De la psy à la pop : Louisadonna expose les failles d’une société patriarcale
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Auteur·ice : Arotiana Razafimanantsoa
19/05/2025

De la psy à la pop : Louisadonna expose les failles d’une société patriarcale

| Photo : Antinéa Esteban

Louisadonna jongle entre différentes casquettes : artiste pop, psychologue et militante. Elle vient tout juste de sortir son premier album Parasite qui réunit chacune de ses facettes et qui fait part de sa vision du monde et de la société. Entre patriarcat, pressurisation de l’industrie, mauvaise prise en charge, remise en cause de la parole des victimes de violences et bien plus, ne serait-on pas mieux dans un monde sans parasite ? On a rencontré Louisadonna pour explorer ces sujets et mettre en lumière les messages qu’elle fait passer à travers son art.

La Vague Parallèle : Comment tu décrirais Louisadonna aux personnes qui ne la connaissent pas ?

Louisadonna : Je tends à créer un univers à la fois pop sucrée, à la fois trash. Il y a pas mal d’intention d’humour. J’essaye d’avoir des messages que j’estime importants mais sous une pop mignonne, colorée, petites fleurs, petits papillons, mais quand même très directe. J’aime les mots crus. J’ai été élevée avec trois frères qui utilisaient des gros mots, qui rigolaient beaucoup sur des trucs trashs. Je n’avais clairement pas le droit d’utiliser le même vocabulaire et ça m’énervait. Je prends ma revanche dans mon art.

LVP : On voit bien que tu fais de la musique un outil de militantisme. Pourquoi as-tu choisi la musique comme outil ? Quand et comment as-tu pris conscience de ton envie de militer à travers ça ?

Louisadonna : Je fais de la musique depuis toute petite, j’ai grandi au sein d’une famille de musicien·nes. J’ai commencé le violon à 6 ans, après j’ai été au conservatoire. J’ai fait de la musique très tôt et j’étais énervée assez tôt aussi contre le patriarcat et contre les injustices que je voyais. Mais impliquer mon militantisme dans la musique, ça arrive plus tardivement avec le projet Louisadonna.

LVP : T’avais donc un projet avant Louisadonna ?

Louisadonna : J’avais un projet en anglais qui était directement moins engagé, mais je pense que tout est une question de nuance. C’est difficile de faire de l’art qui n’est pas engagé d’une certaine façon. Mais c’est en commençant à chanter en français, dans ma langue maternelle, et avec tout ce que j’avais à défendre, que j’ai commencé à écrire sur des sujets plus engagés.

LVP : C’est vrai qu’il y a beaucoup d’artistes en France qui commencent en écrivant en anglais avant de virer petit à petit vers le français. Toi, par exemple, pourquoi t’as finalement décidé d’écrire en français ?

Louisadonna : J’ai dû abandonner le projet pour des raisons un peu compliquées. L’anglais est une langue que je parle couramment et dans laquelle l’écriture était beaucoup plus simple à une époque. Il y a aussi une certaine pressurisation de l’industrie qui exige qu’on chante en français, pour une question de pourcentage d’artistes qui chantent en français qui doivent passer à la radio etc… Bien sûr qu’on m’a pressurisée pour chanter en français pendant un long moment, mais je n’ai jamais cédé à ce truc-là. Par contre un jour, on m’a fait chanter avec de l’autotune et j’ai découvert une espèce de distance à travers l’autotune. J’ai commencé à beaucoup plus me lâcher en français.

LVP : C’est intéressant que tu parles de l’industrie. Est-ce qu’aujourd’hui, avec les messages que tu portes dans ta musique, tu penses trouver ta place dans cette industrie ?

Louisadonna : C’est sûr que c’est complexe. C’est une industrie qui est quand même gouvernée par des personnes qui n’ont pas intérêt à ce qu’on ait des messages militants, anti-patriarcat et anticapitalistes. J’ai l’impression qu’on me fait souvent le reproche de faire passer le militantisme au-dessus de la musique alors que je pense que je fais profondément les deux. Les artistes déjà connu·es commencent à s’engager de plus en plus et tant mieux. Je ne pense pas qu’on puisse être artiste sans revendiquer des messages, sans avoir pris un parti pris qui peut aussi être un parti pris d’oppresseur.

LVP : Peu importe ce qu’on raconte dans nos textes, pour toi il y a toujours en quelque sorte un parti pris, même si ce n’est pas concrètement dit ?

Louisadonna : Si tu parles de rupture amoureuse par exemple, il y a plein de choses que tu peux dire sur ce que c’est d’être une femme, un homme dans une société patriarcale. Rien que les lesbien·nes qui parlent de leur amour, c’est en soi politique. Je suis en train de lire le livre de Chloé ThibaudNi muses ni groupies” sur l’histoire des femmes dans la musique, et c’est hyper touchant d’avoir une interview de l’une des premières femmes lesbiennes qui fait de la pop en France.

LVP : Et est-ce que tu penses que la musique peut faire évoluer la société ?

Louisadonna : Il y a des gens qui disent qu’iels apprennent des choses dans ma musique donc oui, mais personnellement je vais plus chercher du réconfort, même si des fois il y a des musiques qui me font tilter des trucs. À travers l’art et l’écriture, on fait passer des messages et ça donne accès à de nouvelles formes de pensée, donc c’est sûr que ça peut faire évoluer. Mais je pense que la musique a aussi un aspect super important sur les émotions. Elle permet à des gens de se sentir écouté·es, entendu·es, compris·es, de ne pas se sentir seul·es dans un système qui part un peu en vrille.

LVP : Et au vu du rapport que tu as avec ta musique, est-ce que parfois t’as l’impression d’avoir une certaine responsabilité ?

Louisadonna : *rires* Non, je ne crois pas… C’est compliqué parce que je suis aussi psychologue et j’ai l’impression d’avoir plus de responsabilités en étant psy. Dans la musique c’est plutôt chill. J’ai beaucoup moins l’impression que des vies dépendent de moi.

LVP : Est-ce que t’aimerais nous parler de ton activité à côté de la musique ?

Louisadonna : En ce moment je suis 100% concentrée dans l’album mais sinon je suis psychologue au LAO POW’HER de Bagnolet. On prend en charge et accueille des jeunes femmes victimes de violences entre 15 et 25 ans. Violences intra-familiales, incestes, mariages forcés, prostitution…

Mon album réunit un peu toutes mes facettes : ma facette de chanteuse, d’artiste militante, et il parle beaucoup de la psychologie et de ce que j’ai pu constater en tant que psy, à savoir un monde dans lequel des hommes font du mal à des femmes et les traumatisent. Les traumas ça entraîne des symptômes, une impression d’être folle, de traverser des choses très étranges sur le plan de la santé mentale. Le patriarcat se sert de ça pour faire taire des voix qui ont des choses à dénoncer. C’est ce que j’ai pu constater grandement : une mauvaise prise en charge par la justice, par la médecine et par la psychiatrie.

Quand des femmes vont avoir des troubles psychiques plus ou moins importants à cause des violences qu’elles ont connues, elles vont être très mal prises en charge. Il y a des femmes qui vont être hospitalisées sous contrainte et ça va les traumatiser d’autant plus. Et la justice ne répond pas du tout aux demandes des femmes victimes. Elles demandent, de un, à ce que la personne ne puisse pas refaire ce qu’iel a fait à quelqu’un d’autre et peut-être, de deux, à confirmer qu’elles ne sont pas folles et qu’elles ont bien vécu quelque chose d’anormal. Et il n’y a quasiment pas de condamnation. La société est organisée pour faire croire aux femmes qu’elles sont folles.

LVP : Comment tu fais pour jongler entre tes différentes casquettes et notamment préserver ton équilibre émotionnel ?

Louisadonna : *rires* Je ne le préserve pas beaucoup, sauf peut-être quand j’écris de la musique notamment sur ce qui me révolte dans mon travail. Ma casquette d’artiste me permet de dénoncer des choses, d’exprimer des trucs que je trouve anormaux et qui doivent être mieux pris en charge. À l’année, je travaille 2 jours par semaine en tant que psychologue et les autres jours je suis artiste. Avec la tournée et la sortie de l’album ce n’était pas trop possible de continuer à travailler 2 jours par semaine au LAO. Ça fait deux mois que je suis plutôt en pause.

LVP : C’est comme si la musique venait tout équilibrer…

Louisadonna : Oui, je pense que pour nous, les soignantes, faire face à cette clinique est très difficile. C’est triste et difficile d’entendre que ces femmes sont les victimes de personnes de la société, mais le plus compliqué c’est de constater que les institutions dysfonctionnent. C’est ce qui rend le travail très difficile. Et pourvoir parler de ça dans la musique me fait du bien.

LVP : La musique peut clairement être thérapeutique. Et est-ce que tu penses qu’on pourrait voir ta musique comme une forme de thérapie collective ? En tout cas pour les personnes qui vont entrer dans ce processus, disons cathartique, en l’écoutant.

Louisadonna : Les gens me disent que ça fait cet effet donc c’est très bien, mais moi j’ai plus tendance à sortir les mots de moi-même et par besoin. Je pense par exemple au morceau Parasite, quand j’écris sur des dck pics*, je me mets à la place des meufs qui en ont reçues et je me dis qu’on va rigoler ensemble si j’écris telle parole qui est un peu drôle. C’est sûr que ça va avoir cette fonction quelque part, je ne sais pas exactement comment ni pourquoi, mais je suis trop heureuse que ça soit le cas. Mais je ne pense pas que ce soit ma première intention. J’essaye en priorité de me guérir moi-même quand je fais de la musique.

LVP : C’est fréquent que si la musique te fait cet effet, ça le fait aussi chez les autres quand iels réceptionnent ce que tu partages. Comme la musique c’est un cumul d’émotions qu’on veut ressortir, quand on les reçoit on les absorbe. Et c’est là où elle devient comme une thérapie…

Louisadonna : Une thérapie groupale quoi !

LVP : Oui, carrément ! C’est le genre de chose qu’on ressent aussi beaucoup en concert, par exemple à ceux de Théa dont tu as fait la première partie à Nancy.

Louisadonna : Théa ça fait vachement ça ! Surtout qu’elle parle beaucoup de santé mentale, de pensées suicidaires…

LVP : Peux-tu nous parler d’un morceau de ton album qui te tient particulièrement à cœur ?

Louisadonna : Waouh ! Il y en a trop qui me tiennent à coeur ! Si je peux parler d’un duo de chansons ce serait Folle à lier et Babe. Ce sont deux chansons qui se répondent l’une l’autre. Quand j’avais 10 ans, j’ai perdu quelqu’un qui s’appelait Babe par suicide. Cette femme avait vécu des violences qui n’ont pas été bien prises en charge par la médecine, et c’est aussi pour ça que j’ai voulu devenir psychologue et que je passais beaucoup de temps à essayer de comprendre le pourquoi du comment… Folle à lier c’est un peu l’explication de pourquoi Babe s’est suicidée. C’est le fait qu’on soit dans une société qui pousse les femmes à la folie, qui n’écoute pas ce qu’elles disent et ce qu’elles dénoncent. Quand la femme dénonce une violence conjugale ou un viol on va lui dire “pourquoi t’es pas partie ? Pourquoi t’as pas fait ça ? Pourquoi tu sors habillée comme ça ?” C’est toujours la faute des femmes, toujours la faute de Ève. On est toujours responsable des choses terribles qui nous arrivent et cette chanson parle de ça. Elle s’adresse à tout le monde en disant : on n’a pas eu le choix de naître dans ce corps-là, et une fois qu’on est là on subit des choses qui ne sont pas ok.

LVP : Pourquoi t’as appelé l’album “Parasite” ?

Louisadonna : Les parasites, c’est beaucoup de choses en même temps pour moi. Il y a les parasites internes comme la colère, c’est comme un être vivant avec lequel tu cohabites mais qui n’est pas tout à fait toi, qui t’est un peu imposé. Et puis il y a les parasites externes qui sont responsables de la colère. Qui domine qui ? Qui dépend de qui ? Qui est le parasite de qui ? C’est un peu mon sujet du moment.

LVP : Et pour finir, as-tu une recommandation à nous faire ? Que ce soit un livre, un·e artiste, une série, un projet musical, un documentaire…

Louisadonna : Je dirais Sopycal, mon duo avec qui j’ai fait la première partie de Théa. C’est une artiste que j’aime beaucoup qui fait de la musique urbaine, assez proche du rap, et qui parle beaucoup des mêmes sujets que moi mais surtout de son vécu de victime. Elle fait des textes super touchants, vrais, trash et directs. Je pense qu’il faut écouter.

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