La Belle Vie : “Ce serait dommage de se mettre des barrières”
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Auteur·ice : Joséphine Petit
01/02/2021

La Belle Vie : “Ce serait dommage de se mettre des barrières”

Avec Bluettes, un premier EP révélé l’hiver dernier, le quintet de La Belle Vie a su combler nos oreilles de pop ondoyante. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur leurs débuts, leurs inspirations, leurs peurs et leurs fiertés. Nos derniers chouchous en date venus tout droit de Saint-Étienne, ville aux mille talents, ont accepté de se confier à nous.

La Vague Parallèle : Salut La Belle Vie, est-ce qu’on peut connaître un peu votre histoire ? Comment vous vous êtes rencontrés, avez commencé à faire de la musique ensemble, et pourquoi “La Belle Vie” ?

Elie : En fait, ce sont plusieurs groupes qui se sont rapprochés petit à petit. Le point commun, c’est Julie. Enki et moi, on se connaît depuis la maternelle, Simon et Roman avaient un groupe de pop-rock, et Julie était à la fac avec Roman. Ça s’est plus ou moins fait comme ça. Moi, je faisais de la musique dans mon coin, et Julie m’a dit : “tiens j’ai un pote de pote qui fait des super prods, tu devrais écouter”. Et j’ai rencontré Simon. Puis un jour, Simon a fait la prod des Tropiques… Bonjour Monsieur Fils Cara ! (Oui, Fils Cara vient bien de faire un caméo derrière la caméra de Simon-Gaspar, ndlr.) Et donc Simon a demandé à Julie et Roman d’écrire un petit texte et de venir le chanter. On s’est tous retrouvés dans l’appart de Simon, et on a composé Les Tropiques, tous ensemble avec Enki. Quelque temps plus tard, on s’est dit que ça marchait bien quand on faisait de la musique ensemble, et que ce serait cool qu’on parte une semaine à la campagne pour faire de la musique, ce qu’on a fait. Durant cette semaine, on a composé trois ou quatre morceaux, dont La Vie est Belle, Quand je rentre seul, et d’autres titres qui ne sortiront jamais (rires) ! Voilà, c’est comme ça qu’est né La Belle Vie. C’était une période où on écoutait beaucoup un rappeur belge qui s’appelle Krisy, et cette chanson en particulier : Belle. On s’est dit que c’était marrant, car ça correspondait totalement à notre mood du moment. On vivait la belle vie, finalement. Du coup, le nom du groupe est venu assez naturellement.

LVP : Votre premier EP se nomme Bluettes, un joli mot dont la signification est souvent méconnue. Vous pouvez nous dire ce qu’il représente pour vous et pourquoi vous l’avez choisi ?

Simon-Gaspar : On a beaucoup hésité pour trouver un nom. C’était déjà un grand défi, parce qu’on voulait juste mettre des morceaux sur un CD, puis les sortir (rires). Mais “bluettes”, à l’origine, ça vient du papa de Roman. Il avait écrit un texte qu’on avait essayé de mettre en musique, dans lequel il utilisait ce mot qu’on trouvait joli. Et puis, au moment de chercher un titre pour l’EP, on s’est rendu compte que c’était un mot qui avait plein de sens différents, qui correspondaient tous plus ou moins à l’état d’esprit de cet EP. Puis, on dirait un nom de fleur, c’est marrant. Ça crée de la confusion, comme notre musique, qui part un peu dans tous les sens parfois.

 

LVP : Justement, à l’écoute de vos morceaux, on sent l’existence de deux facettes pourtant jamais en dualité : l’une plutôt pop et dansante, et la seconde plus sombre et mélancolique. À quoi tient cet équilibre pour vous ?

Elie : En fait, ça tient à notre mood très changeant. C’est assez marrant, parce qu’on fonctionne beaucoup avec les saisons, vu qu’à Saint-Étienne, il fait très chaud en été et très froid en hiver. On voulait aussi éviter de tomber dans de la pop uniquement cheesy et solaire. Le but, c’était vraiment de faire la musique qu’on veut faire. C’est vrai qu’au début, on ne s’est lancés que sur des sons qu’on pourrait dire de pop joyeuse…

Simon-Gaspar : Il y a la reprise de Damso !

Elie : Oui c’est vrai, elle n’est pas si joyeuse. On avait envie d’avoir cette dualité, et que, petit à petit, ce ne soit justement plus une dualité.

Simon-Gaspar : Oui. Si on fait une musique qui a tous ces aspects, c’est aussi parce qu’on écoute de tout. Et comme on écoute beaucoup de choses différentes, on n’a pas envie de ne raconter qu’une seule chose. On veut raconter le plus possible. Pourquoi se limiter ? Alors qu’aujourd’hui, tu prends les gros artistes pop, je pense à Justin Bieber par exemple, il fait des choses très trap, très hip hop, et des trucs ultra pop avec des pianos. Et tout le monde le prend sans aucun problème. Tu vois, ce serait dommage de se mettre des barrières.

LVP : Tu parlais des saisons, et je vous ai entendus dire que beaucoup de facteurs pouvaient influencer votre composition, comme les lieux par exemple. Est-ce qu’à force d’expérimenter, vous avez développé une préférence pour des conditions en particulier ?

© Zoé Joubert

Elie : Nos préférences sont plutôt définies par des lieux. Par exemple, Bluettes a été composé en grande partie à Saint-Étienne, ainsi qu’au Chambon-sur-Lignon, à côté de chez nous, là où Julie a grandi. Là-bas, on ne se retrouve que tous les cinq, et on ne fait que composer parce qu’on n’a que ça à faire, on n’a que ça à penser. C’est notre tour d’ivoire (rires). En plus, on y a passé beaucoup de temps, tout le premier confinement. On y a tout ressenti. On a été énervés, tristes, tout. Donc oui, pour moi, les lieux influencent beaucoup la façon dont on compose.

LVP : Votre musique semble être au croisement de nombreux genres en empruntant aux bagages musicaux de chacun d’entre vous. Quelles sont vos plus grandes influences, ou du moins celles qui vous rassemblent ?

Enki : C’est compliqué. On ne vient pas du tout des mêmes milieux musicaux, notamment dans ce que nos parents nous ont fait écouter. Par exemple, Simon a une culture jazz qu’on n’a pas forcément. Julie a une grosse culture classique, de par ses études. Elie était en classe à horaires aménagés en musique. Il a fait de la guitare et du violon. Avec lui par exemple, on écoute beaucoup de rap, c’est là-dessus qu’on se retrouve le plus. On écoute aussi beaucoup de rock, et Simon aussi. Lui, son truc, c’est la pop, la pop américaine, la pop grand public. Il adore ça. En fait, on est capables d’écouter tout ce que les autres ont à nous faire écouter. Je pense que c’est aussi ce qui fait qu’on peut faire de la musique qui part dans toutes les directions.

Simon-Gaspar : Ouais ! Après, pour avoir des références communes, il faut aller écouter nos playlists qu’on sort de temps en temps (rires), ça regroupe à peu près tous les morceaux qu’on écoute quand on est ensemble.

Elie : Pour donner une échelle, ça passe par du Travis Scott, Ariana Grande, et des artistes français aussi, comme Moussa, et même Moustaki, Brassens. On est vraiment éclectiques. Et c’est ce qu’on a envie de faire ressentir dans notre musique aussi. On est capables de passer d’un morceau plus rappé à Promesse, par exemple, qui part plus dans de la chanson. On expérimente. Il y a des artistes qui ont une phase de recherche, puis qui trouvent leur truc et foncent. Nous, je pense que notre truc, on l’a trouvé, c’est l’expérimentation.

 

LVP : D’ailleurs, en parlant d’influences diverses, je crois que votre titre Ma Piscine (Vas-y danse !) a une petite histoire autour de Debussy, vous pouvez nous la raconter ?

Julie : Tout à fait. J’aime bien déchiffrer de nouveaux morceaux. Je suis plus intéressée par le fait de déchiffrer plutôt que de jouer un morceau en entier par exemple. Je préfère avoir plus de nouveauté, entendre des choses différentes, et apprendre de nouvelles choses techniquement. J’avais donc déchiffré ce petit morceau de Debussy, dont je trouvais l’enchaînement d’accords du début très beau. J’ai ajouté quelques dièses et petits bémols, et ça nous a donné la suite d’accords pour Ma Piscine. On a construit tout le reste à partir de ça, c’est allé très vite.

LVP : Vos influences viennent vraiment de partout !

Julie : Oui, pour moi, ça peut arriver de partout comme de nulle part, de composer. Ça peut venir d’un sample, d’une petite voix, d’un bout de texte, de choses comme ça. Il suffit d’un motif inspirant.

 

LVP : Et en tant que quintet dans lequel vous êtes tous chanteurs, comment se passe l’écriture à cinq ?

Simon-Gaspar : Le plus souvent, chacun écoute la prod, et cherche des choses de son côté. Puis, il y a parfois une phrase qui vient, et qui donne un thème. C’est ce qu’il s’est passé pour Promesse. C’est Elie qui avait ce petit bout de phrase dans la tête : “promesse tenue”. On a alors défini le thème de la promesse. Ensuite, généralement, chacun écrit ses parties de son côté. Puis, on regarde tous ce que les autres ont écrit, et parfois on se dit : “ah ça, je n’aime pas trop comme ça sonne, on pourrait peut-être essayer de le changer comme ça”. Ce n’est pas facile, il faut souvent mettre son ego de côté. Mais à la fin, on réussit à faire des textes qui nous plaisent à tous, et à avoir une cohérence générale.

 

 

LVP : On sent une certaine continuité dans les artworks de vos singles, avec Emma, Quand je rentre seul, Ma Piscine (Vas y danse !), ou encore Promesse. Vous pouvez nous en dire plus sur le choix artistique de ces pochettes ?

Simon-Gaspar : C’est moi qui ai réalisé toutes les pochettes dont tu as parlé. Il fallait des illustrations pour les singles qu’on sortait, et j’ai commencé à faire des collages. On trouvait l’esthétique cool et assez légère. Puis, comme on sortait single après single, on voulait quand même une certaine continuité, donc on a gardé le format des collages jusqu’à la sortie de l’EP. Là, on a voulu faire quelque chose de différent, apporter plus de profondeur à notre image. On a travaillé avec Zoé Joubert, une super amie photographe. C’est la meilleure photographe de France (rires). Elle a fait tout le design et la photo. On a la volonté de travailler avec les personnes talentueuses de notre entourage.

LVP : D’ailleurs, quel est votre rapport à la période actuelle ? Ne pas pouvoir défendre votre premier EP sur scène, ça vous manque ?

Elie : Ça commence à être difficile. C’est un sujet de discussion qui revient très fréquemment. C’est frustrant, parce qu’on a manqué la seule possibilité qu’on avait de jouer filmés au FGO-Barbara, car j’étais cas contact, puis covidé. Maintenant, plus ça avance, moins les nouvelles vont dans notre sens, et moins on nous donne l’impression d’être essentiels. Pourtant je pense qu’on l’est, comme tous les artistes… Enfin, j’espère ! Il y a aussi le fait de ne pas pouvoir avoir de réactions en face. Avant la sortie de l’EP, on a joué à Lyon. C’était bien, mais très bizarre parce que tout le monde était masqué, avec une jauge réduite. Pendant le live, du fait de ne pas voir le visage des gens dans le public, il y a eu des petits moments où j’ai pensé que c’était une catastrophe, parce qu’on n’avait pas de réactions. Finalement on les a eues à la sortie, mais quand t’es sur scène, t’as besoin des réactions directes, c’est ce qui t’alimente.

LVP : En parcourant Radio La Belle Vie (de petites vidéos sorties sur leurs réseaux sociaux pendant les confinements, ndlr), on a l’impression que ces périodes ont été pour vous l’occasion de se questionner, d’expérimenter et de créer. Est-ce que vous considérez que ces mois ont été bénéfiques pour vous ?

Julie : Carrément ! Enfin, on en a forcément tiré quelque chose. Mais ces périodes n’étaient pas non plus faciles, que ce soit le premier ou le deuxième confinement. On a lancé les Radio La Belle Vie parce que pour nous, même faire de la musique était devenu compliqué. Tandis que créer un nouveau format, où on pouvait balancer quelques petits morceaux de maquettes qui n’allaient jamais nous servir autrement, ça a été un bon moyen de continuer. Sur le deuxième confinement, on s’est dit qu’il fallait qu’on refasse un Radio La Belle Vie, qui puisse emmener notre EP et être en même temps intéressant pour notre public. C’est vrai que ça a été bénéfique, parce qu’on a créé des choses qu’on n’aurait pas créées autrement. Après, ces périodes sont peut-être plus négatives que positives, il faut le dire. Mais voilà, on a quand même réussi à créer ces vidéos, et on en est très contents. Ce sont de jolis petits formats.

© Zoé Joubert

LVP : Sinon, comment vous vous situez face au vivier grandissant d’artistes venant de Saint-Étienne ? Ça vous plaît d’être associés à la nouvelle scène stéphanoise ?

Elie : Représente le 4-2, on est là ! Ça tue, parce que Saint-Étienne a été très longtemps portée par du reggae depuis Mickey 3D, puis Dub Inc. Là, on a nos frères de Terrenoire, Marc (Fils Cara, ndlr), Zed Yun, Felower. On a beaucoup de gens, et ça donne une impulsion, ça permet de s’entre-motiver. Nous, on est un peu les petits de cette équipe. On est très soutenus par eux. On bosse aussi avec les Terrenoire, qui sont nos éditeurs. Ce sont beaucoup d’échanges, on se fait écouter des choses, on s’appelle régulièrement, on va en studio ensemble. Il y a eu l’Épopée Verte également, qui nous a tous réunis sur la même scène. Je sens que ça nous fait plaisir, et que ça fait aussi plaisir aux acteurs de la musique à Saint-Étienne.

Julie : Oui, comme tu dis. Ça fait vraiment une émulsion. C’est motivant ! Puis, tous ces gens sont nos copains. Dès qu’ils reviennent à Saint-Étienne, ils nous passent un coup de fil, pas seulement pour la musique, mais parce qu’on a appris à se connaître, à force de se voir. On a construit des liens serrés entre nous. Mais c’est vrai qu’on est les plus jeunes !

Simon-Gaspar : Un exemple direct, avec Marc qui est juste derrière ! (Fils Cara, ndlr)

LVP : D’être les plus jeunes, vous voyez les autres un peu comme vos mentors ?

Simon-Gaspar : Ça dépend sur quels aspects. Sur la musique, ce sont plutôt des inspirations, je pense qu’on se sent assez indépendants. Mais dans ce milieu de la musique très changeant en ce moment, ils nous permettent de rencontrer des acteurs par leur biais, de mieux comprendre le milieu et de mieux s’y intégrer.

LVP : Pour finir, vous pouvez nous confier ce qui tournait en boucle dans vos oreilles pendant l’écriture de l’EP ?

Julie : Franchement, ça dépend, c’est pour ça que notre EP est si divergent. On a commencé à l’écrire il y a plus d’un an, et en un an, on peut en écouter des choses ! Par exemple, on avait mis de côté Ma Piscine, et on l’a reprise au début de l’été. On s’est dit que les gens avaient certainement besoin d’un peu de positivisme.

Elie : Je pense qu’il y a quand même une référence à citer, c’est Parcels, qu’on a beaucoup écouté. On y pensait pendant l’écriture de Zéphir, ou encore Ma Piscine. Après, pour les morceaux plus sombres, il y a eu Omar Apollo, avec une chanson qui s’appelle Frío, qu’on a vraiment poncée.

Simon-Gaspar : Pompée même, on l’a pompée (rires) ! Omar Apollo, faut s’y intéresser, c’est un mexicain qui fait de la musique vraiment bien. Un peu comme nous, il va dans toutes les directions, et il s’en moque. C’est très fort. Et je pensais aussi à Damso. Il a eu un impact sur nous tous, quand même, il faut le dire.

 

LVP : La reprise d’Autotune que vous avez enregistrée a changé quelque chose pour vous ?

Simon-Gaspar : Ça a accroché un certain public. Quand on a commencé à sortir des morceaux, ça a été un des titres les plus porteurs, avec le morceau La Vie Est Belle.

Elie : Ça a été une étape quand même, parce que tout s’est fait en une journée. Simon avait déjà fait la prod, et on commençait à chantonner Autotune dessus. On s’est dit que ça marchait bien, et que le plus logique serait que Julie chante, parce que ça changerait un peu le propos. Elle a enregistré dans la journée. Le soir même, on s’est dit qu’on allait tourner un clip. On a pris mon appareil photo, on est allés dans les rues de Saint-Étienne, et Simon s’est mis au montage. On avait fini le lendemain matin à sept heures, et c’est sorti à midi juste après.

Simon-Gaspar : Et c’était pile le lendemain de la sortie de La Vie Est Belle !

Julie : Même en live, c’est une chanson avec laquelle on prend du plaisir depuis le début. On est un peu timides quand on chante nos chansons, alors qu’avec Autotune, en passant d’un piano-voix où je suis toute seule, à un morceau plein d’autotune avec des instruments derrière, ça libère quelque chose. Il y a un effet de surprise entre les deux. Comparé à la version studio, ça surprend, on ne s’attend pas à une cassure comme ça. C’est une chanson qui nous fait plaisir même en live, et qui fait aussi plaisir au public, j’ai l’impression. Pure chanson, trop fort Damso ! (rires)

Nous, on n’a qu’une seule hâte : pouvoir se laisser surprendre en direct par La Belle Vie lors de la reprise des concerts.

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