Au théâtre de Dix Heures dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, le gratin parisien sur liste VIP est venu dénicher des artistes qui déchirent, mais que personne ne connaît. Des artistes pas connus, mais qui déchirent, « un truc introuvable, mais que lui a trouvé », comme dirait un certain Kacem. C’était en octobre dernier pendant le MaMa festival : grosse affiche, gros événement, des noms de scène à n’en plus finir. Par contre, comment dire, c’était le speed pour les artistes. On regrettera certains concerts qu’on qualifierait presque d’expéditifs… Quelques jours avant ça on a donc entendu parler d’Obi Bora, un Nigérian parti de chez lui il y a 10 ans, accueilli en France, recueilli par la musique. En exil, son long cheminement l’a amené à la capitale ce soir-là.
Avec ses musiciens, et notamment Cédric son guitariste, sur scène, difficile de rester assis sur les pulsations d’un Turn around : électro et afrobeat, musique instrumentale et vocale, une voix puissante, style nigérian dans le phrasé rappé, guitare, clavier et batterie accompagnant. Black Prayers est un premier album 8 titres sorti en septembre dernier emprunt d’un bon tempo et d’une religiosité dont on aime à garder son message d’espérance. En tout cas, on plonge dans ce récit, touché par les dires d’un héros dont on a failli oublier le nom. Mais music is music comme dit Obi Bora, alors ne nous tracassons pas. Micro en main, il déclame devant son public ses mille vies. Et nous, bien assis au chaud, on a envie de se lever.
Quelques jours avant tout ça donc, quand on découvre le personnage, on a l’impression d’avoir déjà entendu parler de lui. De lui ou de cette humanité ? L’exil, ce truc universel, intrinsèque à l’être humain. Qu’on s’entende et qu’on se le demande, encore une fois, qui a dû partir quand dans ce pays, aussi ? Mais sûrement qu’Obi Bora sait déjà à quel point se casser quand on craint pour sa vie, c’est intrinsèque à l’existence. Il le sait déjà, c’est sûr. Alors quand arrive l’interview, les questions arrivent aussi. Va-t-on parler philo, de ces idées humanistes ronflantes, avec une personne qui en connaît déjà tous les ressorts mieux que quiconque ? On a essayé malgré tout de se pencher sur ses vies et parler de sa vie à travers la musique, à travers trois titres notamment qui pouvaient peut-être lui parler. Avec déjà deux scènes assurées en première partie de Gaël Faye, le Printemps de Bourges dans les pattes, Obi Bora trace un sillon dont lui seul maîtrise le tracé.
La Vague parallèle : Salut Obi ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Obi Bora : Ok, cool. Mon nom est Obina mais les gens m’appellent Obi Bora. C’est mon nom de scène. Je viens du Nigeria et je suis en France depuis 5 ans.
LVP : Pourquoi est-ce que tu es venu ici ?
OB : La vie m’a amené en France, personne ne sait où la vie va l’emmener. J’avais un ami en Suisse, quand j’étais en prison là-bas, qui connaissait certaines choses sur la France et la musique. Il m’a dit de venir, que ce serait bon pour moi.
LVP : Est-ce que tu fais aussi de la musique avec d’autres expatriés ?
OB : Oui, mais pas le genre de musique que je cherche à faire. On fait de la musique pour s’amuser, c’est freestyle, on n’a pas de réel projet.
LVP : D’accord ! J’ai une musique à te faire écouter.
LVP : Qu’est-ce que tu penses de ce son ? De ce qu’ils disent à propos du Nigeria ?
OB : Tu sais, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent et ce qu’ils pensent dans leurs chansons. C’est ce qu’ils voient quand ils regardent mon pays. Le Nigeria est un pays fucked, il y a trop de corruption. N’importe qui peut dire ce qu’il veut, le Nigeria est un pays corrompu, tout le monde le sait, mais la musique, c’est la musique.
LVP : Dans cette musique (1:58 min.) ils chantent « no street lights from Oregon to Ikeya », tu peux nous décrire l’état de ce pays ?
OB : L’endroit d’où je viens c’est l’État de Lagos, et je suis né dans la ville d’Abakaliki. C’est le plus grand État du pays, c’est un no man’s land. N’importe qui peut y être, tu peux y vivre, y acheter ta maison. Les autres endroits sont pleins de souffrance et de pauvreté abjecte. Ce sont les seuls endroits que je connais et que je peux décrire.
LVP : D’accord, je vois. Est-ce que tu connais D’banj ? Je l’ai découvert hier, j’aime particulièrement bien Mobolowowon !
OB : Oui je connais ! Mobolowowon, Ah emi ti ja mobolowowon !
LVP : J’aimerais qu’on parle de l’afrobeat, qui l’a inventé, d’où est-ce que ça vient ?
OB : Je ne sais pas si je devrais dire que l’afrobeat est né au Nigeria. Je sais que c’est très populaire là-bas, pour n’en citer qu’un je dirais Fela Kuti. Mais ce n’est pas le genre d’afrobeat qu’on écoute aujourd’hui. L’afrobeat est en constante évolution. C’est toujours de l’afrobeat, mais les artistes y mettent plus de travail, ils le façonnent, le rendent plus brillant. Mais je sais en tout cas que Fela Kuti joue de l’afrobeat.
LVP : Et toi tu joues de l’afrobeat ?
OB : Je peux faire de l’afrobeat, mais je ne joue pas très bien des instruments qui le composent donc je n’ai pas envie de me forcer à en faire à la va-vite. Donc j’utilise seulement les samples que j’ai dans mon logiciel. Dans ma musique, il n’y a pas que de l’afrobeat, il y a un peu de tout : afrostyle, pop, hip hop…
LVP : Je vois. Sinon tu connais Linton Kwesi Johnson ? Il a une chanson qui s’appelle England is a bitch dans laquelle il parle de son arrivée à Londres. Il parle de la misère, de l’exil, c’est son inspiration. Toi, c’est quoi les thèmes qui t’inspirent ?
OB : Je ne connais pas, non. Mais tu as écouté mes chansons ?
LVP : Oui, j’ai bien aimé, notamment Ye Le Le.
OB : Il faut que tu réécoutes Slave We, c’est ça mon inspiration. Mon voyage, ma vie.
LVP : Qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais plus jeune ?
OB : J’écoutais du hip hop. Tupac, Snoop Dogg, Dr. Dre, un peu d’Eminem, beaucoup de musique américaine. J’écoutais aussi du reggae, Bob Marley, Lucky Dube…
LVP : D’accord, cool. Tu as un label ?
OB : Oui je suis chez Un plan simple.
LVP : Et sinon, c’est quoi ton passe-temps à part la musique ?
OB : Rien, seulement la musique (rires).
LVP : Tu vis à Paris ?
OB : Non à Lyon, dans le premier arrondissement !
LVP : C’est quoi ton instrument préféré ?
OB : Pour jouer ou pour écouter ?
LVP : Pour jouer.
OB : Le mien ! (ndlr : sa voix)
LVP : Mais peut-être que tu en joues d’autres ?
OB : Je joue de la basse, un peu de guitare et de piano pour m’accompagner.
LVP : Qui s’occupe de tes instrus ? Est-ce que tu as un beatmaker ?
OB : Pour l’instant non, je les travaille sur un logiciel avec mes amis qui sont ici. Si je trouve des samples qui me plaisent, je les utilise.
LVP : Quel est ton principal trait de caractère ?
OB : Le rire, le bonheur, c’est ce qui me définit.
LVP : Et le trait que tu préfères chez les autres ?
OB : Les gens avec le sourire, je les aime (rires).
LVP : Pour finir, tu as quelque chose à dire à celles et ceux qui vont lire cet article ?
OB : Gardez le courage et l’espoir, continuez de croire que tout est possible.
(P.-S. : sans oublier de remercier Blue pour la traduction)
La musique te traîne loin. Salutaire sur terre!