Dienne, la musique comme leitmotiv pour appréhender les épisodes d’une vie
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Auteur·ice : Matéo Vigné
13/10/2023

Dienne, la musique comme leitmotiv pour appréhender les épisodes d’une vie

Photo | Jente Waerzeggers

« La vie inspire l’art et l’art inspire la vie. » Si l’on devait résumer la passion qui anime la musique de Dienne, ces quelques mots délivrés en catimini feront l’affaire.

Dienne, c’est l’histoire d’un projet artistique mêlé à des moments de vie forts. Que ce soit par la complicité sororale ou dans les drames familiaux, Dienne Bogaerts a su écouter son cœur et le silence de ces moments durs pour les rythmer en musique et en sonorités. Que ce soit pour ses projets persos ou pour habiller tantôt des œuvres performées tantôt des courts-métrages, l’artiste belge a la maîtrise des instruments, physiques ou numériques, pour diffuser au mieux sa vision de la musique. 

Une musique qui l’apaise et l’aide à comprendre le monde dans lequel elle s’inscrit.

La Vague Parallèle lui a posé quelques questions alors qu’elle s’apprête à partager la scène avec des artistes telles que LUXE, Karenn, Boys Noize ou encore Josey Rebelle, tous·tes invité·es par la sulfureuse HAAi dans le cadre de Nuits sonores Brussels.

La Vague Parallèle : Salut Dienne, comment ça va en ce moment ?

Dienne : Ça va, je viens de terminer la période la plus chargée de l’année : le mois de septembre. J’alterne entre ma musique et un boulot à temps partiel en tant qu’enseignante, septembre c’est toujours pour moi l’occasion de trouver un équilibre entre mes projets musicaux et la rentrée en tant qu’enseignante. Mais j’ai l’impression que j’y arrive plutôt bien. J’ai passé un merveilleux week-end, je viens d’avoir 31 ans et j’ai fêté ça avec mes ami·es les plus proches ainsi qu’avec ma famille.

LVP : Quand est-ce que ton truc à toi c’était la musique ?

Dienne : À l’âge de 9 ans, mon frère aîné a eu un accident. Cette expérience traumatisante m’a obligé à trouver un moyen d’assimiler et de comprendre tous ces nouveaux événements de la vie. J’ai essayé la thérapie, mais comme j’étais très jeune, expliquer ce que je ressentais avec des mots était beaucoup trop confrontant, spécifique et difficile. C’était comme si j’avais besoin d’un autre langage pour m’expliquer ou pour comprendre ce qui se passait autour de moi. J’ai commencé à improviser pendant mes cours de hautbois et à créer de la musique au piano. Et j’ai tout de suite senti que ça m’aidait à me sentir mieux. Aujourd’hui encore, c’est la raison pour laquelle je fais de la musique.

LVP : Et ensuite, t’as essayé de te construire ta propre expérience musicale ?

Dienne : Mon parcours a commencé avec ma sœur aînée, Nelle (violoncelliste/chanteuse), ado, on avait uni nos forces et lancé un projet ensemble qui s’appelait Lili Grace. Ça a pris quelques années avant de vraiment se créer. On composait de la musique pour des courts-métrages et du théâtre, c’était formidable. Par la suite, on a sorti notre premier disque en 2020 : Silhouette.

La sortie de ce premier disque a été le premier moment clé de ma carrière musicale, c’était ma première expérience, la première occasion de poursuivre une histoire musicale sans me soucier de l’opinion des autres. Un sentiment vraiment libérateur.

Ça m’a permis d’être plus confiante dans l’écriture de mes propres compositions, ce qui de fil en aiguille m’a conduit à écrire mon projet solo, Addio. La rencontre avec Nicolas Jaar, pour ma musique, la sortie sur son album Other People, et le fait de me produire en tant qu’artiste solo ont été autant de moments clés inattendus et magnifiques.

LVP : Si aujourd’hui tu devais collaborer à nouveau avec un·e artiste que t’admires, tu choisirais qui pour t’accompagner dans ta carrière ?

Dienne : Je crains qu’il y en ait trop pour les résumer ici en une seule réponse… Si je me penche sur mes récentes découvertes, je dirai : Holly Herndon. Elle m’a ouvert un nouveau monde quant à l’utilisation du son et de la voix. Une découverte très épanouissante dont je suis très reconnaissante. Je dirais que construire un paysage musical en combinant son traitement vocal venu d’ailleurs avec mon son de hobo et de flûte, ça serait un rêve qui sonnerait très bien.

LVP : À part la musique, tu t’orientes aussi vers d’autres formes d’art ? Est-ce que ça a son influence dans ta façon d’approcher la musique ?

Dienne : Je ne suis pas vraiment passionnée par une forme d’art en particulier. J’aime plutôt m’inspirer de tout ce qui compose l’art, de façon globale. Pour moi, il s’agit de constamment explorer de nouvelles choses et d’être surprise en chemin.

LVP : On peut lire dans ta biographie l’histoire derrière ton premier album Addio (2022) que t’as écrit pendant la pandémie et qu’il est lié à un moment très important de ta vie. La vie et ses différentes épreuves sont, encore aujourd’hui, ce qui motive ton processus créatif ?

Dienne : 100% oui. Jusqu’à présent, j’ai toujours cherché le bon son, la bonne note, pour les différents événements de ma vie. Je ne peux pas faire autrement, je ne sais pas faire autrement, ce ne serait pas sincère. C’est aussi quelque chose que je recherche dans la musique d’autres artistes. J’aime creuser les histoires qui se cachent derrière tel album ou telle chanson.

LVP : Sur le projet Conducturis, on peut entendre que t’explores divers supports pour exprimer ton art, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur cette pièce multidimensionnelle ?

Dienne : Mira Sanders et Cédric Noël m’ont demandé de créer la musique de leur installation cinématographique Conducturis. Il s’agit d’un projet qui, en utilisant les codes cinématographiques du road movie, spécule sur les résultats d’une enquête sur la construction d’un cerveau artificiel et l’infrastructure nécessaire, tout ça dans une représentation abstraite de paysages suisses.

Pendant que j’écrivais la musique, j’ai trouvé que Conducturis avait deux composantes intéressantes : la beauté intense du paysage suisse et les insectes du « super câble » que Mira et Cédric suivaient pendant leur voyage.

C’est pourquoi ce projet est devenu une réelle investigation artistique inattendue, pour moi, en tant qu’artiste, pour creuser les questions de « jusqu’où puis-je aller dans des compositions extrêmement aériennes et éblouissantes ? » et « où dois-je placer les sons imprécis et irréguliers dans ces compositions ? ». Je me demandais comment je pouvais faire de ces axes si différents une seule pièce musicale tout en veillant à ce que les spectateur·ices soient conscient·es des deux composants à part entière ? C’est devenu un voyage qui recherche un équilibre entre la perfection et l’imperfection.

LVP : T’as aussi fait la tournée avec Tamino, ça s’est passé comment ? Tu dirais que c’était un des moments forts de ton année ?

Dienne : Tamino et moi, on vit dans le même quartier et ça fait un moment qu’on se connaît. Il a écouté mon album et s’est tout de suite dit que je ferai l’affaire pour assurer la première partie de sa tournée européenne. Donc oui, je dirais que c’est toujours LE point culminant de 2023. Quand j’ai sorti Addio l’année dernière, j’avais jamais pensé faire autant de concerts en solo. Cette tournée et ces dates m’ont permis d’acquérir beaucoup d’expérience. Et puis j’ai eu la chance de jouer pour le public de Tamino, qui est un public incroyable. Chaque concert je le prenais comme un cadeau, de eux à moi. Si je devais choisir une date marquante, ce serait Milan. Même si je ne suis pas Italienne, j’ai ressenti une profonde connexion avec le public. Et j’ai enfin pu exprimer ma gratitude en italien.

LVP : Tu fais partie de la sélection de HAAi pour Nuits sonores, tu prépares quelle sorte de show ? Quelle énergie vas-tu mettre dans ta musique ?

Dienne : Disons que j’essaierai d’être la variation agréable parmi les artistes incroyables que HAAi a rassemblés pour Nuits sonores en utilisant des instruments un peu plus rares comme le hautbois et la flûte en combinaison avec mes pédales d’effets.

LVP : On a parlé de pas mal d’aspects dans ta musique et souvent on la limite à la case « musique électronique ». Est-ce que ça fait encore sens d’étiqueter des artistes à des catégories, à l’heure de la déconstruction artistique ?

Dienne : Je dirais que ça peut être utile, mais aussi très étouffant. J’ai l’impression que le public a parfois simplement besoin de coller une étiquette sur la musique, ce qui est tout à fait normal. L’un des avantages à ça, à catégoriser ou nommer des genres, pourrait être une sorte d’esprit d’équipe, la création d’une communauté musicale qui navigue vers les mêmes sonorités ou les mêmes modes.

Cependant, en ce qui me concerne, ça devient gênant surtout au moment de l’écriture, je préfère m’en tenir à mon style, qui porte le nom de Dienne. Lorsque je ne m’impose pas un style en particulier, j’ai l’impression qu’inconsciemment j’ose chercher plus dans les extrêmes, ce qui finit par me donner de nouvelles idées. C’est intéressant dans le processus créatif.

LVP : Et en termes d’émotions, qu’est-ce que tu vas essayer de nous transmettre à Bozar cette semaine ? Comment veux tu que ton public se prépare ?

Dienne : Je vais surtout jouer mon album Addio en combinaison avec d’autres œuvres. La majeure partie du set fait référence à la pandémie, un moment commun à tous·tes, quand je pense que les gens étaient bien vulnérables de différentes manières. Si je devais passer un message je dirais : « essayez juste d’être dans le moment avec moi, ressentez les mélodies, l’espace dans lequel nous sommes et passez un bon moment . »

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