Our Work Is Never Over : Daft Punk, adieu et merci
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Auteur·ice : Guillaume Scheunders
28/02/2021

Our Work Is Never Over : Daft Punk, adieu et merci

Le duo français a annoncé ce lundi la fin de son aventure via une vidéo postée sur YouTube. Depuis 1993, ils ont contribué à l’essor de la musique électronique en France, notamment en tant que chefs de file de la French Touch. Ayant été bercé toute ma vie par les deux robots, j’ai décidé d’écrire quelques lignes. 

Quel âge aviez-vous quand vous avez entendu Daft Punk pour la première fois ? Personnellement, je devais avoir entre 10 et 12 ans. Si vous étiez jeune au milieu des années 2000 ou même avant, vous devez certainement connaître le site Koreus.com. Il y avait cette vidéo qui venait de sortir dessus : un type qui avait écrit toutes les paroles de Harder, Better, Faster, Stronger sur ses mains et qui arrivait à recréer les lyrics au fil de la musique. C’était la première fois que ces voix de robots arrivaient à mes oreilles. 

 

À cette époque, je venais de recevoir mon premier lecteur MP3. Adepte de fameux logiciels de téléchargement (il)légaux (l’un avec un âne, l’autre avec un citron, les vrais reconnaîtront), je me souviens avoir tapé bêtement “Daft Punk” dans la barre de recherche et téléchargé presque tous les résultats. Forcément, je ne mesurais pas à l’époque l’ampleur que pouvait avoir ce que j’écoutais. 

La même année, je me retrouve à nouveau confronté au génie de Guy-Man’ et Thomas Bangalter. Cette fois-ci, c’est en tombant sur la version live d’Harder, Better, Faster, Stronger, enregistrée à Bercy lors de la tournée Alive 2007. J’étais subjugué. Et je le suis encore aujourd’hui d’ailleurs. Tout y est si parfait, tout arrive pile au moment où on l’attend. Le titre gagnera d’ailleurs le Grammy du meilleur single de musique électronique en 2009, je n’étais donc visiblement pas le seul.

 

Depuis ce jour-là, en tant qu’amoureux de la musique live, j’ai rêvé de voir un jour cette pyramide, d’avoir l’opportunité de vibrer autour de 10 000 personnes sur Around The World, One More Time, Face To Face… Sur toute leur discographie à vrai dire. Aujourd’hui, je dois accepter, non sans un certain pincement au cœur, que je n’aurai pas l’occasion de réaliser ce rêve. 

Je suis né plus ou moins en même temps que la musique de Daft Punk, elle m’a donc accompagné une longue partie de ma vie. Ça paraît fou, mais on n’imagine pas les choses figées comme cela se désolidariser. Comment aurions-nous réagi en 1969 quand les Beatles se sont séparés ? Comment réagirions-nous si au lieu de sortir un album cette année, Kendrick Lamar annonçait la fin de sa carrière ? 

Mais surtout, comment expliquer cette perfection ? Comment les Daft ont-ils pu marquer autant la musique électronique ? 

Il y a forcément plusieurs facteurs. 

Le groupe s’est formé en 1993 mais a commencé à vraiment produire quelque chose de structuré et construit autour de 1995. Dès le début, c’est comme si tout était planifié. C’est d’ailleurs ça qui les caractérise : cette quête sans fin de la perfection ultime. Comme si l’échec de leur premier groupe Darlin’ les avait formatés à ne plus faire d’erreurs. À cette époque, ils se sont fait surtout connaître comme DJs de la French Touch. La révolution de la musique électronique française était en marche grâce à des Laurent Garnier, David Guetta, Air, Dimitri From Paris et bien d’autres. Le duo est propulsé en haut de l’affiche et très vite, c’est l’explosion. Le visage encore découvert, Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter signent chez Virgin. À seulement 20 ans, ils imposent leurs règles : ils livreront à leur maison de disques des produits finis et elle n’aura pas son mot à dire. Une manière d’imposer leur vision brute et pas influencée par un directeur artistique. Cette assurance, preuve d’une absence de naïveté quant à la réalité du monde musical, elle leur vient du père de Thomas Bangalter, Daniel Vangarde. Ce dernier était lui-même chanteur et producteur. Il a notamment produit More Spell On You d’Eddie Johns. Le morceau ne vous dit rien ? Regardez la vidéo qui suit…

 

Cette recherche de l’œuvre parfaite les accompagnera toute leur carrière, malgré évidemment le faux-pas Human After All. Après Random Access Memories, Pharrell Williams disait d’eux: “Ils font de la musique à un tel niveau, ils ont des standards tellement élevés… Quoi que je fasse avec eux, je savais que ce serait fun, mais aussi une expérience très instructive. Et ça a été le cas”.

Masqués avant l’heure

Les Daft Punk n’auraient pas eu l’aura qu’ils ont actuellement sans la part de mystère qu’ils ont cultivée dès la fin des années 90. On sait d’eux finalement très peu de choses. On sait à quoi ressemblait leur visage en 1996, mais à l’heure actuelle, on ne saurait pas en reconnaître un si on le croisait dans le métro. Au-delà de la musique, ils doivent donc leur notoriété à leurs casques. Pour percer dans la musique populaire, il faut produire de la bonne musique. Pour devenir une superstar, il faut y ajouter une image forte. Michael Jackson avait son moonwalk et ses gimmicks, Bruce Springsteen a sa veste en jean, les Daft Punk ont leurs casques de robots. 

À ce secret physique qui aura fait parler d’eux durant une vingtaine d’années s’ajoute une communication sans failles, spécialement sur les dernières années. On vient d’ailleurs d’en avoir le meilleur exemple avec cet épilogue, montrant une scène de leur film Daft Punk’s Electroma datant de 2006. Daft Punk incarne cette culture du “less is more”. Leur tournée Alive 2007 s’est suivie d’un long silence radio jusqu’à Random Access Memories, teasé de la meilleure des manières à Coachella en 2013. Depuis, une représentation aux Grammy Awards pour récolter leurs cinq récompenses, une collaboration avec The Weeknd, la production d’Overnight de Parcels puis ciao la compagnie. 

 

Une communication qui fonctionne malgré tout : 10 millions de disques vendus et un statut de légendes de la musique électronique, avec seulement quatre albums et deux tournées, peu de groupes peuvent se vanter d’avoir pareil pedigree. 

Une musique intemporelle

Lorsque j’ai écouté pour la première fois Around The World, j’avais cette impression d’entendre un vieux morceau, comme s’il avait été produit dans les années 80. Je crois que c’est aussi l’une des raisons du succès de Daft Punk : leur intemporalité. À chaque sortie, ils ont créé quelque chose de novateur tout en utilisant des sons qu’on a toujours connus. De cette manière, leur musique parle à tout le monde. Prenez Veridis Quo. À première vue, on ne s’en rend pas compte, mais c’est un sample du mythique Supernature de Marc Cerrone, véritable hymne des années disco (d’où le nom du morceau, homophone de Very Disco, lui même l’anagramme de Discovery, le nom de l’album). 

 

L’exemple ultime de ce mélange des genres anciens et nouveaux est leur album Random Access Memories. À un point fabuleux d’ailleurs : dans les deux plus grands singles de l’album que sont Lose Yourself to Dance et Get Lucky, ils invitent Nile Rodgers et Pharrell Williams. Le premier est le guitariste de Chic, l’un des plus grands groupes de disco dans les années 70 et le second est celui qui va devenir l’artiste le plus en vogue en 2014 avec Happy. On a plusieurs oppositions de ce genre sur ce disque, d’un côté Giorgio Moroder ou Paul Williams, de l’autre Julian Casablancas ou Panda Bear. Daft Punk a toujours joué sur cette dualité, cet oxymore de styles dont résulte toujours un cocktail de créativité hors du commun. 

Enfin, qu’est-ce que Daft Punk si ce n’est le mix de deux individualités de génie ? Au fil des années, Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, au-delà de leur groupe, ont mis à profit leur talent pour créer de véritables œuvres d’art. Dans une interview pour Konbini, David Guetta racontait l’histoire du morceau Call On Me de Bangalter et DJ Falcon, une anecdote surréaliste où l’on apprend qu’ils avaient créé un morceau presque identique à celui d’Eric Prydz quelques années avant lui, sans toutefois le sortir, passant à côté d’un succès commercial immense. Et comment passer à côté de Music Sounds Better With You ou des films qu’il a habillés musicalement : Enter The Void, Irréversible 

Pour Guy-Man, c’est la même histoire. Il est derrière Sexuality de Sébastien Tellier ou même le monument Nightcall de Kavinsky… 


Daft Punk restera un pilier de la pop culture. Tout le monde ayant l’âge d’écouter de la musique a déjà eu un morceau des deux humanoïdes dans les oreilles. Bêtement en regardant les NRJ Music Awards, en écoutant Kanye WestThe Weeknd, au cinéma devant
Drive ou Tron… L’influence du duo est présente dans tous les milieux de la musique. Chaque émotion que vous vivez peut être liée à un morceau du groupe. Vous êtes triste ? Veridis Quo. Vous voulez faire la fête ? One More Time. Vous avez la pêche ? Digital Love. Vous voulez danser ? Lose Yourself To Dance. Récemment, le Guardian a qualifié le groupe comme étant le plus influent du 21e siècle et il y a évidemment une grande part de vrai dans cette affirmation. 

C’est donc la fin et comme à leur habitude, ils nous laissent une tonne d’énigmes sur lesquelles il va être compliqué de lever le voile. Pourquoi ce presque vide entre 2014 et aujourd’hui ? Pourquoi ces 13 années sans tournées ? Mais avant tout, pourquoi une séparation ? Cette fin ressemble à celle d’un bon film d’auteur français : c’est à nous de nous faire notre idée. Leur héritage pour le monde de la musique, c’est la discographie qu’ils laissent derrière eux, les carrières qu’ils ont lancées, directement ou indirectement. Ce qui représente déjà énormément.

Comme probablement beaucoup d’entre vous, je ne verrai jamais Daft Punk en concert, je ne verrai jamais ce qu’il y a sous leurs casques, je n’entendrai plus un nouveau son du groupe. Mais le deuil se simplifie en réalisant la chance d’avoir vécu une vie rythmée par leurs morceaux depuis plus de 10 ans.

Au revoir les punks idiots. Et merci.

 

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