Entretien avec Irène Drésel, géniale ambassadrice de la techno sensuelle
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Auteur·ice : Paul Mougeot
13/01/2020

Entretien avec Irène Drésel, géniale ambassadrice de la techno sensuelle

Son premier album, Hyper Cristal, avait été l’un de nos préférés de l’année 2019. Alors, à l’occasion de son passage au Paris Paradis Festival, on s’est entretenu avec Irène Drésel, géniale ambassadrice de la techno sensuelle.

La Vague Parallèle : Tu as sorti ton premier album, Hyper Cristal, il y a quelques mois. Ce qui étonne, c’est la richesse et la complexité de l’univers que tu es parvenue à mettre en place en un disque, alors que pour beaucoup, c’est un processus long et fastidieux. Est-ce que tu portais cet univers en toi depuis longtemps ?

Irène Drésel : J’ai commencé à faire du son en 2013, donc c’est quelque chose qui mûrit depuis longtemps en moi. A l’origine, je ne voulais même pas sortir d’EP, je voulais faire un premier album tout de suite. Quand je revois mes trame d’albums de l’époque, en 2014, je me dis que j’ai bien fait d’attendre ! Je crois qu’il aurait été trop linéaire, beaucoup moins abouti. 

Ce premier album est arrivé au moment où il était naturel pour moi qu’il arrive, c’est-à-dire au bout de 6 ans tout de même. 

LVP : Quand on évoque ton travail, on parle beaucoup de l’influence qu’ont pu avoir tes autres pratiques (photo notamment) artistiques sur ta musique, mais on parle moins de tes influences musicales. Quels sont les artistes qui t’ont inspirés ? Quels sont ceux que tu as admirés ?

ID : C’est vrai qu’on m’a peu demandé ce que j’écoutais avant d’en venir à la techno avant James Holden. En fait, j’aimais beaucoup les voix aiguës sur les morceaux électroniques, donc j’écoutais un peu Sigur Rós, j’étais au taquet sur CocoRosie, notamment les albums La Maison de mon rêve et Noah’s Ark. J’écoutais aussi RoBERT, un groupe de musique expérimentale islandais qui s’appelle Múm… J’étais jeune, j’avais des goûts bizarres, un peu perchés ! J’aimais quelques morceaux de Björk, aussi.

J’allais à la FNAC et je demandais des disques avec des voix aiguës. Ensuite, mes potes m’ont emmenée dans un festival techno, et ça a été la bascule ! (Rires).

LVP : Justement, quand tu parles du début de ton parcours musical, on a l’impression que ça relève quasiment du hasard, de l’accident. Qu’est-ce que ça représentait pour toi avant la musique ? Et la techno ?

 ID : Quand j’ai eu cette révélation avec James Holden, je ne me suis pas mise à faire du son immédiatement pour autant. J’étais toujours à fond sur la photo et l’art contemporain. Ce n’est que quelques années plus tard que je me suis mise à en faire.

 C’est très difficile de passer de l’art contemporain à la musique. Je me souviens d’une fois où j’ai dit à un collectionneur que j’allais mettre l’art contemporain entre parenthèses pour faire de la musique, il m’a regardée avec un regard stupéfait et m’a dit : “… tu vas faire DJ ?”. Dans tous les cas, je commençais à en avoir marre du monde de l’art contemporain, la mentalité est trop snob, il y a plein de codes… Cela dit, ça commence à changer un peu, le monde de l’art contemporain

Quand je me suis mise à la musique et que j’ai constaté le bonheur que ça m’apportait, je me suis sentie libérée. Quand tu amènes ta famille voir une exposition, les réactions sont très contenues : on lit les petits cartels, les petits textes, bon… Alors que le premier morceau que j’ai fait, lorsque je l’ai fait écouter à mon petit neveu, il s’est mis à danser, j’étais hyper touchée ! Il y a quelque chose de très spontané : tu réunis tes amis autour d’un verre, tu leur fais écouter le son… Tout d’un coup, je me suis dit : c’est ça qu’il me faut.

LVP : Il y a quelques mois, tu as fait une réuni Brigitte Fontaine, Musique Chienne, Fishbach et Maud Geffray. A priori, tout vous sépare Brigitte et toi : génération, registre musical… Comment s’est passée cette rencontre ? 

ID : En fait, Gilles, mon percussionniste, est coiffeur dans le domaine de la mode. Il a été amené à la coiffer quelques fois et un jour, je me suis retrouvée en backstage avec eux. Je portais une robe à fleurs de chez Manoush et des chaussettes blanches à volants, et elle me dit : “ta robe elle est cucul, mais j’adore tes chaussettes” (elle imite Brigitte Fontaine). Elle m’a demandé ce que je faisais et je lui ai expliqué que je faisais de la techno. 

Il se trouve que Gilles habitait dans son immeuble, et dix ans plus tard, je lui ai écrit une lettre. Dans cette lettre, je lui demandais de collaborer avec moi. Elle m’a rappelée le lendemain en me disant : “ok, je veux bien faire la collaboration, mais à condition que 1. tu me donnes tes chaussettes à volants, 2. qu’on joue ensemble à Morlaix, parce que je suis née à Morlaix”(WART, l’agence de booking d’Irène Drésel, produit le festival Panoramas à Morlaix, NDLR). Donc on est allé la voir chez elle, je lui ai donné mes chaussettes. Aussitôt, elle les mets et elle les adore. En contrepartie, elle me donne une autre paire de chaussettes, je les mets, bon, échange de chaussettes… (rires). Et quelques minutes plus tard, elle me dit : “en fait non, ces chaussettes, c’est Areski qui me les a offertes, je les reprends”. Donc je lui ai rendu ses chaussettes… (rires).

LVP : On le disait, ton univers est particulièrement riche et complet, tu travailles le côté visuel en live, tu as des clips qui sont très cinématographiques, et tu vas jusqu’à travailler toi-même le merchandising, avec des objets qui sont le prolongement de ton univers. Quelles disciplines te reste-t-il à découvrir ?

ID : La poterie ? (rires) Non, la couture plutôt, je pense. Je pense que j’aurais aussi aimé être fleuriste. 

Sinon, mon dernier clip est tout en dessins. Je l’ai monté toute seule, sans doute de manière un peu maladroite, mais c’est très bien comme ça.

LVP : Du titre de ton album jusqu’aux références qui parsèment les morceaux, on sent une influence de tout ce qui a trait au mythologique et au spirituel dans ta musique. D’où te vient cet intérêt ?

ID : Ça vient de mon parcours personnel. J’étais dans un collège catholique, donc j’ai été bercée dans cette ambiance-là et soit tu le rejettes, soit tu fais avec. Je suis allée jusqu’à ma confirmation de foi et on avait fait ça dans un endroit assez reculé en France. J’avais ressenti quelque chose de particulier dans l’église, qui était une église assez contemporaine, toute blanche… Je ne suis pas une grenouille de bénitier du tout, mais j’aime bien me remplir d’émotions, et c’est quelque chose qui m’avait marquée.

Sainte-Rita, c’est la cause de l’impossible. J’ai prié Sainte-Rita pendant très longtemps, et je m’étais dit que le jour où je sortirais un EP, il lui serait dédié. En fait, j’aime bien les choses qui fascinent, donc j’essaye de les restituer dans ma musique.

LVP : Ta musique est aussi très marquée par la notion de sensualité, qu’on ressent profondément dans chacun de tes morceaux. Comment est-ce qu’on rend de la techno sensuelle, sachant que c’est par définition l’art des machines ?

 ID : Déjà, j’essaye de dissimuler les machines, je les trouve horribles. Certains artistes les montrent fièrement, mais ce n’est pas du tout mon truc. Pour moi, c’est sensuel, la techno. Il y a ce mouvement d’ondulation, tout le monde est un peu chamallow quand la techno est bonne… Ce n’est pas toujours de la grosse techno avec du BPM rapide dans un hangar, ça, je n’apprécie pas. Et d’ailleurs, je ne comprends pas que jusque-là, il n’y ait pas plus de propositions différentes.

La techno, on a l’impression que c’est toujours un peu dark… Rone par exemple, fait une musique qui bouge, qui est animée, lumineuse, que j’aime beaucoup.

LVP : Que va-t-il se passer pour toi en 2020 ?

ID : Je pense que je vais me remettre à composer. Il y a des titres qui sortent début 2020, il y aura des remixes… Peut-être de l’international ! On verra… Ça passe tellement vite !

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