Roméo Elvis de retour à la Maison sur un nouvel EP brûlant
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
25/04/2020

Roméo Elvis de retour à la Maison sur un nouvel EP brûlant

“Pas de promo, pas de clips, c’est que de la musique. Ça faisait longtemps qu’on s’était pas juste concentrés là-dessus. Ça va faire du bien, un peu.” Faisant suite à l’acclamé Chocolat (disque de platine en France et en Belgique) et ouvrant la voie au second album solo du rappeur bruxellois, c’est sous la forme d’un 4 titres audacieux que se dessine la suite des aventures de Monsieur Strauss. Prenant le nom de Maison, le disque opère un retour aux fondements mêmes de ce qui faisait d’un Roméo un bon Roméo : la spontanéité. Salamèche a évolué en Reptincel. Et si vous n’avez pas la référence pokémonesque, retenez juste que Roméo Elvis est chaud, beaucoup trop chaud. Et voici quatre bonnes raisons de le croire. 

Si l’on parle d’audace c’est que, pour passer de l’envergure de l’album studio intellectualisé à l’EP minimaliste, il faut des balls. À l’heure où le show business pousse nombre d’artistes à sacrifier leur sincérité créative au service de machines à gains, Roméo prend ici le pari de l’authenticité, pour livrer une poignée de bangers sans prise de tête. Et c’est finalement dans ce contexte précis que la musique du Bruxellois fonctionne le mieux. Laissant libre cours à sa plume franche et juste, le disque manifeste aussi le retour de ces juxtapositions finement exécutées d’instrus efficaces et de ce flow reconnaissable entre mille. Un travail en famille, sublimé notamment par ses confrères de L’Oeil Écoute Laboratoire, et enregistré entre Los Angeles, Amsterdam et Bruxelles.

“J’suis resté moi-même, en soi c’était un vrai risque” l’entend-on clamer sur son Vinci. Une déclamation qui fait écho aux nombreuses accusations faites à Chocolat pour son côté “trop pop”. Mais comment définir la pop en 2020, finalement ? Trop souvent jugée à tort, la catégorie pop n’a rien de repoussant pour le rappeur, qui confiait d’ailleurs récemment au journaliste Mehdi Maïzi (aka Mehdi Mouseque “la pop fait partie du rap, et inversementDe quoi abattre les idées toutes faites à l’origine d’une polarisation souvent hâtive et faussée des différents genres musicaux. Que Roméo Elvis fasse du rap, de la pop, de la trap ou même de l’italodisco : qu’importe, tant qu’il fait de la musique, c’est l’essentiel. Et de la musicalité, c’est tout ce que vous retrouverez sur Maison, qui semble mêler tant la verve textuelle de ses débuts que l’affirmation extravagante de son identité musicale, présente sur Chocolat. Le meilleur des deux mondes, comme on dit.


J’suis moins puissant que mon seum, moins puissant que cette colère qui me fait rester sur le sol
Le cul collé sur la selle, je roule et j’regarde les hommes, j’ai plus de questions qu’au collège ou qu’un jeu pour gagner des sommes

Sur Défoncé, on retrouve une certaine vibe introspective à la sauce Morale qui fait du bien. Sur les beats ingénieux de La Miellerie (labo bouillant de beatmakers bruxellois) et de VYNK, un sample flûté vient ponctuer un ensemble pétulant et s’harmoniser à la tessiture grave de l’artiste. L’esprit halluciné du refrain nous ramène à ces vives urgences qui colorent parfois nos voyages cannabiques, liant le morceau aux addictions illicites de Roméo. Au milieu des nombreuses allusions poétisées qui bordent le titre, ce sont les allégories liées au cyclisme qui attiseront notre curiosité. Une façon pour Van Laeken de rendre un hommage subtil à son grand-père ainsi qu’à son papa Marka, les trois hommes se transmettant une passion pour le cyclisme de génération en génération. Le célèbre Eddy Merckx y serait même pour quelque chose. Sous le second degré général du morceau semble se cacher une véritable volonté de vider sa tête des doutes qui l’habitent, comme une catharsis des temps modernes, bercée par la chaleur d’une musique urbaine percutante. C’est un peu le secret d’un morceau comme celui-ci : déguiser sa sensibilité en insolence, par des rythmes soutenus et impétueux.

Eh ouais le feu, c’est un peu mon antidote, quand il dort, le Roi délaisse le royaume, attention aux gens qui blessent
Et y’a plus de gentillesse dans mon corps, dans mon cœur, dans mon esprit c’est le feu, le monde est devenu fou

Avec Chaud, on s’attaque au point névralgique du potentiel incandescent de Roméo, auquel il doit sa réputation de pogo master. Celles et ceux qui sont sorti·es ecchymosé·es d’une des folies scéniques du showman peuvent d’ailleurs en témoigner : l’énergie en live est fiévreuse. Et ce n’est sûrement pas ce morceau qui dira le contraire. Exploitant l’une des figures centrales de l’EP, à savoir le feu, il nous délivre ici une enfilade tempétueuse de punchlines partagées entre égotrip et autodérision. “Je suis beaucoup trop chaud, qui va se prendre une flamme ?” scande-t-il, entre deux piques envoyées à cette génération à la dérive qui met “hashtag pour l’Amazonie en feu mais qui la situe pas sur une carte”. Nul doute à l’écoute de cette pépite : l’énergie qui l’habitait sur les scènes de son Chocolat Tour ne l’a pas quittée et continue de le consumer. Un brasier ardent qui n’a pas fini de brûler la planète rap.

Quasi plus d’neurones, je crois entendre le chant des sirènes
J’ai pas le sérum à part une plante qui m’a perché et un peu lessivé
Ça m’a remis les idées en place

Pour Gonzo, c’est un retour aux sources d’un rap old school qui s’opère et qui brille sur une instru signée VYNK et Phasm, le beatmaker derrière l’énervé Tu vas glisser trois ans plus tôt. Une composition instrumentale moins invasive, qui va permettre au rappeur d’imposer plus explicitement son talent d’écriture, pour livrer une exécution technique tout en finesse, le flow comme arme majeure. Le terme “gonzo”, repris notamment dans le monde de la pornographie, fait référence à cette notion de point de vue subjectifRoméo nous offre ici le sien sans langue de bois, pour cracher les couleuvres que ces dernières années lui ont fait avaler : la toxicité de la fame, la pression du succès. D’autres sujets importants s’invitent sur le morceau, à l’image de la lutte contre le réchauffement climatique (dont le rappeur s’était fait militant avec une collection de gourdes crocodiles), la cause animale ou encore les ravages de la drogue dans l’industrie musicale. Pertinent et réfléchi, le texte nous renvoie à la fibre littéraire hors pair d’Elvis, qui fait jongler rimes, doubles sens et autres métaphores dans un manifeste rap classique et pointu.

J’ai les idées de De Vinci
Tout est une question de principe
J’ai fait des concerts pour vingt cents

En clôture de l’EP, c’est à travers une nouvelle fournée d’égotrip que se construit Vincidans lequel le rappeur se compare au mythique peintre de légende. Une comparaison à prendre avec du recul, simple fruit de l’autodérision de l’artiste qui exprime surtout cette idée de méritocratie. Il en profite notamment pour rappeler qu’il y a encore quelques années, c’était les caisses du Carrefour qu’il faisait chavirer. Une humilité terre-à-terre qu’il mêle à un esprit vindicatif, l’ineffable fierté du “j’vous avais dis que j’allais le faire”. Une hymne à la détermination qui se clôture par l’apogée même de la réussite abordée sur le morceau : Michel Drucker. Si vous suivez le quotidien de l’artiste, vous ne serez pas étonné·es d’apprendre toute la fascination qu’il voue à l’iconique maître du paysage audiovisuel français. C’est donc empreinte d’une symbolique toute particulière que l’outro du disque invite monsieur Drucker, à travers un message vocal bienveillant et amical à l’égard de Roméo qui, on le parie, sourit à pleine dent à chaque écoute de ce précieux enregistrement.

Salut Roméo, je te laisse ce message
Je te souhaite une bonne lecture !
C’est Michel Drucker, membre de ton fan club. Écoute, ça m’amuse beaucoup
J’espère que cette saloperie de virus va s’en aller
J’te fais la bise
Salut Roméo

Roméo Elvis est cette “poule aux œufs qui a beaucoup maillé”, une référence adroite à la fable de La Fontaine qui fait sourire et qui s’applique parfaitement à ce Maison : l’intelligence de chérir ce talent spontané et authentique pour la création plutôt que de surexploiter l’envie de faire du gain sur des projets dénaturalisés. Une philosophie artistique sincère, qui mènera bon nombre d’entre nous à repenser la voie toute tracée qui lui avait été trop hâtivement attribuée suite à Chocolat. Avec tout ça, il nous tarde de l’observer évoluer davantage, notamment à travers son prochain album. Et puis, qui sait, voir un jour apparaître le Dracaufeu qui sommeille en lui. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.


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