Sometimes I Might Be Introvert : l’entrée triomphale de Little Simz dans la cour des grand·es
"
Auteur·ice : Augustin Schlit
27/09/2021

Sometimes I Might Be Introvert : l’entrée triomphale de Little Simz dans la cour des grand·es

Sur un continuum allant de votre grand frère un peu boomer qui a connu le “véritable âge d’or du rap” aux chroniqueur·euses aguerri·es, trop bien informé·es et passionné·es pour tirer des conclusions simplistes, tout le monde semble plus ou moins se ranger derrière l’affirmation que le rap conscient n’a plus vraiment droit de cité sur nos ondes. Alors oui, la bande à JuL a largement dévié notre attention sur un pan plus festif de la culture hip-hop, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours pour nous déplaire. Mais quand on y réfléchit bien, des artistes comme Aya Nakamura, qui challengent les codes de domination masculine ne proposent-iels pas une nouvelle forme de rap conscient à leur manière ? Vous avez deux heures. En ce qui nous concerne, on préfère se dire que la force brute et frontale des précurseur·euses s’est progressivement affinée pour intégrer une part de dénonciation dans un spectre plus large, plus subtil. Conclusion, si on sait où chercher, on réalise vite que de nombreux·ses artistes portent encore fièrement la flamme d’un rap engagé et conscient. Ce faisant, certain·es ont porté cette pratique vers des sommets que leurs prédécesseur·euses n’auraient jamais rêvé atteindre. C’est le cas de notre invitée du jour.

Aux grands maux les grands remèdes. Voilà sans doute le modo qui a du animer Simbi Ajikawo au moment de concrétiser ce qui allait devenir son album le plus ambitieux à ce jour. La MC britannique a en effet mis tout en œuvre pour que Sometimes I Might Be Introvert (que nous nommerons désormais SIMBI pour des raisons évidentes de flemme) ne passe pas inaperçu et tout dans la promotion de ce projet transpirait la volonté de passer au niveau supérieur. Dès les premières notes, le message est clair, Little Simz est prête à passer dans la cour des grand·es. Entendez-nous bien, de notre point de vue, cela fait un bout de temps qu’elle y est. Pourtant, année après année, on observe avec effarement l’industrie musicale rechigner à lui donner la place qu’elle mérite. Et si les raisons qui font que Little Simz a été sous cotée toutes ces années sont aussi celles qui font qu’elle mérite sa place au panthéon des artistes qui marqueront leur époque ? La réponse pourrait bien se trouver dans ce nouvel opus.

 

On ne va pas faire durer le suspens bien longtemps, SIMBI est un grand disque. Que ce soit sur le fond ou sur la forme, l’album ne cesse d’impressionner par sa pertinence, son audace et sa maturité. Le morceau Introvert, très judicieusement placé en ouverture, résume d’ailleurs à lui seul ce qui fera la force de cette œuvre sur l’ensemble des 65 minutes qui la composent : un disque intense, qui réussit avec brio un numéro d’équilibrisme entre des moments d’intimité troublants et des thématiques fortes à portée universelle. Sans retenue, Little Simz se dévoile à nous comme jamais auparavant dans une démarche qui ne peut être que thérapeutique. On pense évidemment instantanément au poignant I Love You, I Hate You, qui voit l’artiste régler ses comptes avec son père absent de la façon la plus noble qui soit. Cet album est aussi une manière de faire la paix avec une part de sa personnalité qu’elle a toujours eu du mal à assumer pleinement dans un milieu professionnel basé sur les relations interpersonnelles et une bonne dose de paraître. Et comme si ça ne suffisait pas, elle parvient, en toile de fond, à offrir un discours fort sur le colonialisme, le patriarcat ou encore le culte de l’image. Tant de problématiques qui questionnent le monde dans lequel nous vivons, et auxquelles l’artiste fait face jour après jour pour mieux les démonter avec une précision chirurgicale.

 

Côté productions, le disque fait également preuve d’une générosité sans pareille. Exit les sonorités bruts et froides de Grey Area, Simz renoue avec sa passion pour les instrumentales luxuriantes sans pour autant être pompeuses. Jamais incohérent, SIMBI jongle constamment avec les codes du RnB, de la soul, de la musique classique et du hip-hop, pour passer en toute fluidité sur des sonorités d’Afrique de l’ouest sur le dernier tiers de l’album. Mention spéciale d’ailleurs à l’entêtant Point & Kill et à l’alchimie qui découle de la rencontre avec son compatriote, Obongjayar. Au fil des titres, on est frappé.es non seulement par la richesse des influences, mais surtout par la pertinence de chacun des choix instrumentaux. Jamais opportuniste, chaque production joue un rôle précis et vient sublimer les propos de l’autrice pour un résultat qui n’en sort que plus poignant.

En guise de clôture, le titre Miss Understood nous présente une Little Simz apaisée, comme libérée du poids de tout ce qu’elle vient de partager. Aux antipodes de la puissance qui se dégageait de l’ouverture du disque, le morceau permet à SIMBI de tirer sa révérence, sans regrets ni non-dits. On se réjouit alors d’avoir eu le sentiment d’accompagner l’artiste dans ce cheminement, tout comme il nous tarde de découvrir les perspectives créatives qui se dégageront de cet accomplissement.

 

Sometimes I Might Be Introvert, c’est la preuve indiscutable que lorsqu’un·e artiste est capable de faire abstraction de l’aspect pervers du star-system qui le·la pousse à travestir sa vision au profit de la popularité, iel se donne le moyen d’atteindre son plein potentiel créatif. Ce que vient de faire Little Simz, c’est tout simplement foutre la honte à toute une série de soi-disant GOATs qui passent finalement plus de temps à comparer leurs kekettes qu’à tenter de faire évoluer leur musique.


@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@