Nymph : la fantaisie libidineuse de Shygirl sent bon le sexe et l’audace
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
12/10/2022

Nymph : la fantaisie libidineuse de Shygirl sent bon le sexe et l’audace

Aphrodite n’a qu’à bien se tenir. La Britannique Shygirl se fait déesse d’un nouveau genre de sulfure, moderne et impénitente, sur un premier long format qui rend la libido plus profonde qu’elle n’y paraît. Un album d’une maîtrise étonnante, co-produit par les pointures du moment, de Mura Masa à Vegyn en passant par Sega Bodega et Arca. Orgie créative.

Il est fascinant de voir comment, en si peu de temps, la “fille timide” s’est imposée sur une scène hybride, brassant tant les éloges de la mouvance hyperpop que celles des patronnes du registre expérimental que sont Arca et Björk, sans oublier de séduire les sphères mainstream de Rihanna ou Lady Gaga. Le secret ? Une terrible envie de rester soi-même.

Car la musique que Blane Muise (de son vrai nom) propose sur son premier long format Nymph partage le même sens de l’audace, de l’inattendu et de la déstructuration qu’on retrouvait déjà sur ses débuts en 2016, alors qu’elle fondait le label Nuxxe avec ses comparses Sega Bodega et Coucou Chloé. Si ses précédents EPs Cruel Practice (2018) et ALIAS (2020) donnaient déjà assez de matière à sa vision singulière de la production frontale et clubby, le format plus aéré de l’album lui permet d’explorer d’autres horizons. La magie du fond s’invite dans l’univers de cette maestra de la forme, et l’histoire déborde de coït et d’introspection.

 

La figure de la nymphe que l’artiste convoque tout au long de cet album offre un discours intéressant sur la sexualité moderne, et l’ambivalence d’une vie intime émancipée. Car loin d’un niais discours sex-positiviste aujourd’hui plus bankable que jamais, Shygirl parle de sex therapy comme d’une arme contre la solitude, en n’oubliant pas d’exhiber les troubles de l’attachement parfois inhérents aux relations sans lendemain. De l’éthéré Heaven à l’urgence du bref Missin u, le langage du sexuel semble servir de caution, sur un album qui nous en apprend finalement davantage sur la vulnérabilité et la dépendance.

Mais souvent avec le sourire. Les bribes d’humour de cet album sont aussi naturelles qu’efficaces, en témoigne le mutin Coochie (a bedtime story), contagieux de malice, qui fantasme la vulve sacrée sur fond de mélodies enjouées acidulées. Les textes de l’album se font porteurs d’un certain plaisir à donner corps aux sous-entendus lubriques mordants, comme sur l’aguicheur Shlut. Des lignes rafraîchissantes qui s’invitent illico au panthéon de la libération sexuelle féminine en musique.

Loin de la chaleur accessible de certains titres, l’album ose également des moutures plus ciselées et avant-gardistes, sans jamais vraiment rompre l’équilibre de l’ensemble. Un grand écart qui n’en a pas l’air, grâce à une intelligence de production qui prône la parcimonie comme arme majeure. Les gimmicks années 2000 parsemés sobrement dans les cuivres façon europop de Poison (on n’échappe pas au souvenir de Stereo Love) trouvent ainsi leur place aux côtés de l’érotisme cyber-dystopique de Come For Me, orchestré par Arca dans un registre expérimental, mais sans prétention.

Le contraste de production s’inscrit aussi entre maximalisme et sobriété : le minimalisme calibré des frappes Little Bit et Nike côtoie l’explosion de Firefly sans trop de problème. Un jeu de dosage qui nous ramène à l’album pour des envies différentes, mais toujours avec l’assurance d’y retrouver une bad bitch energy revigorante.

 

Si c’est surtout la qualité de la production de Nymph qui nous séduit, on souligne le contenu narratif insufflé à un album qu’on n’attendait pas aussi éloquent. On pourrait paradoxalement supposer que l’enrobage hypersexuel de Nymph est une forme de pudeur pour Shygirl, qui camoufle son récit introspectif et vulnérable sous son armure de dominatrix nymphomane.

Elle délivre ici une ode à la sexualité féminine tout en nuançant l’effervescence du sujet d’une couche moins glamour de larmes et d’incertitudes, pleine d’humanité. Le genre de téléphone rose qu’on ne raccroche pas après l’orgasme.


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