Programmer pour mieux régner
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Auteur·ice : Matéo Vigné
11/10/2022

Programmer pour mieux régner

On est allé voir du côté du club le plus mythique de Belgique pour comprendre les enjeux d’une bonne programmation, avec son programmateur Steven Van Belle.

L’histoire d’un style, d’un genre ou d’une tendance, ça ne s’écrit pas du jour au lendemain. Bien sûr, parfois il suffit d’une étincelle et de quelques paramètres en sa faveur pour que quelque chose d’insignifiant n’aboutisse en mouvement planétaire qui marquera toute une génération friande de fun, de fête et d’épanouissement personnel. Pour que le chemin entre l’anecdotique et la réussite soit sain et efficace, il faut qu’il soit façonné par des acteur·ices qui veulent son bien, qui vouent leur temps, leur énergie à cette cause. Une armée de fidèles qui, à la sueur de leur front, ont construit, bâti et consolidé ce qu’aujourd’hui on peut appeler le monde de la musique électronique. 

Aujourd’hui, on se penche sur le rôle des programmateur·ices, la personne qui fait la sélection de ce que vous allez retrouver sur le dancefloor. Connaisseur·se de l’extrême, expert·e en digg, en nouvelles tendances et qui connaît les lieux nocturnes comme sa poche, les programmateur·ices définissent et redéfinissent les trends d’aujourd’hui pour réinventer le club de demain. Coups de maître, fiascos, déjà vus ou réelles pépites, tant de risques qui peuvent s’avérer payants et propulser un lieu au rang de référence internationale.

C’est le cas de Steven Van Belle (33 ans) qui s’occupe de la programmation du Fuse, la référence en termes de clubbing en Belgique. « Je suis le directeur créatif du club, ce qui signifie que je suis responsable de la programmation musicale. En outre, je joue un rôle important en guidant l’équipe marketing de Fuse et de XRDS et je supervise les productions de nos événements en plein air et du festival, en veillant à ce que tout ce que nous fassions ait une histoire cohérente et corresponde à l’image du Fuse. La vie nocturne est vraiment axée sur le plaisir et l’amour de la scène, mais si votre côté commercial est négligé, vous ne resterez pas longtemps dans le secteur ».

Pour comprendre un peu mieux les enjeux d’une telle fonction, on lui a posé quelques questions bienveillantes sur son rôle, sa vision du poste et sur comment il voit l’évolution de la musique électronique post-COVID.

Programming is the key

La Vague Parallèle : Salut Steven, quand est-ce que t’as commencé à travailler dans l’industrie de la musique et, plus précisément, dans le monde des clubs ?

Steven : Pendant mes études dans l’événementiel, j’ai lancé avec quelques ami·es une émission de radio appelée Ohm, qui est devenue une série de soirées en Flandre occidentale. Plus tard, on a fondé avec ce même groupe de personnes VOLTAGE qui est devenu un festival, un label et une agence assez reconnue. Aujourd’hui, je ne fais plus partie de VOLTAGE car je veux me consacrer à 100% à Fuse et au festival XRDS. 

LVP : Quel est le rôle du programmateur ?

Steven : En tant que programmateur, je suis en contact avec des DJ’s locaux·les et des agent·es de booking. Mon objectif est de suivre les tendances musicales et, mieux encore, de les repérer avant qu’elles ne deviennent vraiment importantes. J’essaie d’écouter beaucoup de musique, que ce soit des sorties, des enregistrements, des podcasts ou de visiter d’autres clubs et événements. Une grande partie de mon travail consiste également à envoyer des mails aux agent·es de booking pour négocier les dates, les prix et les horaires. 

LVP : Comment tu t’es retrouvé à faire ça ?

Steven : J’ai toujours géré les bookings d’Ohm et de VOLTAGE. Je suis arrivé en tant que freelance pour le marketing chez Fuse en septembre 2019, car ils avaient besoin d’un marketeur temporaire avec de l’expérience pour dépanner avant l’arrivée d’un nouveau marketeur. Au final, il semble que j’ai bien fait et ils m’ont donné un contrat à temps plein. Quelques mois plus tard, le poste de booker au club était libre. Honnêtement, j’ai vraiment hésité à accepter le poste car j’avais un peu peur d’être responsable d’un si gros truc, avec l’histoire de ce club c’est beaucoup de responsabilités tout d’un coup. Mais avec le recul, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée.  

Crédits : Antoine Grenez

 

LVP : Quelles sont les principales choses à savoir/à faire pour avoir un bon programme dans un club ?

Steven : J’essaie d’établir un programme qui respecte le riche héritage du club tout en laissant suffisamment de place pour l’innovation, pour passer de la musique qui suscite l’intérêt de la nouvelle génération de spectateur·ices. En tant que booker, j’ai le sentiment que mon travail repose beaucoup sur la notion d’équilibre. Pour moi, Fuse a toujours été un club passerelle, où chacun peut trouver quelque chose qui l’intéresse. J’essaie de booker tous les sous-genres de la techno et de la house de manière égale. En outre, je pense qu’il est important d’avoir de bon·nes artistes locaux·les dans notre programmation ; j’essaie d’avoir une plus grande représentation d’artistes POC, non binaires et féminines dans nos programmations. C’est un grand puzzle et je pense qu’il y a encore de la place pour des améliorations, mais je dirais qu’aujourd’hui, Fuse est redevenu plus pertinent et plus avant-gardiste. 

LVP : Comment est-ce que tu développes tes relations dans cet environnement riche en acteur·ices et en organisations, où la concurrence est parfois dure… ?

Steven : Ça se fait assez naturellement. En fin de compte, cette scène n’est pas si grande et si t’y es dedans depuis un certain temps, t’apprends vite à connaître certain·es artistes et leurs agent·es. Le plus important est d’être professionnel·le, de prendre soin des artistes que t’engages et d’essayer d’organiser la meilleure fête possible. 

LVP : Que faut-il éviter aujourd’hui en programmation ?

Steven : C’est difficile à dire. Personnellement, je pense qu’il est important de ne pas suivre aveuglément les tendances. Les genres vont et viennent, mais il faut être conscient·e de ce qui est vraiment bien et de ce qui ne l’est pas. Il faut être à l’affût de la musique intemporelle qui peut résister à l’épreuve du temps. Enfin, je pense que tou·tes les bookers devraient s’efforcer de diversifier autant que possible leur programmation et d’inclure de plus en plus d’artistes racisé·es et des minorités de genre. J’espère qu’un jour on pourra avoir des line-up représentatifs des dancefloors sur lesquels iels jouent. 

Une musique cool pour un monde atypique

LVP : Dans ta carrière t’en as vu passer des artistes, mais quel a été le booking qui t’a le plus rendu fier ?

Steven : Ça fait pas super longtemps que je fais ça mais il y a quelques noms dont je suis vraiment fier, comme Jeff Mills ou Helena Hauff. Il y a quelques autres noms assez iconiques qui vont jouer au club bientôt, mais je ne peux pas encore les dévoiler. Cela dit, je pense que la plus grande réussite d’un club comme Fuse est qu’au cours de toutes ces années, tous les noms qui ont eu un impact profond sur la culture techno et house ont joué dans ce club. Ce qui en fait une véritable référence dans le milieu. 

LVP : Et du coup l’artiste que t’as toujours voulu booker mais que t’as pas encore eu la chance de faire venir au Fuse ?

Steven : J’adorerais avoir Plastikman un jour. Espérons que l’occasion se présente dans le futur !

 

LVP : Les programmateur·ices créent ce qui compose l’essentiel de la fête en suivant et en créant les tendances. Selon toi, quel est le style le plus excitant, le plus cool que nous ayons aujourd’hui en termes de musique électronique ?

Steven : La musique électronique a vraiment mûri depuis ses prémices. La société a déjà exploré beaucoup de ses possibilités sur le plan sonore. On assiste actuellement à un grand renouveau de la trance, tant dans la house que dans la techno, ainsi qu’à un retour de la techno tribale. En dehors de cela, on peut constater que les frontières et les genres s’estompent de plus en plus. T’as beaucoup de styles hybrides et de nouvelles sous-cultures qui se créent autour de ces tendances.

LVP : Et tu dirais que le COVID a changé ta façon de programmer ? C’est plus difficile de planifier les choses maintenant ou au final c’est plus facile de trouver des artistes qui ne jouent plus depuis longtemps ?

Steven : Je pense qu’on est à peu près revenu à la normale. Après, on peut toujours se demander si finalement c’est une bonne chose ou non. Peut-être que certain·es d’entre nous avaient espéré des changements plus importants, pour une meilleure scène électronique. 

FUSE

LVP : Fuse est LE club de Belgique/Bruxelles, ça doit être assez incroyable de travailler pour une telle institution, non ?

Steven : C’est un véritable rêve devenu réalité pour moi. C’est le premier club que j’ai visité et il a tellement façonné le mélomane que je suis devenu. Ça a toujours été un rêve, un rêve que je pensais ne jamais pouvoir réaliser. Alors être assis ici, derrière ce bureau, à contacter mes artistes préféré·es c’est encore assez surréaliste. 

LVP : Quelle est la stratégie que le club essaye de mettre en place pour se moderniser ? Un mélange d’artistes upcoming et de légendes déjà confirmées ?

Steven : Comme je le disais juste avant, on essaye d’être un club progressiste et avant-gardiste, mais on n’oublie pas notre héritage. On a opéré un grand rebranding après le Covid, tant en termes d’artwork et de communication que musicalement avec la mise en place d’une équipe dédiée aux résidences ainsi qu’une programmation plus vaste et plus audacieuse. Vu que le club est pratiquement plein tous les week-ends, il semble qu’on ait réussi notre pari. Ceci étant dit, on a encore beaucoup de projets à réaliser, à la fin de la saison on pourra réellement juger de leur bon déroulé ou non. 

Crédits : Simon Leloup

 

LVP : Selon toi, programmer pour une grande institution de la musique électronique telle que Fuse rend ton travail plus facile, car les gens veulent à tout prix y jouer, ou plus difficile, car les attentes sont plus élevées ?

Steven : Je dirais que c’est plus facile. On est considéré·es comme une institution à l’échelle internationale, ce qui signifie que tou·tes les artistes veulent jouer dans ce club au moins une fois dans leur carrière. Et une fois qu’iels sont venu·es jouer, iels espèrent revenir le plus vite possible. 

LVP : Quel est le programme de Fuse pour cette deuxième partie de l’année ?

Steven : On va lancer un nouveau concept produit par Fuse, une grande annonce concernant deux nouveaux résidents internationaux dans un nouveau format et puis on va procéder à plusieurs mises à niveau de clubs. En outre, je suis très heureux du programme pour les mois à venir et je pense qu’il s’agit probablement de notre meilleur programme à ce jour.

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