Chamber Songs est un des meilleurs albums de cette rentrée. Nous nous sommes assis·es avec We Hate You Please Die avant la sortie de cet opus pour discuter de leur réorganisation en trio, leurs influences musicales et leurs textes engagés.
“Euphoria and stress rises inside of me / Fire inside my belly” la ligne d’Adrenaline qui ouvre le troisième album de We Hate You Please Die (WHYPD), Chamber Songs, envoie un message clair sur le programme proposé par le groupe Rouennais. On n’en attendait pas moins d’un groupe qui vous déteste (gentiment).
La tension grandissante du morceau vous prend à la gorge. Une tendance Riot grrrl se dégage de cet opus et offre presque un manifeste du renouveau pour ce qui est désormais un trio. Défait d’un ancien chanteur qui a dû prendre en charge des difficultés de santé mentale en s’éloignant du groupe, WHYPD propose ici une réorientation bienvenue de sa ligne musicale. Joseph Levasseur, guitariste et compositeur des morceaux, abonde : « Oui c’est plus homogène sur cet album. On trouve ça vachement plus facile de travailler comme ça qu’avant en fait. Sur l’homogénéité de cet album par rapport aux autres, c’est sûr qu’il y a eu une évolution de nos goûts et de ce qu’on a envie de faire. Je pense qu’avant ça partait plus dans tous les sens. Certain·es aimaient bien. Là, je pense qu’on a trouvé l’envie de creuser dans une direction plutôt que dans plusieurs en même temps ».
Cette direction a largement été redéfinie par la prise en main du chant lead et de l’écriture des paroles par Chloé Barabé, déjà autrice de plusieurs morceaux auparavant. Ces « chansons de chambres » rédigées à la manière d’un journal intime traitent de sororité, de la confiance en soi des femmes, de leur émancipation du regard masculin et de l’anxiété de nos vies contemporaines. Chloé qui rédige désormais tous les textes de WHYPD, endosse ce traitement des questions de domination masculine, y compris dans le monde du rock, par des textes clairs. « Oui en tant que femme dans le rock, ce sont des sujets qui sont importants à aborder. Ce sont des choses que je vis vraiment au quotidien et je pense que c’est hyper important de pointer du doigt certaines choses et de les dénoncer. Parler de sororité est très important et surtout dans notre milieu. […] More Women on Stage par exemple ce sont des initiatives très importantes. Donc je fais mes petits textes voilà, si ça peut faire évoluer et faire bouger des choses c’est tant mieux ».
Chloé ne fait pas qu’écrire des petits textes puisqu’elle s’occupe aussi de donner la parole aux femmes dans le monde de la musique via l’initiative Go Girls, portée avec Lucie Marmiesse, également en charge de la communication du groupe. La chanson Stronger Than Ever est un véritable hymne féministe appelant à se débarrasser de l’idée de plaire à certains hommes en attendant leur validation. « Oui, cette chanson parle de l’émancipation des hommes, de ce sentiment qu’ont beaucoup de femmes autour de moi, ce besoin de validation auprès des hommes. Donc j’avais envie de faire une chanson pour toutes mes copines et parfois moi évidemment, une chanson de ras-le-bol de ce sentiment. Rien à foutre, je suis libre, je fais ce que je veux et je m’en fous de ce que vous pensez ».
L’engagement politique des artistes ou non est une vieille lune de la critique musicale, mais qui a envie d’écouter des artistes désengagé.es ? A part à servir la soupe commerciale, des groupes qui n’ont rien à dire ne sont pas très intéressants. Pour Mathilde Rivet, batteuse, est-ce que WHYPD revendique des textes politiques ? « Oui quand même un peu, je veux dire tes textes (s’adressant à Chloé) ça ne parle pas de choses random, il y a des vrais thèmes et des sujets évoqués. Nous trois on a quand même des valeurs et je pense que c’est important quand on fait de la musique d’avoir des choses à dire en fait ».
La situation politique de l’été, la montée de l’extrême droite et l’application de ces idées par la droite politique ont poussé le groupe à s’engager contre le RN lors des dernières élections législatives. La crainte d’une casse sociale pèse forcément sur les consciences. Pour l’instant, le groupe vit de l’intermittence et d’un calendrier de tournée bien rempli. Pour Joseph, « Oui, pour nous, ce sont pas du tout les ventes d’albums qui nous permettent de vivre, ce sont surtout les concerts. C’est toujours complètement incertain et un peu hasardeux. Et donc ça dépend vraiment du nombre de concerts prévus. Et là cette année, on a fait surtout des grosses phases de préparation pour l’album et on n’a pas fait de concert. On va recommencer en septembre, du coup ça va être une petite année… Mais, la France a l’avantage pour les groupes qui peuvent tourner. Et c’est vrai qu’un·e tourneur·neuse ça aide, c’est différent que quand on n’en avait pas, c’était des plans à l’arrache et on n’était jamais salarié.es. […] Je pense que la France c’est un des pays les plus aidants pour ça. En Angleterre, eux franchement je les plains, déjà avec le Brexit, et puis la reconnaissance, l’aide et le financement pour les artistes ce n’est pas énorme ». Cette incertitude nourrit en partie les textes de Chloé. Même si la situation peut être angoissante, elle « n’échangerait pour rien au monde ce qu'[elle] fait ».
La musique performée en live et en studio par le groupe contient cette force de l’engagement. Le punk-rock, allié au nom choisi par le trio, peut laisser penser à une provocation. Pourtant Mathilde rappelle que « oui on fait du punk mais dans la vie de tous les jours on est des gens calmes et optimistes ». Pour Joseph : « ce n’est pas un groupe complètement nihiliste et destructeur. C’est un nom qui provoque et soulève des questions et il y a plein de gens qui pensent qu’on était juste un groupe de grindcore alors qu’au final c’est juste du punk-rock ». En observant ces personnes dans ce joli café Rouennais, le Citizen, entouré de plantes et sirotant des boissons sans alcool ,on est heureux de voir que les musiques à guitares ne s’enferment plus dans leur cliché dur et viriliste. Chloé vit la vie d’artiste rêvée : lecture, balade, session d’écriture à Cabourg, au bord de la Manche et concerts. « C’est vrai que je lis pas mal et vu qu’on est en pause (de tournée) j’ai que ça à foutre haha. Je lis des bouquins, je vais voir des concerts ». Joseph habite à la campagne et fait de « la marche méditative », même si cela provoque l’hilarité de ses comparses. La rage qui habite ces individus n’en est pas pour autant éteinte par leur optimisme. Au contraire, pour Mathilde, « la musique c’est un exécutoire. Moi j’avais besoin de taper sur des trucs à 7 ans donc j’ai commencé la batterie. (rires) ». Sans posture nihiliste de façade, avec l’énergie de s’inscrire dans les questionnements de leur époque, WHYPD offre l’exemple d’un collectif qui utilise une certaine forme musicale pour interpeller et faire passer des messages, sans s’enfermer dans la caricature.
Entourée par des ami.es musicien.nes dans une ville connue pour sa scène rock, Joseph, Mathilde et Chloé partagent leur mode de vie avec les autres groupes normands comme DYE CRAP, Ellah A.Thaun, Servo. Cette proximité ajoute forcément au son du groupe. « Globalement il y a quand même une effervescence musicale à Rouen qui est assez dynamique. Nous on l’a ressentie dès qu’on a commencé nos répètes et à faire des concerts en fait. Pour les lieux, il y a essentiellement le 3 pièces que tu connais, c’est une petite jauge donc c’est pour les petits concerts. Et puis le 106 mais du coup qui est très gros. Entre les deux, il y a le Calife qui est un peu excentré mais très chouette. J’ai surtout l’impression qu’il y a beaucoup d’envie et de groupes différents ou de projets différents qui se créent. Et l’occasion d’échanger avec des gens qui ont des projets un peu similaire au tien et de voir tous ces projets évoluer en même temps ça crée cette effervescence qui est très motivante ». Pour Joseph, cet écosystème participe donc aussi à l’évolution du groupe. Mathilde par exemple participe à d’autres projets musicaux. « J’ai un groupe de Screamo qui s’appelle L’Idylle et je suis batteuse pour une chanteuse qui s’appelle Laphilantrope. Et moi je m’inspire un peu de tous ces styles là et ça m’a fait beaucoup progresser dans ma musique ».
Le son du groupe se nourrit donc à toutes ces sources. Si Chambers Songs sonne un peu plus shoegaze par endroit, c’est aussi parce que Chloé en écoute de plus en plus. Sur le morceau Surrender notamment cette influence se ressent beaucoup. « Effectivement j’apprécie beaucoup ce morceau qui a un côté shoegaze et j’adore ça, donc quand Joseph l’a composé, j’étais vraiment très contente et c’était l’occasion de chanter vraiment. Pourquoi pas alterner Shoegaze et des choses plus vénères ». Une chose est sûre, la base reste la même, le trio revendique les influences de Sonic Youth et de Kim Gordon mais aussi plus récemment celle d’Amyl and the Sniffers. En revanche, plus de traces des groupes garages qui revenaient autrefois dans les influences de WHYPD. Mathilde le dit de façon directe : « on peut quand même dire qu’on veut s’éloigner du nom de garage. C’est plus du tout un son qu’on revendique ». Pour Joseph : « On assume d’avoir aimé, mais désormais on kiffe sur d’autres trucs ». D’ailleurs Mathilde est « une fan de Screamo et de Hardcore. En ce moment j’écoute un groupe trop bien qui s’appelle Blind Girls avec une meuf qui scream trop bien. Voilà, je voulais le caler ».
Les pages du journal intime de WHYPD continuent donc de s’égrener, au fil des changements politiques, des influences musicales différentes et des bouleversements individuels. Ce qui reste au cœur du son de ce nouvel album, c’est la puissance des guitares et des arrangements de Joseph, le rythme brutal imposé par la batterie de Mathilde et la voix rock de Chloé.
Je soutiens la thèse que Lana Del Rey est la nouvelle Bob Dylan.