Cero Ismael soigne ses plaies avec AS MUCH AS YOU DID BEFORE
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
30/04/2022

Cero Ismael soigne ses plaies avec AS MUCH AS YOU DID BEFORE

Le moment est à l’apaisement des sad boiz and gurlz que nous sommes avec la plus douce des musiques signée Cero Ismael. On vous parlait du Hollandais en 2021 pour sa capacité à s’ouvrir au monde et avoir le courage d’être vulnérable sur Blue Man. Un an plus tard, il nous revient sur un onze titres qu’on ne pourrait se résoudre à laisser sombrer dans les tréfonds des plateformes de streaming. Il nous faut célébrer un Cero Ismael moins triste, offrant une émouvante mélancolie, magnifiant son flow à coups d’instrus aériennes et effets vocaux sur AS MUCH AS YOU DID BEFORE.

Il serait impossible de placer cet album sous le signe d’une seule émotion, car il en arbore une multitude, toutes plus complexes les unes que les autres. Elles témoignent de la capacité de Cero Ismael à décrire ce qu’il ressent, non seulement par les mots, exercice qu’il maîtrise depuis bien longtemps, mais aussi via un large spectre de productions qu’on doit à Jopie & Rijnbaart. Les morceaux y sont courts, un peu déstructurés (sans nous déplaire) mais prennent chaque occasion pour gagner en intensité.

Lorsque le RnB s’entoure de nuages, ça donne quoi ? Ça donne une quiétude instantanée contrastant avec la lourdeur des sujets. A l’écoute de cet album, la dureté des sentiments qui nous ont habité·es s’en va momentanément, pour nous laisser une sensation de guérison et de sérénité. La musique de Cero Ismael passe par nos oreilles, mais traverse nos corps. On s’identifie rapidement aux textes, et ce dès le premier morceau, DESPERATION, qui donne le ton avec son groove timide et acoustique.

Chaque single se voit offert un artwork réalisé par un·e artiste différent·e dans le monde pour coller à son atmosphère, le tout étant coordonné par Olya Oleinic (visual artist). Un concept plutôt intéressant puisque toute l’ingéniosité de AS MUCH AS YOU DID BEFORE se trouve dans la nuance de chaque chanson. Avec l’entraînant PUBLIK, on s’imprègne d’un espace plus malléable où la voix du hollandais caresse un RnB suave, se jouant des instruments avec brio pour servir un rythme contagieux. Changement d’ambiance avec les riffs nébuleux de DAVE BUDHA et son inspiration du magistral Mac Miller de Circlespour enfin se tourmenter brièvement dans IF IT ENDS, en featuring avec Raven Artson. Les covers parlent d’elles-mêmes, en particulier celle de PLANS FOR US qui ouvrait la danse des singles avec des fleurs, de l’espoir et de l’amour, promettant un combo gagnant d’entrée de jeu.

La tristesse se glisse tout de même dans le projet, puisqu’il y décrit une période sombre qu’il traversé dernièrement. Moins de tragédie et plus de récit, c’est le recul qu’on souhaite toustes atteindre un jour. Serait-ce un homme issu du patriarcat qui travaille sur lui-même et tente de guérir ses blessures ? HOT. Les notes de synthé de DID YOU FORGET BOUT ME font résonner la peur de l’abandon extériorisée par le flow reconnaissable de Cero et sa production infusée de cloud rap : “Did you forget ’bout me cause you got saved?“. Et encore une fois dans I UNDERSTAND avec ces paroles prononcées comme un souffle fatal :  “You could’ve stay around. But you chose to leave. And I understand“. Résolument mélancolique, absolument symptomatique de sa musique.

Sa vulnérabilité, découverte dans Blue Man, on la retrouve souvent là où les effets vocaux font leur apparition. C’est sur 113 (I WILL KEEP YOU) qu’elle est la plus prédominante, pour ce qui est, à notre sens, la pièce de musique la plus intrigante de cet album – un doomed r’n’b des plus qualitatifs. Les notes de guitare façon Come As You Are de Nirvana assombrissent l’atmosphère, laissant la place au refrain et au synthé pour briller par leurs aigus comme une lueur dans la nuit. Mais la réelle thérapie pour lui, la réelle décomplexion, c’est assurément TINY & FRAGILE qui devient un écran des pensées du jeune artiste, de ses insécurités, de ses regrets et de ses espoirs. Il accepte enfin la beauté de ses émotions les plus mitigées.

Starve of love or die of luck
Imagine us, we’re piling up
It gets me far the thought of us
Unfortunately, the time up
I hear it in your voice
I’m a troubled boy
Young damaged boy
Waiting to increase
But nothing got enhanced (yeah)
It’s all up in my hands

En parlant d’espoir, c’est peut-être ce qu’il faut retenir de cet étalement de sentiments. Ces derniers mots sont parfois (souvent) connotés de manière péjorative. Pourtant, l’album n’est ni froid ni sombre car qu’il atteste de la différence entre tristesse et mélancolie. Ses compétences de parolier nous montrent la sincérité de ce projet émouvant et généreux aux productions vaporeuses – comme antithèse à son propos ténébreux. Il arbore maintenant la douceur d’un homme guérissant chacune de ses plaies, une par une.  Cero Ismael a (presque) finit de pleurer, en tout cas c’est ce qu’on lui souhaite, vu le bijou artistique qu’il nous sert sur un plateau de coton.


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