaire aux autres tu n’sais plus qui tu es”, la plume du rappeur scintille sur ce sujet qu’il semble connaître comme le fond de sa poche. Jazzy et moelleuse, la composition est une véritable réussite et offre une nouvelle preuve de la qualité artistique de cet artiste visiblement à l’aise dans tous les registres auxquels il s’attaque. Moka Boka, retenez bien ces quatre syllabes car elles s’apprêtent à ensorceler vos oreilles d’un rap poétique et réfléchi comme on les aime.


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