Palace, entre amour de la peur et peur de l’amour
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Auteur·ice : Hugo Payen
06/10/2022

Palace, entre amour de la peur et peur de l’amour

| Photo : Jono White

Il y a neuf mois déjà, les quatre compères londoniens de Palace nous dévoilaient Shoals, un troisième album aux sonorités envoûtantes qui se trouve être des plus libérateurs. Explorant la notion de peur sous toutes ses formes, Palace arrive à nous rassurer en ces temps troubles avec ce nouvel opus. De passage par la Belgique le temps d’une soirée, on a pu partager une bière avec le quatuor londonien.

Il est presque dix-huit heures quand nous retrouvons Léo, Matt, Rupert et Harry. Le soleil nous régale de ses dernières couleurs et quelques Stella Artois sont déjà posées sur la table de la terrasse gantoise. Dans deux heures, le groupe se produira sur la scène de De Centrale. Malgré les quelques tintements de cloche et embouteillages de fin de journée, on peut dire que notre soirée démarrait de la plus belles des manières.

La Vague Parallèle : Alors, comment vous trouvez la bière belge ?

Matt : Elle est délicieuse ! Je dirais même qu’elle peut être dangereuse. On doit faire attention, car à tout moment ça peut être une bière bien forte sans le savoir (rires).

LVP : En 2014, Lost In The Light venait de voir le jour. Est-ce que vous vous attendiez à ce moment-là à sortir trois autres albums et à faire des tournées à travers le monde ? Est-ce que ça vous faisait peur à l’époque ?

Léo : Je dirais qu’au début, tout ce qui nous arrivait était du bonus. On n’avait pas réellement réfléchi aussi loin à l’époque. On s’est concentrés sur un premier EP sans réellement penser au reste. Ce qui fait qu’à chaque album ou à chaque EP on se dit « woaw, on l’a encore fait ».

LVP : Cinq ans plus tard, vous êtes en tête d’affiche du Glastonbury festival. Il y a quoi dans vos têtes au moment de monter sur scène ?

Léo : C’est hallucinant, vraiment. On était fan du festival depuis des années et c’est un monument dans le monde de la musique. On y était déjà allés en tant que festivaliers, ce qui est déjà une expérience à vivre en soi. Je pense qu’encore maintenant on ne réalise pas qu’on l’a fait deux fois, de l’autre côté des barrières. On a partagé la scène avec des groupes incroyables, c’est vraiment un sentiment unique, presque indescriptible.

LVP : Pour beaucoup de personnes, l’une des forces de Palace réside dans ce subtil mélange entre un rock brut libérateur et des sonorités langoureusement hypnotisantes. Vous êtes d’accord ? 

Léo : Ça résume assez bien notre musique en effet ! Pendant nos concerts, on voit souvent les gens se déhancher les yeux fermés et c’est la plus belle chose, voir que les gens vivent notre musique autant que nous et se laissent envoûter. La manière dont les gens se connectent à notre musique est quelque chose de très fort.

Matt : C’est très chouette de faire un set avec des morceaux plus intense que d’autres. Ça apporte une dynamique incroyable qui fait qu’on peut danser pendant quelques minutes pour ensuite contempler le moment sur le morceau d’après. On voit souvent des pleurs dans le public, ce qui est assez fou quand on y réfléchit après coup ! On essaye vraiment de créer un voyage durant lequel on invite les gens. Ça a toujours été notre manière de nous exprimer.

 

LVP : Selon son étymologie, la peur se rapporte à l’effroi, à une émotion pénible et est souvent vue comme quelque chose de négatif. De quelle manière avez-vous réalisé que cette complexe émotion qu’est la peur allait être le fil rouge de l’album ?

Léo : Je dirais que tout a commencé pendant le premier confinement. C’était ce moment où tout le monde s’est retrouvé coincé et isolé. On s’est tous retrouvés avec nous-même sans réelle distraction. Je pense qu’énormément de personne n’ont pas eu d’autre choix que de réfléchir à la vie qu’ils menaient et à la manière dont ils voulaient la mener au fond d’eux. D’une certaine manière, c’était une expérience très cathartique pour nous, de juste se regarder dans le miroir. Tout est venu de cette expérience assez particulière, de cette période où on s’est retrouvés avec nous-même sans aucune interaction de l’extérieur.

LVP : Est-ce que vous pensez que c’est plus facile qu’il y a deux, voire trois ans, d’oser parler de nos doutes et de nos peurs ouvertement ?

Léo : Clairement ! Ces dernières années ont véritablement changé nos vies et nos manières de réfléchir. J’ai l’impression que beaucoup de gens ont appris à s’ouvrir quand il s’agit de parler de leurs émotions. Il est devenu plus confortable de parler de ce qu’on ressent sur le plan émotionnel et psychologique, c’est certain. Ce qui est quelque chose de tellement beau finalement. C’est d’ailleurs ce qu’on essaye de faire en faisant de la musique.

LVP : Vous parliez plus tôt du processus d’enregistrement de Shoals et de comment il était assez différent des précédents albums. Comment avez-vous réussi à garder votre essence de groupe très authentique pendant cet enregistrement réalisé en plein confinement ?

Matt : Au début on s’envoyait tous des vocaux avec quelques essais, des idées, puis durant l’été de 2021 on a pu se faire un petit espace dans un studio. On a pu se créer notre propre bulle et c’est là que tout a commencé à prendre vie. On a eu de la chance de se retrouver avec le groupe, mais on est restés très isolés du monde extérieur. On n’a jamais eu ce genre d’espace auparavant vu qu’on a toujours dû partager les studios avec d’autres groupes. Le fait d’être un peu seul au monde a changé pas mal de choses pour nous. Je pense qu’on a su profiter du silence extérieur pour nous concentrer sur la direction qu’on voulait prendre.

LVP : Après pas mal d’écoutes, on a l’impression que Shoals n’aborde pas seulement le concept de peur mais explore également la manière dont on doit accepter nos imperfections. 

Léo : On a chacun des parties de nous qui nous déplaisent, qui sont plus moches que d’autres et avec lesquelles on se bat presque toute notre vie pour essayer de s’améliorer. Pourtant, on doit accepter ces choses, se dire qu’elles font de nous les personnes que nous sommes et que ce n’est pas quelque chose de négatif. À force de vouloir les changer, on finit par ne plus être dans le moment présent.

LVP : Beaucoup de personnes définissent la mélancolie comme quelque chose de triste et de négatif. Est-ce que ça l’est pour vous ?

Léo : Pour moi, ça ne l’est pas. J’ai toujours été quelqu’un qui adore la mélancolie. J’ai beaucoup écouté Radiohead (rires). La mélancolie n’est pas quelque chose de forcément triste. Ça peut l’être évidemment, mais ça nous permet surtout de nous montrer qu’on n’est jamais seul·es à traverser certaines choses plus compliquées. Oui la mélancolie touche indéniablement aux émotions, mais ça peut se trouver être quelque chose de magnifique et de très positif. La mélancolie permet de se laisser aller dans les émotions sans pour autant être quelque chose de mal. Des artistes comme Jeff Buckley l’ont bien compris.

LVP : En écoutant Shoals on se demande si vous parlez plus de la peur de l’amour ou de l’amour de la peur.

Léo : C’est clairement une combinaison des deux. Quand on est amoureux, beaucoup de choses peuvent être effrayantes. Mais d’un autre côté, le fait de vivre cette peur est quelque chose d’assez beau bizarrement.

LVP : Toutes vos couvertures d’album ressemblent à un moment précis capturé en peinture. Elles vous viennent d’où ces inspirations ?

Léo : Pour chacun de nos albums, c’est le frère de Léo qui nous a réalisé ces petites merveilles. Will était le premier bassiste du groupe et il s’avère qu’il est aussi un artiste très talentueux. Dès le départ, ça nous a semblé être la meilleure chose à faire que d’avoir ses peintures en guise d’artwork. On lui a vraiment laissé carte blanche, c’est ça qui est génial. On lui donne un léger aperçu du thème puis la magie opère.

 

LVP : Sur un autre sujet moins marrant, The Guardian titrait il y a deux ans qu’un tiers des singer-songwriters en Angleterre ont décidé de changer de voie à cause de la pandémie mais également à cause de ce qu’impliquait le Brexit pour les artistes britanniques. Selon vous, est-ce que c’est plus dur qu’avant d’être un artiste en Angleterre ?

Rupert : C’est plus dur, clairement. Premièrement, le monde de la musique en Angleterre est très compétitif. Ce qui est très chouette. Ça l’a toujours été d’ailleurs. Le Brexit a rendu tout ce qui nous entoure très cher. Qu’il s’agisse des tournées, du matériel ou de la paperasse qui est devenue beaucoup plus longue. Tout s’est complexifié. Si tu n’es pas un minimum connu, c’est devenu presque impossible je dirais. Tu perdrais plus que ce que tu ne gagnerais. Les jeunes groupes ont besoin de fonds, de labels maintenant. Il n’y a plus vraiment de chances pour les artistes indépendants, ce qui est véritablement un problème. En finalité, ça ne fait que diminuer la quantité d’artistes qui peuvent sortir hors des frontières du Royaume-Uni, ce qui est une honte quand on voit de quoi certains groupes sont capables.

LVP : Vous pensez que ça pourrait revenir à la normale à un moment ?

Matt : On l’espère ! Ça va prendre un peu de temps pour que les gens réalisent à quel point l’industrie musicale occupe une place énorme dans l’export du pays. Ça va revenir, mais c’est extrêmement lent. C’est véritablement une période de test pour pas mal de groupe. Au final, les groupes doivent être plus forts que l’industrie.

Léo : Un autre point qui n’aide en rien est la manière dont les artistes sont rémunérés avec le streaming. Si le streaming payait mieux, ça pourrait donner leur chance à un tas de très bons artistes. Mais ce n’est toujours pas le cas. Quand tu es un jeune groupe qui débute, tu dois savoir que tu ne feras pas beaucoup d’argent pendant un certain temps.

LVP : J’aimerais revenir sur cette notion de catharsis dont vous parliez plus tôt. À travers votre musique, vous arrivez a approcher vos émotions en deux temps : le premier qui est le plus dur, comme une gifle. Puis par la suite, ce sentiment d’acceptation. Avec Bitter par exemple, vous concluez par « It’s gonna get better ». Est-ce que vous appréhendez la musique comme une thérapie ?

Léo : Sans aucun doute. Faire de la musique, écrire et composer sont véritablement des choses qui nous poussent dans cet espace où l’on se sent en sécurité. Comme dans un endroit où on peut parler de ce qu’on ressent, sans avoir peur des conséquences. Pour certaines personnes, c’est plus facile que de parler ouvertement de ça avec quelqu’un plus directement. On met ça en musique, souvent de manière très mystérieuse ou poétique et on se sent comme libéré. C’est quelque chose de très thérapeutique.

LVP : Les fonds marins (shoals en anglais) sont un endroit rempli de mystères, d’incertitudes et d’obscurité. Pourtant, à travers l’album on comprend que c’est aussi un endroit gorgé de beauté ?

Léo : Clairement ! L’idée c’est qu’à travers toutes ces choses plus sombres que l’on peut expérimenter, nos peurs et nos émotions, il peut toujours y avoir quelque chose de positif et de beau qui s’y cache. Tout ne doit pas toujours être triste et sombre. Tout est dans la manière dont on va en faire l’expérience et en tirer profit.

LVP : Vous diriez quoi aux membres de Palace de 2014 si vous le pouviez ?

Matt : Qu’ils seront assis à une superbe terrasse de Gand a profiter du soleil (rires). Non mais blague à part, je dirais de ne pas trop réfléchir car la suite de l’aventure va être incroyablement belle et gratifiante.


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