Elle est montréalaise, rappeuse, chanteuse, autrice-compositrice et dévoilait tout récemment BLUE, un premier mini-album au style pluriel et aux références éclectiques. Neuf titres guidés autant par les influences hip-hop de sa jeunesse que par la scène alternative actuelle pour composer une carte de visite alléchante, sur laquelle s’invitent les futures étoiles de la scène canadienne. Laissez-donc le sourire contagieux et la musique singulière d’Emma Beko alléger votre journée.
Au début des années 2010, Beko gagne en notoriété au sein de Heartstreets, duo qu’elle forme avec sa meilleure amie d’enfance. Les deux adolescentes deviennent rapidement un incontournable de la scène musicale montréalaise, étant à l’époque l’un des rares duos féminins de hip-hop au Canada. Sur plusieurs titres remarquables, à l’image de Blind (produit par Kaytranada), elle prouve déjà l’aisance avec laquelle elle convoque son hip-hop tranchant sur des prods plus alternatives. Au sein du tandem, l’artiste aiguisera et précisera son identité artistique jusqu’à composer son personnage actuel, nouvelle figure du genre-bending moderne.
Vous retrouverez sans mal des reflets de grunge et de pop-rock dans son hip-hop, démontrant que le concept limitant de “genre musical” ne s’impose pas à elle. Produit par le producteur montréalais Beau Geste, BLUE s’affranchit des codes et semble plutôt s’atteler à traduire l’identité artistique de la chanteuse. Celle-ci gravitera principalement autour des thèmes sombres et introspectifs de la mort, de l’anxiété et de l’apocalypse, sans pour autant complètement délaisser quelques sonorités vives. On pense notamment au léger Party (partagé avec le rappeur Rymz) ainsi qu’à l’enjoué Ukulele – qui s’offrait récemment un clip à son image : simple, authentique, et hautement efficace.
Née à Budapest, l’artiste d’origine péruvienne passera son adolescence à New York. Une multiplicité de racines qui coloreront son art, et qu’elle sollicite ici, que ce soit en intégrant subtilement des lignes en espagnol sur Alma ou en imprégnant plus explicitement son univers d’une fibre hip-hop intemporelle. Sa palette artistique mêle les couleurs des monuments hip-hop des nineties, GZA ou Big L en première ligne. Des noms qui forgeront sa culture rap en profondeur, jusqu’à façonner sa musique. Le frontal Demo, en guise d’introduction, nous confronte ainsi à la verve textuelle brûlante de Beko qui jongle entre flow incandescent et sections de chant plus posé. L’envoûtante atmosphère électro du titre vient, quant à elle, renforcer le côté alternatif de son hip-hop.
And sometimes she feels like she’s the best
And wants to say fuck you to the rest
She’s in survival mode
C’est aussi un esprit R&B qui s’invite sur le projet. Weird, dernier chapitre du projet, voit ainsi Beko moduler son délicieux grain raillé sur des refrains qui ne vont pas sans rappeler une certaine Mahalia. Elle y dégaine une nouvelle fois son débit affolant pour sublimer des lignes vives, aux airs de spoken words, reflétant les angoisses de sa génération.
Des accents R&B retrouvés également sur le rétrospectif MHS, véritable coup de cœur de la collection. Un extrait porté par la justesse d’une plume morose et touchante. MHS pour Mamaroneck High School, l’école secondaire new-yorkaise qu’elle rejoindra à quinze ans, après avoir quitté son Budapest natal. Elle fait ici voler son flow impeccable le long de riffs de guitare entêtants pour aborder l’addiction et l’isolement, tous deux liés à sa propre adolescence. Un morceau coming-of-age qui sonne comme la réconciliation entre Emma et son passé, pour mieux se tourner vers le futur.
Vous l’aurez compris : elle est indéniablement le nouveau nom à suivre de la scène canadienne. Forte d’une identité artistique maîtrisée, Emma Beko nous offre ici un premier projet abouti qui réunit avec une cohérence remarquable les différentes influences à la source de son univers, au service de textes pertinents et justes. Un hip-hop pluriel qu’il nous tarde de voir s’étoffer.
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.
