Malik Djoudi à pas feutrés dans la cour des grands
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Auteur·ice : Paul Mougeot
05/02/2018

Malik Djoudi à pas feutrés dans la cour des grands

Il s’est longtemps fondu dans le collectif de plusieurs groupes de pop-rock, dissimulé derrière la confortable couverture que procure le chant en langue anglaise, adonné à la composition discrète pour quelques programmes audiovisuels. Malik Djoudi est aujourd’hui sorti de sa coquille avec un premier disque en solo, UN, qui marque une entrée tardive (il a 38 ans) mais remarquée sur la scène pop francophone. Il jouait le 31 janvier au Nouveau Casino sa première date en tant que tête d’affiche. On tenait à y être, on vous raconte.

Salut, on ne te reconnait pas non plus. Il doit être 20h lorsqu’une silhouette, chemisette pastel et lunettes de soleil rondes, s’avance sur la scène du Nouveau Casino au milieu d’un set-up minimaliste, ordinateur d’un côté, pad de l’autre, micro au milieu. La salle est déjà remplie depuis plusieurs minutes et les spectateurs présents lui prêtent tout juste une attention distraite alors qu’elle allume une bougie dont les premiers rangs devinent les effluves, puis approche un petit enregistreur de poche près du micro pour lancer son set. L’audience est dissipée et la désormais classique configuration ordinateur/pad fait redouter le pire : tous les ingrédients sont réunis pour une première partie manquée, dont on attend péniblement la fin en soupirant.

Pourtant, c’est finalement loin d’être le cas et pour cause : Ricky Hollywood est un personnage, une sorte de croisement intemporel entre un avatar pop de Salut c’est Cool et une version adoucie de Philippe Katerine. Intrigué et amusé par les interventions lunaires de l’artiste qui n’hésite pas à présenter ses morceaux avec une hilarante auto-dérision, trébuche sur sa bière et gesticule furieusement en frappant sur machines, la fosse se laisse prendre au jeu. Il faut dire que l’ambiance s’y prête : les textes sont légers, racontent des moments gênants (Salut, je ne te reconnais pas) ou enjoignent à faire l’amour, et à le faire correctement (L’amour peut-être). Si on comprend rapidement que la musique de Ricky Hollywood s’inscrit dans cette nouvelle vague pop francophone perchée et ingénue (Voyou, Lafayette…), elle n’en fait pas moins appel avec audace à des influences variées, hip-hop aux traits forcés, ballades rock, percussions exotiques… On apprend d’ailleurs que l’oiseau a sorti un disque, Le Modeste Album, qu’il présentera à nouveau le 11 février prochain au Point Ephémère.

Sa mission est, en tout cas, parfaitement remplie. Il quitte la scène en laissant derrière lui un public plein d’entrain et la lumière s’éteint. La flamme de la bougie, elle, demeure.

L’arrivée de Malik Djoudi est à son image, sobre et discrète. La salle est toujours plongée dans la pénombre lorsque les douces notes de synthé de Peur de rien se font entendre. La scénographie est joliment épurée : quelques néons disposés aux coins de l’espace, un îlot central composé de claviers de chaque côté desquels se placent l’artiste et son bassiste, face à face. Le public frémit imperceptiblement en entendant monter la voix androgyne de Malik Djoudi, qui donne vie à des textes d’une poésie candide, justes et délicats.

On s’attendait à voir les titres de son disque repris classiquement, il n’en fut rien. Car en concert, les deux hommes troquent la douceur et le calme de l’album contre une énergie débordante et des sonorités plus électroniques. Chaque morceau ou presque est ainsi suivi d’une outro techno qui vire quasiment à la musique de club et transforme instantanément le Nouveau Casino en un dancefloor sur lequel les noctambules se trémoussent allègrement. Cette intensité, bien qu’inattendue, ne perturbe pas le lien qui se noue entre Malik Djoudi et son public qui multiplie les encouragements. De ce récital ressortent quelques morceaux qui semblent parmi les plus appréciés à l’applaudimètre : Cinéma (titre pour lequel Malik Djoudi vient de sortir un nouveau clip, avec Cécile de France) et l’évident Sous Garantie, petite pépite mélancolique de la pop synthétique. Le natif de Poitiers s’autorise même une incursion dans les années 80 avec une étonnante reprise de Cambodia de Kim Wilde qui laisse entrevoir des ressources vocales insoupçonnées et témoigne de la puissance dont l’interprète est capable, lui qui opte le plus souvent pour la douceur et la mesure. On est aussi séduit par la touchante sincérité de Malik Djoudi, très ému au moment de quitter la scène, avant de revenir interpréter une version acoustique basse-voix de Sous Garantie en guise de rappel.

Pour sa toute première date en tant que tête d’affiche, Malik Djoudi a fait à son image et à celle de sa musique, c’est-à-dire humble, juste et sincère. Il n’en fallait pas davantage pour confirmer tout le bien qu’on pensait de lui, et pour entrer définitivement dans la cour des grands.

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