Tawsen, prince du néo-raï, nous raconte l’écriture de son troisième EP Al Najma
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
24/01/2021

Tawsen, prince du néo-raï, nous raconte l’écriture de son troisième EP Al Najma

Au croisement de la pop et du raï, infusant aussi bien l’italien, l’arabe ou l’espagnol dans ses textes, la sensation Tawsen s’apprête à faire scintiller son troisième EP Al Najma. Avec ce dernier volet d’une trilogie mettant à l’honneur un style raï love assumé et maîtrisé, l’artiste belge continue d’étoffer une carte de visite déjà bien riche, qui attise autant la curiosité que l’envie brûlante de dandiner les épaules. On l’a rencontré à quelques jours de la sortie de son dernier projet en date pour discuter de sa confection, entre humour décomplexé et second degré gagnant. 

© Photo : Ines Verheyleweghen

On remarque d’abord chez le chanteur une certaine obsession de la structure : ses trois EPs se rejoignent aussi bien par leur titre que par leur architecture, jusqu’à faire correspondre leur date de sortie – des 22 du mois.

J’ai sorti le premier EP quand j’avais 22 ans, et du coup à l’époque j’ai trouvé ça amusant de le sortir le 22. Après, j’ai commencé à apprécier cette idée de structure, voire de symétrie : chaque EP comporte dix morceaux, dont un central – Comme une fleur, Comme une cigale, Comme la lune – qui vient scinder l’album en deux.

Un troisième EP qui prend le nom d’Al Najmatraduisez “l’étoile” et dont l’inspiration découle du film Interstellar du génie Nolan“J’avais déjà l’idée de trinité terre-mer-ciel, d’où les deux premiers EPs Al Warda (“la rose”) et Al Mawja (“la vague”). Pour le troisième, je voulais donc refléter le thème céleste, et l’idée de distance dans le film entre le personnage principal et ses enfants m’a beaucoup parlé. Du coup, “l’étoile” ça a tout de suite fait sens.”

L’esprit céleste et crépusculaire semble ainsi influencer les sonorités retrouvées sur le disque, dans l’ensemble légèrement moins chaud que ses deux prédécesseurs, marqués notamment par les succès Marrakech et Safe Salina à la fibre ardente. On observe notamment cet apaisement sur La météo, l’un des titres annonciateurs du projet.

J’ai conscience que mes gros succès sont des morceaux dansants. Et, pour ma part, j’aime penser ma musique par rapport à la scène. Du coup, j’avais envie de composer des sons qui pourraient assurer la partie plus douce de mes lives. Il y a aussi le contexte actuel qui m’a motivé à proposer des sons plus posés et plus mélodieux pour accompagner, d’une certaine manière, des journées parfois un peu plus grises.

 

Comme par le passé, le fil conducteur de la plume de Tawsen reste l’amour. Un love suintant qui fait la force de ce néo-raï hybride, rattaché aux fondements du genre. Impossible de ne pas penser à Cheb Hasni, surnommé le Rossignol du Raï, considéré par beaucoup comme le précurseur du raï sentimental. Sans complexe, le chanteur nous offre sur Al Najma une porte ouverte sur ses sentiments, sur une sensibilité que trop peu s’autorisent à démontrer. Plus qu’une démonstration, c’est presque une célébration que Tawsen propose. Et ça fait du bien.

C’est la musique qui m’autorise à être aussi impudique vis-à-vis de mes sentiments, ou de la façon dont je gère mes relations. 80% de mes morceaux commencent par des SMS remplis de non-dits. Et ces choses-là, j’ai plus de facilité à les aborder via mon art.

Au niveau du traitement du sujet, c’est dans l’ambivalence du sentiment amoureux que Tawsen va puiser son inspiration. L’EP est ainsi teinté de diverses nuances : l’amour paisible et idyllique sur Layla ou Sailor Moon aux airs légers et chaloupés, tandis que c’est l’amour plus alambiqué et torturant qui s’invite sur Décembre ou Toxique. Les ambiances sont multiples, également. Sur les morceaux aux thématiques plus complexes, on ressent une certaine nostalgie, voire une mélancolie. Contrastent alors avec ferveur des morceaux comme Cherry Bye Bye, dont la chaleur pop bouillonnante nous rappelle l’aisance avec laquelle Tawsen peut assurer un tube dansant imparable.

C’est important de représenter les deux côtés, car l’amour c’est à la fois positif et négatif. Mon but, c’est de toucher un maximum de personnes. Que ce soit par les sonorités ou les textes. Du coup, tout le monde peut se retrouver soit dans l’une ou l’autre approche de l’amour. Et pour moi c’est toujours un petit kif de recevoir des retours de personnes qui se retrouvent dans mes textes. Ça prouve bien l’universalité d’un sujet comme celui-là.

 

Si une certain cohérence s’observe entre le thème des morceaux et la mélodie de ceux-ci, un titre comme Comme la lune semble prendre le contre-pied. Alors qu’il aborde une certaine situation de non-retour, l’amour qui bat de l’aile, Tawsen décide de poser ses lignes dures sur une prod mouvementée, dansante et énergique. Jolie démonstration d’une musique idéale pour pleurer sur le dancefloor. Ou quand twerk et cœur brisé font bon ménage.

Comme la lune va prendre une histoire morose pour en faire quelque chose de festif. Exactement comme Safe Salina, qui a beau être un morceau qui parle de rupture mais sur lequel tu vas pouvoir t’ambiancer à un mariage. Pour cela, je m’inspire beaucoup de Stromae. À l’époque, quand tu voyais tout le monde danser sur Papaoutai, dont la thématique est extrêmement triste, je trouvais ça fascinant. Ce n’est pas parce que le sujet est compliqué que tu dois forcément en faire un morceau mélancolique.

En véritable chanteur à part entière, on retrouve sur Al Najma comme sur ses autres projets une volonté de lier la technique à la mélodie. Si Tawsen maîtrise le sens du rythme, il fait également ses preuves sur des configurations vocales moins évidentes. On retiendra notamment l’intro frissonnante de La Météo ou la justesse de Toxique, titre le plus exigeant selon l’artiste. Sur fond de riffs bouclés, la composition voit Tawsen passer du grave à l’aigu jusqu’à dévoiler un timbre agréablement voilé sur les refrains.

Toxique, c’était le challenge de l’EP. Les notes qu’Amir (Boudouhi) et moi avons décidé d’incorporer à la mélodie ne sont pas celles que j’ai l’habitude d’utiliser. J’ai dû apprendre à les reproduire et les manipuler. La configuration du morceau – qui est un guitare-voix – ne te permet pas forcément de te cacher derrière un flow, par exemple. C’est le texte et surtout l’émotion qui vont primer, et ça passe par la technique. Ma voix doit servir au morceau, et parfois ça implique de se focaliser plutôt sur la technique que sur la mélodie, parfois l’inverse. 

 

Dans la lumière de ses trois premiers EPs, Tawsen envisage la suite avec sérénité et quiétude : “On va d’abord profiter d’Al Najma et le reste on verra après”. Prenons donc le jeune artiste à la lettre en s’immergeant dans cette nouvelle exécution rondement menée d’hybridation pop, raï et variété française qui se dresse comme une fraîcheur opportune dans le paysage musical actuel.


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