Namoro actualise la chanson féministe et lesbienne
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Auteur·ice : Adrien Amiot
20/04/2021

Namoro actualise la chanson féministe et lesbienne

 

Le duo Namoro est une révélation qui fait du bien à la scène musicale française. Créé en 2018, ce projet a sorti il y a quelques semaines son premier LP, l’ambitieux et flamboyant Cassia Popée, ode au lesbianisme et au féminisme guerrier. Rencontre entre Bili Bellegarde et Mascare, toutes deux issues du milieu du cabaret, Namoro incarne avec puissance une vision poétique radicale oscillant entre musiques électroniques, expérimentations punk et spoken-word incandescent.

Que signifie Namoro ? À l’origine, une expression portugaise aux multiples interprétations : tout à la fois “rencontre”, “flirt”, ou “fiançailles”. Rencontrée dans la poésie du lisboète Fernando Pessoa, cette polysémie invoque simultanément l’ardeur de la passion amoureuse et sa possible finitude, l’intensité du présent et l’incertitude du futur. Pour Elisa et Alex, respectivement Bili Bellegarde et Mascare, c’est un cri d’amour aussi puissant qu’il n’est fragile, aussi mystérieux qu’il n’est banal.

Photo : Valentin Curtet

D’elles deux est née Cassia Popée, créature mystique qui se dévoile par esquisses durant les 12 titres de l’album. Directement inspirée de l’ouvrage féministe de référence Les Guérillères, de Monique Wittig, cette chimère est à la fois la protagoniste (la muse !) et la destinataire des chansons de Namoro.

Focus sur Monique Wittig. Pionnière et parfois incomprise, cette essayiste, romancière et militante française a fortement contribué à la théorisation de la déconstruction du genre dans les années 70 – bien que ses idées ne soient revenues sur le devant de la scène intellectuelle que depuis une dizaine d’années. Entre d’autres termes : une avant-gardiste dont le prestige et l’influence s’étendent aux nouvelles générations, 57 ans après la publication de son premier roman (L’Opoponax – 1964). Cet album est un hommage (ou femmage ?) à cette littérature révolutionnaire dont nous n’avons pas fini de tirer des leçons.

Voici le clip du titre En forme de diamantaux accents EBM et coldwave et produit par l’artiste marseillaise Mila Dietrich :

 

Les Guérillères n’est pas l’unique référence littéraire dans laquelle Namoro puise ses ressources. Apparaissent également Claude Cahun, Suzanne Malherbe (Marcel Moore), Audre Lorde, Colette, Paulette Magny ou encore Natalie Barney dans l’héritage poétique de cet album. C’est au final toute l’histoire du combat féministe qui est convoquée, depuis le mythe saphique jusqu’aux Riot Grrrl.

Cassia Popée s’inscrit donc dans la grande tradition de la poésie militante chantée, l’actualisant avec succès. On observe ainsi l’incorporation de sonorités électroniques qui s’entrechoquent, nous rappelant la scène hyperpop, défendue par SOPHIE, Arca ou encore Grimes. Ce n’est donc pas un hasard que le disque soit sorti sur l’exigeant label Atypeek Music, défricheur d’une myriade d’artistes indépendants depuis 1988.

La scène musicale française est riche en hymnes lesbiens. Évidemment, de nombreux noms nous viennent en tête dans la période actuelle, avec en tête Chris, Léonie Pernet, Aloïse Sauvage ou Mansfield Tya. Nous en parlons d’ailleurs régulièrement dans ces colonnes. Mais nous pouvons également trouver dans les anciennes générations de nombreux exemples de chansons libératrices : Suzy Solidor – Ouvre, Brigitte Fontaine – Elvire ou encore Catherine Sauvage – Concerto pour dames seules. On vous recommande à ce propos le merveilleux livre Les dessous lesbiens de la chanson des autrices Léa Lootgieter et Pauline Paris, qui synthétise de manière quasi-exhaustive toutes les œuvres écrites par ou pour des femmes qui s’aiment. Bientôt, le duo Namoro aura sans aucun doute sa place dans cette encyclopédie d’une richesse unique.

 

Plein de projets s’annoncent pour Namoro : on attend avec impatience la publication, le 9 mai prochain, d’un EP 4 titres. Annoncé sur le label queer américain Grimalkin Records, XTRA CAXXIA s’annonce plus que jamais festif, expérimental et poétique. On note également que les bénéfices des ventes de cassettes seront reversés au Syndicat du Travail Sexuel (Strass), qui milite au quotidien pour les droits des travailleur.se.s du sexe. On reste ainsi particulièrement attentifs à l’évolution de ce projet prometteur, qui ne manquera certainement pas de continuer à nous surprendre.


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