Enfant Roi : l’hybride reggae-pop française de Poupie, plus personnelle que jamais
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
25/09/2021

Enfant Roi : l’hybride reggae-pop française de Poupie, plus personnelle que jamais

Si elle avait déjà gagné nos cœurs lors de notre rencontre en janvier 2020, Poupie remporte aujourd’hui tout notre respect en délivrant un premier long-format calibré, inspiré et confortant qu’elle a malicieusement intitulé Enfant Roi. Un opus qui offre à voir davantage de la personnalité plurielle de la jeune artiste, qui s’éloigne momentanément de la solarité indélébile de ses débuts pour embrasser une esthétique plus dark et gangster, sans pour autant se prendre au sérieux. Dans le cadre de sa venue aux Nuits Botanique 2021, celle qu’on suspecte appartenir à une galaxie lointaine nous a gratifiés de ses sourires, de son humour tordant et de son franc-parler attachant pour nous confier quelques secrets sur cette étape si cruciale qu’est le premier album. L’occasion de siroter un mojito en prenant des nouvelles de cette égérie de la reggae-pop française. 

| Photo : Nickolas Lorieux


La Vague Parallèle : Tu sors bientôt ton premier album Enfant Roi. L’enfant roi, c’est qui, c’est quoi ?

Poupie : Comme tu le sais, l’enfant roi, c’est une notion qui existe déjà : celle assez négative de l’enfant pourri gâté. Ici, ce n’est pas du tout ça. En utilisant “Enfant Roi”, je voulais surtout jouer sur cette confrontation entre d’un côté l’enfant, insouciant, maladroit, désintéressé par les responsabilités de sa vie, et de l’autre le roi qui sait ce qu’il veut, qui s’entoure des bonnes personnes et qui fédère son entourage. Et j’avais vraiment envie d’exprimer cette idée de devoir être le roi avec une tête d’enfant, ou à l’inverse le fait d’être un enfant en assurant des responsabilités de roi. Moi, ce que je défends, c’est qu’on peut vraiment assurer ces deux rôles. Il existe des contraintes dans les deux cas, il faut juste savoir s’en émanciper.

LVP : Tu ouvres l’album avec Filages et faits, dans lequel tu chantes “En parlant de ma vie, j’voulais pas parler de la mienne. Mais trop tard, j’imagine.” Tes précédents projets, grâce à leur format court, t’autorisaient une certaine pudeur. Ici, avec le long-format, tu as été un peu contrainte de t’ouvrir davantage. C’était facile ?

P : Je ne me suis jamais sentie contrainte. Ce besoin de m’ouvrir m’est simplement apparu. Cette chanson, je l’ai écrite bien avant la sortie des EP, mais c’était comme un jardin secret. Plus tu grandis, plus tu te rends compte que chacun·e a ses failles et que se mettre à nu ce n’est pas grave. Je me sens un peu comme à la fin de mon enfance et cette arrivée dans la vie adulte me pousse à me livrer davantage, à dévoiler ce jardin secret. Le projet sera donc forcément plus personnel que les autres.

LVP : Sur Si Bas, tu parviens à aborder une période compliquée de ta vie sur des beats dansants. C’était important pour toi de ne pas sombrer dans le pathos mélancolique en parlant de sujets plus graves ?

P : C’est inévitable, dans la vie on va traverser des périodes compliquées. Mais quand tu y penses, le plus bas que tu peux être, c’est également le meilleur endroit pour rebondir, parce que tu n’as rien en dessous. C’est ça le message de Si Bas. C’est sûr que le propos est dark, je commence quand même le morceau par un “Flinguez-moi“. (rires) Mais au fond, il était important d’en faire une composition dansante et rythmée parce que face aux choses difficiles de la vie, il faut savoir faire une espèce de danse de la pluie, un sortilège pour conjurer le mauvais sort.

LVP : On le sentait déjà sur les précédentes sorties, mais tu confirmes ici que le reggae reste ton registre de prédilection. Tu dirais que tu as plus facile de créer et de composer sur des mélodies reggae ?

P : Pas du tout. Je ne pense pas avoir plus de facilité sur du reggae pour créer mes sons pour la simple et bonne raison que j’amorce la plupart de mes textes sans mélodie, sans instrument. Je les imagine plutôt comme des poèmes. Mais j’avoue que le reggae a une place centrale dans mon univers, car j’ai dû faire des choix artistiques et ce registre-là m’est apparu comme une évidence. Certain·es voient la Vierge Marie à Lourdes, moi j’ai vu le reggae.

| Photo : Nickolas Lorieux

LVP : On te connaît pour tes textes couillus, qui n’ont pas peur de dire les choses. Sur Dollars, tu abordes la notion de la thune, encore très taboue en musique française, si ce n’est en hip-hop et en rap. Tu trouvais ça risqué ?

P : J’ai tendance à aborder l’argent avec simplicité et détachement. Il faut de l’argent. L’argent est partout : il faut aller le chercher, il faut avouer qu’on le veut, qu’on en a besoin. Il faut surtout arrêter de le sacraliser. Le tabou français de ne pas parler d’argent vient du fait qu’on l’a sacralisé pendant trop longtemps, et qu’on s’est empêché d’en parler ouvertement au risque d’être mal perçu·e. Mais si on ne parvient pas à mettre des mots dessus, c’est là que du mal se crée. Sans vraiment intellectualiser tout ça, j’ai composé ce morceau et je réalise aujourd’hui qu’on pourrait mal interpréter mon discours par rapport à l’argent, notamment quand je dis que “j’en veux des tonnes”. C’était surtout une façon pour moi d’affirmer que je n’ai pas peur de ces non-dits : j’ai conscience que l’argent participe activement au bonheur, et que le fait d’en vouloir n’induit pas qu’on soit matérialiste, mais tout simplement humain.

LVP : Tu as accompagné la sortie des premiers singles avec pas mal de clips et de visuels assez léchés. C’était quoi ton rôle dans la conception de cet univers coloré et extravagant autour de l’album ?

P : On a pensé tout l’univers avec l’équipe de bleunuit. J’ai tout de suite accroché avec leur esthétique, notamment le fait qu’iels tournent à la pellicule, ce que je trouve très fort. Pour l’écriture des scénarios des clips, on travaille vraiment main dans la main. Ils me partagent leurs idées, on les mêle avec celles que j’avais déjà en tête, et ça donne une profusion très intéressante au niveau visuel, en témoigne le clip de Comme les autres. Je suis très heureuse d’avoir pu trouver une équipe qui me comprenne aussi bien, car même leurs idées partent de ce que je leur ai inspiré, de ce que je leur ai raconté à travers ma musique. Et ça n’échoue jamais.

LVP : Tu nous as habitué·es à une Poupie solaire, lumineuse et légère sur les précédents projets. Ici, on découvre également une facette plus sombre et bad girl, inspirée notamment de l’univers du banditisme du film Thelma et Louise. Pourquoi décider de nous dévoiler ça maintenant ?

P : Je pense que j’ai toujours eu ce côté-là en moi. Je suis plurielle, je ne suis pas qu’un soleil. Contrairement aux autres projets, je me suis accordé la liberté d’être pleinement moi-même, et je me sens bien là-dedans. J’aime aussi mêler ces deux aspects de moi, comme lorsque je décide de détourner cet univers de gangster en utilisant un fusil en plastique sur la pochette. C’est également un rappel au nom du projet : le fusil représente le côté grave et sérieux du roi, tandis que le plastique te ramène en enfance.

LVP : Sur le morceau Comme Les Autres, tu abordes et célèbres une certaine forme d’altérité que tu as vécue. Le fait de ne pas être, penser et te comporter comme les autres, c’était compliqué pour toi ?

P : Quand tu es petit·e, surtout, cela peut être très pesant de ressentir ce décalage avec les autres. Tu t’aperçois vite que ton cerveau n’est pas composé de la même manière, que les liens ne sont pas pareils, que les priorités ne sont pas au même endroit. Au début, c’est bizarre. Mais plus tu grandis, plus tu te rends compte que ce n’est pas si grave d’être différent·e. Chacun·e porte une certaine différence, finalement. Même si c’est plus prononcé chez certain·e, il faut juste savoir s’écouter et se faire confiance dans la façon dont on gère sa vie et ses différences. Cette altérité que j’aborde sur Comme Les Autresje l’accepte progressivement et je m’adapte à elle.

| Photo : Nickolas Lorieux

LVP : Lors de notre dernière rencontre, on a notamment parlé des ballades piano-voix qu’on n’avait pas forcément eu l’occasion de retrouver sur les premiers projets. Ici, tu inclus deux ballades à l’opus, Pur et Vue sur La Mer. Sachant que beaucoup t’attendaient sur ce terrain plus mélancolique, tu avais une pression supplémentaire pour les composer ?

P : En réalité, c’était plutôt une délivrance. D’ailleurs, la chanson que je porte le plus dans mon cœur, c’est Vue sur La Mer, d’où sa place en fin d’album. Elle me fait toujours beaucoup d’effet. Quand je la chante, je suis presque timide, parce qu’elle me représente tellement de façon dénudée et personnelle que c’est un véritable dévoilement pour moi. Par sa structure piano-voix, aussi, ça me ramène à mes débuts, quand j’étais plus jeune et que je composais seule dans ma chambre. Repasser à un morceau si épuré après m’être cachée derrière autant de productions et d’artifices, bien sûr que c’est une grosse pression. Mais c’est très libérateur aussi.

LVP : Ce premier album ressemble-t-il au premier album que tu aurais imaginé au début de ta carrière ? 

P : C’est marrant parce qu’en réalité, je ne me suis jamais imaginé mon premier album. De base, je ne me suis jamais imaginé être chanteuse. Peut-être que je le sentais en moi, mais je n’avais jamais osé me l’avouer ou le formuler. Du coup, je n’ai pas eu le temps de me projeter concrètement dans ce qu’impliquait un projet musical. Sortir cet album aujourd’hui, c’est donc comparable à une belle surprise. Et je me dis juste : “Wow, alors c’était ça ma mission jusqu’ici ? Est-ce que c’est le chemin que je suivrai jusqu’à ce que je meure ? Est-ce que je vais m’en lasser ?” Mais je suis très heureuse de cet album, il symbolise bien cette étape fatidique de ma vie et le partager va forcément me faire grandir.

LVP : On peut dire que l’enfant devient le roi ?

P : On peut dire ça oui. C’est un sacrement, un couronnement. (rires)