On a parlé de son premier album avec Norma
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Auteur·ice : Paul Mougeot
16/01/2019

On a parlé de son premier album avec Norma

Que ce soit volontairement ou sans le savoir, vous avez forcément déjà entendu un morceau de Norma. Et si l’interprète de Lost & Found, Alone Again ou Girl In the City n’avait jamais sorti d’album, ce sera bientôt chose faite avec un premier disque, Female Jungle, à paraître le 25 janvier. Pour l’occasion, on est allé à la rencontre de l’une des artistes à suivre en 2019.

La Vague Parallèle : Hello ! Le 25 janvier prochain, tu sors ton premier album. Comment tu te sens ?

Norma : Je suis vraiment hyper stressée ! Je suis très angoissée et émotive, c’est comme ça (rires). C’est aussi lié au fait que ce soit mon premier album : je le sors en auto-production, j’ai monté mon label pour ça, donc je dois penser à tout.

Après, je suis quand même très heureuse de sortir cet album. J’en suis très fière : du début à la fin, c’est vraiment moi ! Je suis hyper excitée qu’il existe et que les gens puissent l’écouter, c’est la seule chose qui m’importe.

LVP : Tu écris des chansons depuis l’âge de quinze ans, tu as déjà sorti plusieurs morceaux, un EP… Pourquoi ne sortir un album que maintenant ?

N : Le concept de l’album, je crois que je l’ai un peu sacralisé. Pour moi, c’est un format qui fait peur alors qu’effectivement, j’ai déjà composé énormément de chansons et j’aurais pu sortir un album depuis longtemps.

Là, j’en étais arrivée à une suite de chansons composées en peu de temps et qui, dans leur esthétique et dans ce qu’elles racontaient, formaient un album. Très vite, je me suis dit qu’il s’appellerait Female Jungle. C’est une des premières chansons que j’ai composées sur ce disque et je trouve qu’elle représente vraiment l’album.

LVP : Est-ce que tu peux nous parler de la manière dont tu as composé et enregistré ce disque ?

N : J’ai composé tous les morceaux chez moi, la nuit, sur mon ordinateur. C’est un processus très spontané : j’ai une idée qui me vient et j’enregistre tout de suite une démo sur Logic, c’est ma partie préférée de la composition. Je ne suis pas du tout perfectionniste sur les démos, je les travaille juste pour qu’elles représentent ce que je ressens à un moment donné.

Je me suis ensuite posé la question de la production. C’est une étape qui me faisait peur, je ne me sentais aucune légitimité à la faire. Mais pour moi, l’expérience de l’EP avait été douce-amère parce que je ne l’ai pas produit moi-même et j’ai regretté de ne pas avoir cru en moi, de ne pas y avoir mis les mains. En y réfléchissant, je me suis dit que je voulais des morceaux qui étaient fidèles à mes démos. Sur mes démos, la prod’ est maladroite, c’est un peu du bricolage, mais c’est ce que j’aime. J’en ai parlé à Adrien (Ryder the Eagle, NDLR), et il a tout de suite compris où je voulais les amener : je voulais qu’elles soient profondément intimes.

On a amené tout notre studio dans une maison au bord de l’océan, dans les Landes, et on a enregistré là-bas pendant deux semaines, à l’été 2017. Le mot d’ordre, c’était de rester proche des démos tout en y ajoutant l’ambiance que j’avais en tête, avec des images un peu cinématographiques. En rentrant à Paris, j’ai eu une période de doute donc j’ai repris ce travail pour qu’il corresponde exactement à ce que je voulais, je l’ai perfectionné. Et finalement, le résultat est très proche de mes démos : disons que mes démos ressemblent à une photo faite avec un appareil jetable, et que le morceau final correspond plutôt à une belle photo prise avec un appareil argentique (rires) !

LVP : Pour ce disque, tu as troqué l’atmosphère rock énervée de tes précédents morceaux pour une formule plus calme et épurée, souvent construite autour d’un piano/voix ou d’un guitare/voix. Pourquoi ce changement ?

N : À l’époque de mon EP, on était en groupe, j’avais des chansons qui étaient très pop mais qu’on avait décidé d’amener dans une direction un peu plus brute. Les chansons de cet album, je voulais pouvoir les jouer telles qu’elles sont. Elles existent en guitare-voix ou en piano-voix, mais je peux aussi en faire des versions très produites.

Je trouve qu’une bonne chanson pop, c’est une chanson qu’on peut jouer aussi facilement et efficacement en guitare-voix que dans une version très produite. J’aime qu’un morceau puisse évoluer. Par exemple, la version de Lost & Found qu’on a travaillée avec Coming Soon avait un rythme très léger, presque reggae.

LVP : Dans ce disque, tu évoques des sujets qui sont encore difficiles à aborder en 2019 : les règles, le désir et la sexualité féminine, l’acceptation de soi… Est-ce que ce sont des thèmes qui sont plus faciles à aborder en chanson ?

N : Je ne suis pas gênée par ces sujets, je n’ai pas de mal à parler des inégalités qui règnent : on n’a toujours pas le droit de parler de nos règles parce que ça dérange, ni du désir qu’on peut ressentir… Pour moi, c’est très naturel, je peux en parler facilement.

Mais en effet, pour moi, le dire en musique est la meilleure des manières de le faire et ça me fait beaucoup de bien. Je suis contente d’avoir écrit Another Red Day parce que ça parle d’un sujet qui régit ma vie tous les mois, et j’ai reçu beaucoup de messages de femmes qui me disaient que j’avais bien capté le truc.

LVP : On lit souvent dans la presse que ta musique et ta démarche artistique sont féministes, je trouve que ce n’est pas tout à fait juste. J’ai l’impression que cet album présente, plutôt qu’une revendication ou un message, une collection des sentiments qu’une femme peut ressentir au plus profond d’elle, qu’il s’agit de quelque chose de très intime.

N : Je suis d’accord, c’est très juste. J’ai grandi avec ma mère et ma soeur et j’ai toujours été fascinée par les femmes en général, par l’énergie qui se dégage d’elles.

Je suis féministe aussi, bien sûr, mais je ne suis pas une porteuse de messages. Ma musique tient beaucoup plus de l’émotion que de la prise de position. Parfois, j’avais l’impression que tout le monde titrait que j’étais féministe parce que j’avais sorti le morceau Girl In The City, ça m’a un peu agacée parce que personne ne parlait de ma musique en tant que telle.

En plus, je suis pétrie de confusions sur la question de l’identité féminine. Le fait est que je me sens très femme, et c’est vrai que mon album traite des sentiments d’une femme, de ce que c’est que d’être une femme en 2018. Mais je pense que c’est assez universel, ça parle de la place d’une femme dans un couple, de l’hystérie… Je suis fascinée par les représentations de l’hystérie et de la manière dont on accable les femmes dès qu’elles montrent de la colère.

Ce sont aussi les chansons d’une femme à l’approche de la trentaine, à un moment où tu sens que tu changes. Ces chansons, pour moi, elles ont formé cet album parce que je les ai senties comme des chansons de femme et non plus comme des chansons de jeune fille, ce qui était le cas pour mon EP.

LVP : Ton album et tes visuels sont très imprégnés des codes des années 50 ou 60 et de l’esthétique pin-up. Qu’est-ce qui t’attire dans cette esthétique ?

N : C’est une fascination que j’ai depuis toute petite : j’ai été fan de Marylin Monroe dès que je l’ai découverte, j’ai vu tous ses films. J’ai toujours adoré le côté pin-up, j’ai même eu ma période pin-up au collège ! Je me suis toujours sentie très femme et j’aime jouer avec les codes de la féminité. J’aime ce côté duel, en clair-obscur : on retient souvent le côté naïf de Marylin Monroe alors que c’était un personnage beaucoup plus profond que ça.

C’est cool que tu l’aies vu dans l’album : mes parents m’ont beaucoup montré de vieux films quand j’étais petite et je suis toujours très passionnée par le cinéma, ça m’est resté. J’ai un rapport assez nostalgique à ça, je suis plutôt régressive.

LVP : Ton morceau Don’t Look Down On A Girl Like Me est un hommage appuyé au RnB des années 1990 et rappelle des morceaux de Britney Spears ou Justin Timberlake. C’est également une période qui t’inspire ?

N : En fait, c’est vraiment lié à ma formation musicale : quand j’étais petite, je regardais les clips sur MTV et j’écoutais Britney Spears. Mes parents me faisaient écouter leur musique, et moi j’écoutais de la pop et du RnB, c’est ce qui me faisait rêver.

J’ai un rapport très nostalgique aux sons de cette époque : j’utilise beaucoup de samples des années 1990, j’ai des synthés des années 2000… Je trouve que musicalement, cette époque était à la fois ludique et assez glauque. C’est ce qui m’émouvait à l’époque : il y avait quelque chose de sombre, quand tu écoutes TLC ou Aaliyah, ce sont des beats un peu glauques avec des clips à la lumière verdâtre… Cette esthétique m’a vraiment marquée.

En tout cas, je me suis éclatée à faire ce morceau et ses arrangements avec Jazzboy.

LVP : Tu termines ton album par le titre Alone again. Est-ce que c’est une manière de dire qu’aujourd’hui, une femme libre, indépendante, émancipée et qui se revendique comme telle se retrouve fatalement seule ?

N : Oui, c’est un peu ça (rires) ! Ça me faisait rire de mettre ce morceau en dernier parce qu’effectivement, ça fait vraiment triste de mettre des chansons dans lesquelles je m’énerve et je parle de cul pour finir sur ça !

Plus sérieusement, c’est une chanson vraiment très personnelle et ça me semblait naturel qu’elle vienne terminer l’album, comme une sorte de boucle de la vie.

LVP : À l’automne, tu as organisé un “mini world solo tour” à travers les Etats-Unis, le Canada, l’Espagne, la Suède, l’Allemagne… Comment est-ce que ta musique y a été accueillie ?

N : Le fait d’être seule sur scène, ça crée immédiatement une proximité avec les gens. J’aime beaucoup ça, j’ai l’impression d’être coeur-à-coeur avec le public. Les gens étaient très attentifs, je parle beaucoup sur scène quand je suis en solo parce que j’ai besoin de déverser mon stress, et je trouvais génial que le public puisse me répondre. Pour moi, c’est la meilleure manière de jouer ma musique. J’aime quand c’est vivant.

Dans les pays anglophones, il y avait un truc en plus parce qu’ils comprenaient mes paroles. En France, je trouve qu’on prête moins d’attention aux paroles. Et puis les publics de ces pays avaient aussi une culture très anglo-saxonne donc je pense qu’ils comprenaient très bien ma musique et ses références.

LVP : Comme tu l’expliquais, au cours de cette tournée, tu as parfois proposé des versions retravaillées de certains de tes morceaux que tu jouais avec des membres du groupe Coming Soon. Est-ce que tu aimerais aussi collaborer avec d’autres artistes ?

N : Pour travailler sur ma musique avec des gens, il faut vraiment que je sois intime avec eux. Je suis très pudique quand il s’agit de ma musique, je n’ai jamais co-écrit avec quelqu’un. Parfois, je me dis que j’aimerais beaucoup travailler avec tel ou tel artiste parce que j’ai entendu un album qui me plaît beaucoup mais en même temps, je suis tellement control freak que c’est difficile (rires).

Cet album, je voulais qu’il soit très intime, que ce soit moi à 100%. Mais pour la suite, j’aurai peut-être l’envie que ma musique soit plus extérieure à moi, je ne sais pas.

LVP : Et cet album, comment est-ce que tu comptes le faire vivre sur scène ?

N : Tourner en solo c’est chouette, ça fait énormément progresser, mais maintenant j’ai envie de retranscrire l’album sur scène tel qu’il est. Ça passe par une formule en groupe, c’est-à-dire un trio avec une batteuse et quelqu’un qui s’occupe des machines, des samples…

La version solo est trop minimaliste par rapport à l’album. Il me reste quelques premières parties à faire en solo puis je travaillerai sur une tournée en groupe, avec notamment une date en tête d’affiche au Point Ephémère en avril.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu peux nous parler de tes coups de coeur musicaux du moment ?

N : J’ai découvert une artiste récemment, c’est U.S. Girls, son dernier album est génial. Il y a de la rage dans sa musique et c’est quelque chose qui me touche beaucoup, quand les chanteuses chantent avec leurs tripes, comme Fiona Apple. J’écoute aussi Mitski, c’est une artiste américaine d’origine japonaise qui a sorti son album Be the Cowboy l’année dernière, sa musique est magnifique.

J’apprécie beaucoup ces deux artistes parce que ce sont deux femmes affirmées qui sont vraiment maîtresses de l’image, et je suis très sensible aux projets incarnés à 360°.

 

Crédit photo : © Dana Trippe

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