Oscillant entre obscurité et beauté, The Dream est l’album dont Alt-J a toujours rêvé
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Auteur·ice : Hugo Payen
11/02/2022

Oscillant entre obscurité et beauté, The Dream est l’album dont Alt-J a toujours rêvé

| Photo : George Muncey

Après un hiatus musical de près de cinq ans, c’est en septembre dernier que le groupe originaire de Leeds, en Angleterre, nous est réapparu avec la sortie de U&Me. Habitué des grandes scènes et des récompenses, c’est en ce début d’année qu’Alt-J fait officiellement son grand retour avec la sortie de The Dream. Entre mythes populaires américains et mélancolie romantique, le célèbre groupe britannique n’a définitivement pas dit son dernier mot. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, les membres du groupes ont répondu à quelques-unes de nos questions, et nous ont expliqué en quoi consistait ce rêve. Plongeons au cœur de ce quatrième album aussi intime que fascinant.

Avec deux albums au succès international, un Mercury Prize et l’Award du meilleur groupe britannique en 2018, nous pouvons dire qu’Alt-J a indéniablement marqué l’histoire de la scène musicale britannique. En discutant avec les membres du groupe, on réalise rapidement que l’aventure n’a pourtant pas été des plus faciles. Tout le monde ne réagit pas de la même manière face à un succès instantané. Au fil des années le groupe s’est bâti un univers musical propre, aux textures sonores étonnantes et aux expérimentations rythmiques aussi douces que musclées. Un univers qui a bercé une génération entière, et que nous avons la chance de (re)découvrir à travers les douze titres qui composent The Dream.

Notre rêve au début était juste de réussir à sortir un bel album sur un petit label, puis ne faire qu’une centaine de copies, dessiner la pochette nous-même, etc. Au final on a réussi à faire bien plus que ça, et c’était magique. – Gus

Un succès instantané

L’histoire folle de Alt-J commence en 2007, en plein cœur de l’université de Leeds. Joe Newman, Gus Unger-Hamilton, et Thom Green sont alors en fin de première année quand Joe fait écouter à Gus quelques mélodies qu’il avait composées à la guitare. Sans attendre, celui-ci y rajoute des lignes de basse. L’aventure était lancée. Après quelques essais de nom de groupe, les jeunes Anglais optent pour Alt-J, en référence au symbole delta. Le groupe a alors l’occasion de se produire sur des petites scènes. Rapidement, plusieurs labels les repèrent. Ce mélange expérimental entre ces beats hip-hop et électroniques, ces mélodies pop et ces influences folk ne passe pas inaperçu et plait. Quelques années plus tard, c’est avec An Awesome Wave que le groupe arrive sur le devant de la scène. Un premier album qui explore déjà cet univers cinématographique avec brio. Avec ses sonorités éthérées, ses envolées vocales, et ses arrangements ineffables, Alt-J marque rapidement les esprits. La suite de l’histoire, on la connait.

À l’époque de An Awesome Wave, notre rêve était d’être ce genre de groupe cool, qui fait parler de lui sans réellement faire parler de lui. Puis tout est arrivé d’un coup, engendrant des opinions très brutales à propos de notre musique. On est devenu le centre de l’attention. Et on a dû s’y habituer. C’est pas aussi facile que ce que l’on pense d’entendre des gens dire qu’ils n’aiment pas ce que tu fais. – Joe

Avec un Mercury Prize entre les mains, le chemin est tout tracé pour Joe, Gus et Thom. En l’espace de quelques mois, Alt-J réussit à conquérir des millions de fans, et s’impose sans tarder à l’international. C’est alors à l’été 2014 que le groupe revient avec la sortie de Hunger Of The Pine, qui signifie la sortie imminente de leur second album, This Is All Yours. Sans surprise, ce nouvel opus fait l’effet d’une bombe. Avec des écoutes atteignant rapidement les millions, This Is All Yours replace le groupe aux sommets.

 

Mais si les fans augmentent à travers le globe, cela laisse par conséquent plus de place à la critique. Comme Joe nous l’explique, le groupe devient le centre d’attention de l’industrie musicale anglaise en très peu de temps. Comment ne pas le devenir nous diriez-vous, avec ces véritables bangers que sont Left Hand Free, ou Breezeblocks. Avec cet afflux de commentaires parfois très subjectifs et infondés, le groupe est face à quelque chose qui ne faisait pas partie de leur rêve initial. Pourtant, l’engrenage continue de tourner, les dates s’enchainent à un rythme effréné, ne laissant que peu de temps au groupe.

Nos fans nous ont fait confiance au fil du temps et ne s’attendent pas forcément à ce qu’on refasse un album ressemblant aux autres.  Ils s’attendent à ce qu’on essaye aussi de nouvelles choses et c’est très excitant. C’est une belle option de tout quitter quand t’es au sommet. Mais le fait de continuer à jouer pour tes fans, de ne plus faire attention à ce que les gens pensent de toi, c’est encore mieux. Ce serait presque injuste envers ces personnes qui t’apprécient en tant que groupe et ne t’ont pas lâché depuis tes débuts. – Gus

En 2017, Relaxer voit le jour. À la surprise collective, le groupe nous dévoile un univers différent. Si pour certains, Relaxer ne marque pas les esprits autant que ses deux prédécesseurs, pour d’autres, il est une prise de risque éblouissante qui vaut le détour. Alt-J nous plonge ici encore plus loin dans son imaginaire. À l’inverse de Pitchfork, qui décrit la fin du groupe britannique lors d’une critique incisive, Relaxer nous semble être synonyme d’une évolution au sein du groupe. Une évolution qui ne fait alors que commencer. Le groupe veut se démarquer, et veut montrer qu’il n’est pas là sans raison.

Quand le rêve devient réalité

Après des années de tourbillon émotionnel, les membres du groupe ont – de manière très légitime – besoin de temps et d’espace. Pendant près de cinq ans, Alt-J s’évanouit dans la nature. Une pause des plus méritée pour le groupe, qui ne s’est presque pas arrêté depuis la sortie de An Awesome Wave. Entre ces voyages en bus à répétitions, ces traversées en avion, et ces soirées aussi puissantes qu’exténuantes, il était temps pour Joe, Gus et Thom de prendre du recul. Du temps qu’ils mettent à profit pour se concentrer sur d’autres projets, mais avant tout, pour se concentrer sur eux-mêmes.

C’est en janvier 2020 que le groupe se retrouve, plus motivé que jamais. Alt-J est alors prêt à nous raconter de nouvelles histoires, aussi folles et sensibles qu’à ses débuts. Il serait faux de dire que The Dream est un retour aux sources. Cependant, il est clair que le groupe est loin d’avoir perdu sa flamme des débuts. Avec ce nouvel album, Alt-J s’essaye à de nouvelles choses, qu’il s’agisse du plan personnel ou dans la manière dont ces nouveaux titres résonnent les uns par rapports aux autres. Comme nous l’explique Joe, chaque chanson est un monde à part entière sur The Dream.

Je me suis connecté à mes instruments encore plus qu’auparavant. Je dirais que j’ai toujours joué de la guitare pour écrire des morceaux, alors que maintenant je vois les choses sous d’autres perspectives. J’ai vraiment essayé de montrer que nos guitares avaient leur propre voix. C’est quelque chose que j’ai découvert dans les prémisses de l’album, et que j’ai essayé de pousser tout au long de celui-ci. – Joe

Une guitare des plus emblématiques que nous retrouvons dès les premières secondes de l’album. En débutant avec Bane, le groupe met la barre très haute. En un instant, ces sonorités emblématiques, qui font l’essence même du groupe, nous reviennent en plein visage. En cinq minutes, celui-ci arrive à nous faire passer de l’étonnement à l’émoi. Avec U&Me, premier single que nous vous décrivions comme des plus réconfortants, le trio britannique enfonce le clou. En l’espace de deux morceaux, The Dream nous replonge dans cet ensemble d’arrangements uniques qui, sans vous mentir, nous avait indéniablement manqué.

 

Par la suite, pas de surprises. Le groupe enchaîne avec Hard Drive Gold, The Actor, et Get Better. Des morceaux qu’on a pu découvrir au cours des derniers mois. Un choix tant questionnable que compréhensible. S’il ne s’agit pas forcément des plus gros titres de l’album, l’idée est de nous montrer que celui-ci sera potentiellement le plus complet quant à l’éventail de sonorités qui y naviguent. Un choix efficace, qui nous rassure, et nous montre que leurs thématiques criminelles et cinématographiques des débuts sont toujours bien présentes avec ses contes inspirés de crimes réels, de récits d’Hollywood comme sur The Actor. Un titre qui nous plonge dans un Hollywood des années 80, où une autre jeune star de cinéma pleine d’espoir, à la recherche de ce rêve, débarque en pleine démesure.

Au fil de l’album, on sent que le groupe se fait plaisir. Le point fort de The Dream réside alors dans ce mélange des genres, dont Alt-J a le secret depuis des années maintenant. En quelques minutes, il nous est possible de danser sur Chicago, d’être hypnotisé sur Happier When You’re Gone, pour se retrouver en pleine ballade acoustique sur Get Better. Avec des titres comme Chicago et Philadelphia, le groupe nous expose assurément ses nouvelles expérimentations sonores. Véritable coup de cœur personnel, Walk A Mile est indéniablement le chef-d’œuvre de l’album, venu nous replonger sans vergogne dans ces sonorités emblématiques des débuts. The Dream arrive bientôt à sa fin, Walk A Mile en est le point culminant.

C’est vraiment l’idée de se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre, vivre ce que cette personne peut traverser. Walk A Mile est une première pour nous, et pour moi lyriquement parlant. L’idée derrière ce titre révèle un monde bien plus profond que ce que les paroles nous disent. Ça parle de la relation entre un leader et un suiveur, de comment l’un peut avoir du contrôle sur l’autre, et de la manière dont cette relation peut devenir dangereuse. – Joe

En clôturant ce nouvel opus par ces deux titres forts que sont Losing My Mind et Powders, Alt-J comble nos petits cœurs en manque constant de ces beats ondulants ayant fait leur renommée. Losing My Mind nous apporte cette dernière envolée de notes, alors que Powders nous apaise, après ces onze dernières aventures musicales. Une des nouveautés de cet album réside dans ses dialogues, Powders en étant le plus bel exemple. En effet, durant ces dernières années, Thom Green avoue s’être mis à l’acting. Une nouvelle passion qui occupe une grande place dans ce nouvel album. Venus rajouter cette touche d’imaginaire cinématographique, les dialogues présents sur l’album lui apporte une dimension inédite. The Dream se termine alors en douceur, sur ces notes familières des plus incandescentes.

 

Avec The Dream, le groupe britannique nous expose ses nouvelles histoires avec panache. Mélangeant l’intrigue, la beauté et l’humanité à leur manière, Alt-J impose une nouvelle fois son style des plus singuliers. Ces moments de folie artistique des débuts sont toujours bien présents. Mais le groupe a mûri et arrive à les déployer avec autant de précisions que de subtilité. Quand on y pense, c’est long, cinq ans. Cependant, dans une époque où la rapidité règne en maîtresse, l’attente semble toujours être quelque chose de bénéfique en ce qui concerne la musique. The Dream en est la preuve. Entre une instrumentation éblouissante et des textes toujours plus personnels sublimés par la voix unique de Joe Newman, Alt-J nous revient de la plus belle des manières. En guise de clap de fin, le groupe nous explique alors quelle serait leur définition de ce rêve dont il est question pendant près de cinquante minutes.

C’est un album qui peut être interprété de plusieurs manières. Je dirais que le processus de cet album est en lui-même un peu un rêve. Réussir à faire un album en pleine pandémie n’est pas facile. Pour moi, chaque début de création est très fort. On part de rien pour arriver à créer un monde de toutes pièces. Même après l’avoir réalisé, c’est toujours quelque chose de fort. Notre histoire en tant que groupe est un rêve. C’est assez fou de pouvoir faire le métier dont nous rêvions et de le faire à notre niveau. C’est presque trop beau pour être vrai au final.


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