Royal Blood nous raconte le passage de l’ombre à l’arc-en-ciel sur leur nouvel album
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
30/04/2021

Royal Blood nous raconte le passage de l’ombre à l’arc-en-ciel sur leur nouvel album

| Photo : Jennifer McCord pour NME

“Des putains d’arcs-en-ciel qui sortent des enceintes” : voilà la promesse des Royal Blood pour leur troisième album Typhoons. Si les premiers singles partagés en ce début d’année laissaient déjà présager un virage conséquent pour le duo britannique, l’œuvre complète le confirme : les Royal Blood ont pris des couleurs. Et ce n’est pas la chemise bleu électrique à imprimé léopard arborée par Mike Kerr lors de notre appel qui dira le contraire. L’occasion pour lui de nous raconter en quoi cet album est celui du passage de l’ombre à la couleur, mais également de rêver de concerts dans des dômes laser géants.

Typhoons fait suite à un parcours déjà riche, qui aura hissé le band aux rangs les plus prestigieux de la scène musicale britannique. Adulés par les légendaires Arctic Monkeys avant même la sortie de leur premier single, Mike Kerr et Ben Tatcher (répondant au blase de Royal Blood depuis 2013) n’ont cessé de s’élever. Une évolution qui trouvait son élan dans un genre musical bien (trop ?) délimité : un hard rock aux influences garage qui aura su remettre ce registre bestial et underground au-devant de la sphère mainstream. C’est ainsi que les hymnes corrosifs et violents de leurs deux premiers opus Royal Blood et How Did We Get So Dark? se sont retrouvés à galvaniser les main stages des plus grands festivals : de Rock Werchter chez nous au célèbre Glastonbury en Grande-Bretagne.

Une réinvention en couleurs

Et si on a adoré se fendre la nuque sur les fracas électriques de leurs morceaux et s’abîmer les coudes lors de leurs concerts survitaminés, on vous avoue que leur discographie commençait à se faire un peu trop homogène, vide de surprise. Un changement radical s’imposait, et ce Typhoons semble prophétiquement le cristalliser. Sans pour autant trahir la patte purement Royal Blood, ce troisième opus invite à la table de leur rock garage primitif des convives inopinés : une certaine vibe funky, des structures plus pop et accessibles ou encore des sections électroniques à la sauce French touch. L’occasion d’appréhender quelques couleurs au-delà de leurs multiples nuances de noir.

Quand on a entendu des morceaux comme Limbo et Typhoons pour la première fois, ça donnait l’impression d’avoir des putains d’arcs-en-ciel qui sortaient des enceintes. C’est un peu comme quand tu regardes des vieux films réédités en couleur. On a ressenti ça mais avec notre musique, et c’était très excitant.

 

Avec ce virage conséquent, leur registre prouve sa versatilité et la richesse de ses sonorités. S’il nous tardait de découvrir une masse plus hétéroclite de leur part, Kerr et Tatcher offrent ici onze œuvres bien distinctes et chacune porteuse d’identités propres. Des morceaux qui se rejoignent davantage sur le fond que sur la forme, là où les titres de leur discographie passée semblaient se fondre les uns dans les autres. Somme toute, les Royal Blood ont entendu nos prières, pour la simple et bonne raison qu’ils avaient les mêmes : “une soif d’explorer d’autres genres musicaux”.

Nous avons laissé tous ces genres musicaux de côté pendant si longtemps qu’on ressentait réellement une soif de les explorer. Avec du recul, l’ensemble des deux premiers albums était un peu homogène. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’on allait oser ce mélange, et le faire à fond.

Quant à l’appréhension de ne pas délivrer aux auditeur·rices la musique qu’iels attendaient, Mike Kerr exprime sa confiance en sa communauté :

Cela peut être un peu condescendant de supposer que le public n’est pas prêt pour ce genre de changement, où que notre communauté n’est réceptive qu’à un seul genre de musique. Nos fans sont ouvert·es d’esprit, notamment au niveau musical. Iels sont prêt·es pour cet album.

Malgré tout, autant se le dire : les plus puristes d’entre nous ne trouveront peut-être pas leur compte dans cette édulcoration. Au cours de leur processus d’ouverture à d’autres registres, les deux rockeurs y ont laissé quelques canines et autres griffes saillantes propres à l’univers hard rock. Mais, pour Kerr, il y avait quelque chose d’inévitable dans cette mue : “On ne va jamais se limiter à n’être qu’une seule chose parce que ça marche.” Et puis, après tout, le changement, il n’y a que ça de vrai.

Une merveilleuse tornade de terreur

“Can’t fill these holes that I’m digging. Can’t stop my heart when it’s sinking” crie Trouble’s Coming, le premier single dévoilé en octobre dernier pour annoncer la nouvelle ère Royal Blood. L’occasion pour le duo de préciser que si l’habillage se montre plus pétillant, le sujet reste bien crasseux et térébrant.

L’ambiance de ces nouveaux sons était enjouée, mais je n’étais pas disposé à écrire un texte en mode “Let’s have a good time”. Je ne suis pas ce genre de mec.

 

J’aurais du mal à écrire un texte qui serait fictionnel, mes références c’est plutôt mon vécu. Au final, sans vraiment le réaliser, ces thématiques autour de la santé mentale sont devenues des fils conducteurs de l’album. Et c’est toujours agréable de retrouver un thème majeur dans un disque, ça donne l’impression d’y retrouver un certain langage cohérent qui se poursuit de titre en titre.

S’est alors opéré le périlleux exercice du “faussement joyeux” : relater des sentiments de misère sur des riffs pétulants. Un procédé déstabilisant, qui vous piégera à danser les bras en l’air sur l’histoire d’un mec qui galère face à ses addictions et ses démons. En témoignent les lignes de Mad Visions ou Who Needs Friends. De ces luttes intérieures, Mike Kerr parvient visiblement à faire ressortir la fibre galvanisante et pleine d’espoir à laquelle on ne s’attendait pas vraiment.

Le propos de cet album, c’est se libérer de l’obscurité.

Pour transposer ce passage alambiqué des enfers à la surface, c’est du champ lexical et sonore de la tension et de la tourmente que s’est imprégné le tandem. Les constructions instrumentales cauchemardesques s’invitent alors en filigrane sur des titres tels qu’Oblivion ou sur les fluctuations électroniques étourdissantes de Million and OneC’est également sur le jeu du crescendo que se sont appliqués les deux musiciens, nous offrant des bridges véhéments. On relève ainsi celui de Typhoons (à 2:30) qui s’appuie sur une enfilade de guitare électrique survoltée ou encore celui de Limbo (à 3:17) qui ne va pas sans rappeler la fibre électro incisive d’un bon Justice.

De la rage à la danse

La vraie bonne surprise de cet opus, c’est sa faculté à coupler fièvre et sections dansantes. Alors que la bande royale nous avait habitué·es à tout balancer, voire “tout détruire” selon KerrTyphoons nous invite à synchroniser nos bassins et nos pieds à nos fracas de tête. On se surprendra ainsi à chalouper sur la funk (subtile, mais décelable) de Mad Visions ou le groove calorifique de Hold On.

Mais l’œuvre la plus symptomatique de cette réinvention reste certainement Either You Got It. Un détour qu’on serait tenté·es de qualifier de pop-rock (mais qu’est-ce qu’un genre musical en 2021, après tout ?) qui titillerait presque les sphères édulcorées d’un Foster The People, tant au niveau de l’instru plus légère que des voix de tête pourtant si rares dans l’univers Royal Blood.

Un final surprise (et en douceur)

Vient alors le grand final de ce 11-titres justement balancé : All We Have Is Now. Et pour le coup, celui-là, on ne s’y attendait vraiment pas. Composée d’un simple piano-voix crépusculaire et mélancolique, la conclusion de l’opus vient nous caresser les tympans et la joue après la dizaine de claques assenées. Dans le game du contrepied, Royal Blood frappe fort.

C’est indéniablement le morceau le plus vulnérable et fragile qu’on ait jamais sorti. S’il s’est retrouvé sur cet album, c’est surtout parce qu’on croyait en lui. On a rapidement eu conscience que c’était une œuvre très spéciale, dès son enregistrement. C’est presque une démo, parce qu’on a décidé de mettre sur l’album une version très spontanée, enregistrée sans vraiment savoir qu’on allait la réutiliser. Comme une capture de l’instant t. Et c’est justement le sujet de ce morceau : être dans l’instant. 

 

Une courte parenthèse suspendue, dont la forme dénudée et épurée fait mouche, et qui promet un contraste saisissant sur scène. Difficile, en effet, d’imaginer cette ode à la Lennon se glisser entre les vacarmes déchaînés du répertoire des Royal Blood.

J’ai vraiment hâte de jouer ce morceau en live, parce que nos sets ont toujours été si brutaux. On n’a jamais vraiment réussi à trouver une dynamique équilibrée qui nous permettrait de jouer plus d’une heure. Et ce genre de morceaux peut nous aider à trouver cet équilibre dans notre setlist, en s’accordant des instants de respiration. J’ai toujours envié les artistes qui jouaient ces ballades plus calmes en live, car cela donne lieu à des instants suspendus assez uniques. Donc j’ai vraiment hâte de pouvoir le vivre à mon tour.

Et en parlant de lives, le band (qui était censé débuter sa tournée estivale en Belgique au festival de Rock Werchter) a annoncé une nouvelle tournée pour 2022. Pas encore d’escale prévue chez nous, mais on croise les doigts pour voir de nouvelles dates se rajouter dans un prophétique futur déconfiné. Un retour pour lequel Mike Kerr, dans un élan de nostalgie et d’impatience, ne manque pas d’ambition : “Je veux juste danser au milieu d’un dôme laser géant.” Nous aussi Mike, nous aussi.

Dans l’ensemble, Typhoons se dresse sans équivoque comme l’élan le plus abouti des Royal Blood. Non seulement pour sa réinvention taillée pour les dancefloors, mais également pour sa capacité à ne jamais vraiment trahir l’identité du duo. L’énergie primitive et bestiale de leurs débuts s’y retrouve toujours, de façon subtile ou plus explicite – à l’instar du grondant Boilermaker, tout en s’ouvrant à des registres moins rudes. Un disque au propos personnel, érigé comme une allégorie du passage de l’ombre à la lumière, et qui laisse la noirceur des Royal Blood s’immerger dans des vagues de couleurs bienveillantes. Une étonnante chimère de rock clubby à consommer les dents serrées et les bras en l’air.