Solar Power : la mue radicale et solaire de Lorde, plus légère que jamais
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
26/08/2021

Solar Power : la mue radicale et solaire de Lorde, plus légère que jamais

Faisant suite à un long hiatus de près de quatre ans ayant suivi le succès planétaire de Melodrama, le troisième long-format de la Néo-Zélandaise n’avait finalement besoin que de peu de choses pour faire beaucoup de bruit. Seulement voilà, alors que beaucoup s’attendaient à retrouver leur dark pop queen aux influences électro et aux textes torturés, c’est une toute nouvelle Lorde qui s’est offerte à elleux à la place. Solar Power est un virage sans concession, fidèle à la philosophie actuelle de la chanteuse. Un objet infusé à l’hédonisme hippie et imbibé de la production organique de l’omniprésent Jack Antonoff. De quoi faire grincer pas mal de dents. Mais est-ce vraiment bien nécessaire ? 

Après tout, ce genre d’audace n’en serait pas un sans diviser les foules. La fanbase de Lorde n’a qu’à digérer l’affaire : Pure Heroine et Melodrama sont des doux souvenirs du passé. Pour savourer ce Solar Power sans frustration, il est dès lors nécessaire d’effectuer deux choses. Premièrement, absoudre Jack Antonoff, producteur d’à peu près toutes nos artistes favorites (de Lana Del Rey à Clairo en passant par St. Vincent), de plonger bon nombre d’univers bien singuliers dans une soupe homogène faite de rythmes folks intimistes légers. Comme si l’exercice de la production simultanée de projets différents lui incombait de laisser traîner çà et là les mêmes gimmicks. Deuxièmement, une oubliette quasi-totale de la discographie passée d’Ella Yelich-O’Connor pour accepter qu’elle a immolé l’intensité tragique de ses débuts pour une légèreté plutôt opportune en ces temps chamboulés.

 

Une transition qui se ressent autant dans sa nouvelle esthétique, symbolisée par des robes fluettes aux tons de jaune canari, que dans les mélodies qui ponctuent la galette. Fini les percussions fracassantes et les envolées cuivrées théâtrales, c’est accompagnée de guitares minimalistes et d’instruments à vent plus discrets qu’elle compose l’univers de ce nouveau chapitre.

Cette mue, elle la doit notamment à une prise de conscience semi-existentialiste, semi-climatoanxiogène. Le temps qui passe, la planète qui brûle, tout ça, tout ça. On est donc loin des errances sentimentales qui avaient rendu son deuxième album si universel et bouleversant. Le propos se veut plus diffus et abstrait. Lorde est désormais une sorte de matriarche à la tête d’un culte nouveau : celui de l’hédonisme occulte et écologiste qui se tire des bongs dans des fenouils et s’organise des week-ends entre consœurs façon Midsommar. Au niveau de l’univers, rien à dire : l’immersion est rondement menée. 

L’aspect spirituel de l’opus est d’ailleurs ce qui frappe le plus, et ce, dès l’introductif The Path. Deux sections de voix s’y entremêlent en harmonie avant de laisser place à une communion vocale plus fournie, gimmick réitéré tout au long du projet. On retrouve alors ces superpositions de timbres sur les refrains de Solar Power, debut single de l’album, ou sur les sections groupées de Leader of a New Regime, récit post-apocalyptique d’une popstar, armée de ses robes haute couture et de ses magazines, qui embarque à la conquête d’une planète meurtrie. L’inspiration est bien présente.

 

L’écriture de Lorde étant l’une de ses armes fétiches, on retrouve l’intelligence de ses textes inspirés des petites choses de son quotidien, rendues lyriques à l’aide de métaphores fines. Lorsqu’elle versifie une crise existentielle sur le délicat Stoned at the Nail Salon, elle offre ainsi un véritable instant de poésie avec des lignes à l’allure désuète, mais pourtant pleines de symboles : “‘Cause all the beautiful girls, they will fade like the roses. And all the times they will change, it’ll all come around.”

Aussi, alors que les textes de la parolière s’étaient le plus souvent ancrés dans des situations bien concrètes de cœurs brisés sur Melodrama ou de tribulations adulescentes sur Pure Heroine, on la découvre ici beaucoup plus évasive. Comme lorsqu’il s’agit de livrer un hommage à Mère Nature sur l’exaltant Fallen Fruit ou encore sur Oceanic Feeling, un titre à la consistance et au dynamisme quasi nuls, véritable plaie lorsque l’on décide de clôturer l’album avec. 

 

To the ones who came before us
All the golden ones who were lifted on a wing
We had no idea the dreams we had were
Far too big

Heureusement, niveau rythmique, on peut compter sur une collection de titres renouant avec la fibre pop du début des années 2000 : Mood Ring et Secrets From A Girl (Who’s Seen It All). Le premier, intimement lié aux notions entourant L’Ère du Verseau et la culture du flower power des années 60, nous propulse quinze ans en arrière avec une vibe Natalie Imbruglia tout bonnement réjouissante. Le second est décrit par Yelich-O’Connor comme une rencontre entre Eurythmics et Robyn – cette dernière s’invitant d’ailleurs sur l’outro du morceau. Une friandise acidulée à la pop générique née d’un processus des plus intéressants : “J’écoutais Ribs et je pensais à qui j’étais à cette époque de ma vie. J’avais une telle appréhension de ce qui allait arriver. J’ai pris deux des accords de cette chanson et je les ai inversés. C’est le futur moi qui lui réponds en lui disant “ça va aller”, confie l’artiste.

Autres coups de cœur de la collection, et certainement les plus riches du lot au niveau des mélodies, California et Dominoes, sur lesquels résonne toute la finesse de la Fender Jaguar, instrument majeur retrouvé tout au long de l’opus. Depuis les studios mythiques de l’Electric Lady à New York, les deux morceaux se sont construits comme des élans sans prise de tête, aux textes simples et efficaces et aux compositions moelleuses, comme les hymnes lumineux d’une utopie sixties aux senteurs de chanvre.

 

Au milieu de toutes ces ondes positives, pas facile de caser des parenthèses plus moroses, pourtant si propres à l’univers de la chanteuse. Pour assurer les larmoiements, c’est sur The Man with the Axe et Big Star que Lorde misera, sans grand succès. Pas facile de bouleverser les cœurs quand on est ainsi gorgée de vitamine D et de jus détox revigorants. Force est de constater que Lorde n’est plus vraiment capable de faire pleurer nos ventricules. Et on s’en va alors réécouter Liability pour notre session crève-cœur de la journée.

Somme toute, ce troisième album de Lorde n’est pas celui qu’on attendait. Ses errances au soleil semblent lui avoir fait oublier les fondements de son univers pour la tourner vers une philosophie musicale plus timide, moins grandiloquente, mais pas inintéressante pour autant. La folk intimiste pensée en équipe avec Jack Antonoff ne sera certainement pas un monument de sa discographie, mais permettra néanmoins de souligner sa versatilité et son audace, tout en nous régalant d’une délicieuse galette à se passer dans les oreilles les jours de canicule.