omar chappier : Mairo jalonne son rap
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Auteur·ice : Anne-Sophie Rasolo
18/07/2023

omar chappier : Mairo jalonne son rap

Après trois projets bien sentis (365, 95 Monde Libre et Rougemort) et un passage remarqué sur la chaîne Colors, celui qui vient d’être nommé lauréat Variation(s) -dispositif de FGO-Barbara, a sorti durant le printemps un huit-titres nommé omar chappier. Il y développe en une vingtaine de minutes son rap « dégueu-conscient », présente son personnage, ses ambitions et demande que l’on s’y attarde.

Mairo déterminé, assomme d’entrée de basses lourdes et cherche à rappeler son identité, construite de flows divers et variés. Au-delà de l’envie de faire briller le rap suisse, il se raconte dans cet opus, sans oublier son frère jumeau, connu sous le nom d’Hôpital, producteur de sa musique. Il y invite aussi Implaccable, H JeuneCrack, NeS et Wallace Cleaver et propose la croisée de vers et de perspectives denses.

Dans une interview donnée pour Colors, le rappeur disait « vomir ses paroles ». Cette intention est percevable à plusieurs endroits et dès le départ dans le titre la mouche avec des mots comme « auteur-interprète, pollueur contemporain ». Ce morceau vient poser le décor et introduire l’album sur une production de 5bobble, en reprenant un sample d’Arsenik (déjà cité dans l’émission Code Review), et se termine par un extrait d’interview d’Ousmane Sembène, écrivain et réalisateur majeur d’Afrique, activiste dans la lutte pour l’indépendance que l’on entend dire « Pourquoi voulez-vous que je sois comme le tournesol qui tourne autour du soleil ? Je suis moi-même le soleil. » En témoigne le choix de ses références, si l’on compte également celle à Omar Little (personnage de la série The Wire) dans le titre crack crack – plein d’assonances, Mairo sert dans son EP sa connaissance du rap et de l’histoire africaine.

 

Si les trois premiers morceaux (la mouche, crack crack, 2 jackets) à eux seuls mélangent héritage du rap français, beat UK, restes d’enfance et flow tantôt irrégulier, tantôt ultra-collé à la rythmique instrumentale, la suite prend un virage. Dans nouvelle écriture, des soupçons d’Alpha Wann dans la diction posée sur des cordes et un beat en tension dégainent une flopée de noms du rap. Ici et là, Mairo estampe ses goûts mais aussi son désir d’indépendance, palpable dans des phases telles que « je n’fais pas du Miguel » (dans la mouche). Une chose certaine, d’un morceau à l’autre le rappeur cherche à déployer un éventail de skills et prend soin d’évoquer son attachement à la politique, à une certaine philosophie, tout en veillant en parallèle à garder un pied dans le business mais loin de l’industrie musicale et du formatage.

Puis vient dope sound, un interlude old school bien placé pour rappeler ses origines indiennes et érythréennes, à l’aide de questionnements aussi énigmatiques que la remarquable cover de ce projet : un cavalier sans tête dans le désert (œuvre de Dexter Maurer). Rien ne semble avoir été laissé au hasard. Si le flow peut paraître inégal, la suite donne un cachet et une identité éclectiques à ce projet. Le morceau merci bonne journée, produit par H JeuneCrack qui l’accompagne ici, fait montre d’intelligence par sa fluidité et la densité à la fois du texte et du piano. Enfin NeS et Wallace Cleaver apportent leur mood et forment avec Mairo un équilibre. En dernier viendra pov 2023, et de dire « askip j’suis d’la new gen » avant d’en prendre le contrepied, les mains tendues vers les anciens et vers la culture rap, et les pieds dans la nouvelle mouvance.

La sensibilité, le vécu et l’histoire, tout y est pour construire un tableau complet du personnage qu’est Mairo, sur une toile pollockienne : l’avantage c’est la richesse et l’énergie. Reste à voir comment articuler la suite, pour un rappeur en phase de s’imposer sur la scène rap.

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