Après avoir chamboulé la scène indie belge avec un premier album tant puissant que touchant, Tin Fingers est (enfin) de retour. Sur Rock Bottom Ballads, le quatuor anversois signe un retour aux sources des plus organiques, laissant de côté le superflu pour se concentrer sur une seule chose : l’honnêteté. Mais ça, le groupe vous en parlera mieux que nous. Rencontre.
On ne vous le dira jamais assez, la scène belge regorge d’artistes tant ingénieux•euses que percutant•es. Il va ainsi de soi que l’indie ne déroge pas à la règle, bien au contraire. Sept ans après la sortie de leurs premiers morceaux, les quatre compères de Tin Fingers en on fait du chemin. Autant qu’ils en ont vécues des aventures. Un premier album quelques années plus tard qui leur a ouvert les portes des plus belles scènes et festivals notamment, mais aussi des rencontres, des désillusions et quelques remises en question.
Dans une ère où la majorité des contacts humains se font par le biais d’écrans interposés, la parole se modifie. Inévitablement, les relations aussi. Et si à force de trop en dire, nous en arrivions à ne plus rien dire du tout ? Écrasé par l’omniprésence technologique, l’irréversibilité climatique et l’absurdité humaine, le manque de sens se fait ressentir dans la tête d’une génération toute entière. Loin d’avoir les réponses à toutes les questions que ça engendre, Tin Fingers tente de nous rassurer. Ou du moins de nous faire espérer.
Attention, nouvelle dose de mélancolie en approche donc. Long de dix titres délicats et intensément travaillés, Rock Bottom Ballads nous emmène dans le méandre d’émotions dans lequel le groupe navigue au quotidien. Un peu de noirceur certes mais qui, rassurez-vous, se voit en majeure partie couronnée de lumière. Comme un cri du cœur, Rock Bottom Ballads nous ramène à l’essentiel et nous promet des jours meilleurs.
La Vague Parallèle : En 2017, votre premier EP en tant que Tin Fingers sort. Il se passe quoi dans vos têtes à ce moment-là ?
Félix : On était jeunes à l’époque (rires). Je me rappelle très bien l’énergie de vouloir jouer partout, tout le temps, qu’on avait. On pensait qu’on allait conquérir le monde. On avait la vingtaine au moment où nos premiers morceaux sont sortis, c’est trop cool d’être dans cet état d’esprit pendant ces moments-là. Aujourd’hui, on est dans la trentaine et notre état d’esprit à bien changé (rires). Je ne dirais pas qu’on est plus pessimiste qu’avant. Je dirais qu’on est moins naïfs qu’en 2017. Et je trouve ça bien ! Pour le coup on a été moins populaire que les prévisions. On entendait partout que Tin Fingers allait être le prochain gros truc, sauf qu’on n’a jamais réellement eu envie d’être le prochain « gros truc ». Pas mal de choses ont changé depuis 2017 mais la passion elle, elle reste la même.
LVP : Vous avez toujours eu envie de sortir un second album comme Rock Bottom Ballads ?
Félix : Oui ! On se connait depuis des années maintenant avec les membres du groupe, on est amis avant d’être musiciens. C’est un peu cliché mais c’est vrai (rires). On aura toujours envie de faire de la musique ensemble. En réalité, on n’a jamais pu entièrement surfer sur la sortie de Groovebox Memories, étant sorti en plein Covid. Les streams c’est chouette mais c’est le live qui nous habite le plus. C’est d’ailleurs de ça qu’on est parti pour la création de Rock Bottom Ballads : le live. Notre live précédent était rempli d’électroniques et on s’est vite rendu compte qu’on voulait revenir à quelque chose de plus organique. On s’est retrouvé en festival à absolument pas profiter du moment, juste à cause de notre propre setup (rires). On était là sans être là. On ne jouait pas réellement ensemble, comme un groupe. Ça a été l’élément déclencheur en réalité.
LVP : Il y a deux ans qui se sont écoulés depuis la sortie de votre premier album, Groovebox Memories. Deux ans pour un groupe c’est à la fois très long et très court à la fois.
Félix : Notre but premier sur cet album a essentiellement été de nous retrouver nous musicalement. On voulait faire un album qui nous parle de A à Z. On entend depuis nos débuts qu’il faut que ça plaise, que ça pète si je peux dire. On a voulu prendre un peu de distance avec cette idée-là. Et c’est tellement agréable.
LVP : On peut dire que la Belgique n’est pas une industrie musicale facile de base. C’était une grosse pression ce besoin d’être connu et de faire parler de soi justement ?
Félix : Je pense que pas mal d’artistes sont trop sages. On veut tous passer en radio parce que c’est ce qu’on nous répète depuis des années. La manière dont ton morceau sera reçu va donc d’une certaine manière dépendre de s’il passe en radio ou non. Sur le côté, si tu ne veux pas rentrer dans cette idée-là, il n’existe pas énormément de plateforme. Il y a en a, attention. Mais quand même plus pour l’underground et la pop que pour l’alternatif et l’indie. C’est d’ailleurs quelque chose d’à la fois très intéressant d’être dans ce creux, mais tout aussi frustrant. Quand on compare avec d’autres pays, la pression de devoir plaire aux radios en Belgique est bien installée. D’autant plus quand la scène musicale belge est autant divisée.
LVP : C’est quelque chose qui vous a déjà démoralisé ?
Félix : Complètement. À force de vouloir trop plaire, tu finis par perdre l’essence de groupe. Tu suis la direction qu’on t’impose, qu’on te recommande mais ce n’est pas ça la solution. On a longtemps cherché une maison de disque aux mêmes sensibilités que nous, qui à cette passion et cette motivation à faire vivre la scène indie. C’est là qu’on a trouvé Unday Records.
LVP : Plus on écoute Rock Bottom Ballads, plus on a l’impression qu’il y possède en son cœur un certain symbolisme. Quelque chose de presque sacré. On est plongé dans cette quête permanente de sens et de recherche de la chose en laquelle croire finalement.
Félix : C’est un peu la colonne vertébrale de l’album. Je trouve que notre génération a perdu un sens, une direction commune. On a peur de croire en quelque chose et de l’assumer. La manière qui nous, nous permet d’exprimer ce en quoi on croit, et nous permet de créer du sens, c’est la musique. Dans son morceau Blue Rose, Amen Dunes parle de sa musique comme quelque chose de sacré, comme quelque chose qu’on aurait du mal à comprendre. C’est un peu le cas sur Rock Bottom Ballads. De manière très thérapeutique, très sacré comme tu dis, on essaye de créer quelque chose qui nous transporte. On a voulu faire passer nos émotions avant tout le reste.
LVP : Vous étiez plus à la recherche de la meilleure sonorité plutôt que de la meilleure note pendant l’enregistrement justement, c’est ça ?
Félix : On voulait créer quelque chose de très spontané en réalité. La manière dont ma guitare était accordée pendant une prise n’avait pas vraiment d’importance si au final, on avait réussi à capturer le moment qu’on voulait capturer. C’est peut-être un peu tordu (rires), mais on voulait rester dans cette idée-là de spontanéité. Après on a des limites, on reste un groupe d’indie. Plus que spontané, l’enregistrement s’est fait de manière très traditionnelle. On s’est éloigné le plus possible des ordinateurs. Je suis arrivé avec ma guitare, mon piano et quelques débuts d’idées puis l’alchimie du groupe à fait le reste. Après on n’a rien inventé ! C’est comme ça qu’enregistraient tous les groupes avant (rires).
LVP : Beaucoup de groupes aujourd’hui se redirigent vers ce genre d’enregistrement très organique alors qu’on est sans cesse entouré de technologies.
Félix : J’ai un peu d’espoir par rapport à ça oui. Je le sens autour de moi aussi en tant que producteur. Et même en général dans la vie j’ai l’impression qu’on cherche un peu ce retour en arrière. Qu’on l’envie du moins. À force d’être connecté à tout et à rien on n’est plus connecté du tout, on ne se parle plus et on s’éloigne les uns des autres. Je pense que notre génération ressent ce besoin de retour à quelque chose de plus sain, ayant vécu cette explosion numérique.
LVP : Elle se nourrit de quoi votre musique à Tin Fingers ?
Félix : D’abord elle se nourrit de nos vies personnelles, de ma vie de famille et de l’amour qu’on ressent chacun au quotidien. Puis je dirais qu’arrive le moment où c’est notre vie à nous en tant que groupe, notre amour de groupe qui prend le relais. On écrit en permanence en réalité, l’idée c’est de mélanger puis de traduire nos propres expériences et aventures personnelles en une seule et même aventure de groupe. On cherche à comprendre nos émotions à travers la musique : on recherche, on questionne et on ose parler des choses qui ne vont pas.
LVP : Comme une thérapie ?
Félix : Clairement. La musique m’a beaucoup aidé à comprendre ce que je ressentais. C’est ça qui est incroyable dans la musique. Une phrase très abstraite peut procurer des émotions différentes aux personnes qui l’écoutent. Et on devrait tous pouvoir trouver ce qui nous permet d’être vulnérable avec nous-même.
LVP : Cet album est d’ailleurs un peu plus mélancolique que d’habitude.
Félix : Je pense pouvoir parler au nom du groupe pour dire que la mélancolie fait partie des choses qui nous inspirent le plus. Tu peux la retrouver dans ce que tu veux cette mélancolie, c’est ça qui est beau. On n’est pas en permanence à la recherche de cette mélancolie, attention. Ça vient par vague puis on filtre les choses qui nous nourrissent aussi.
LVP : Est-ce que ce titre d’album, Rock Bottom Ballads, représente un peu l’étape finale de cette vulnérabilité et authenticité dont l’album regorge ?
Félix : C’est l’extrême je dirais. On doit aussi pouvoir avouer quand on est au fond du trou. Et ce n’est pas grave, ce n’est pas si mal de se sentir comme ça de temps en temps. On en apprend d’ailleurs encore plus sur nous-même. C’est pour ça qu’on a voulu clôturer ce chapitre avec le morceau du même nom. Finalement faire de la musique c’est comme des sessions chez le psy mais en vachement plus cher (rires).
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.