Shaka Shams dévoile sa philosophie Action Only avec son nouvel EP
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
12/06/2021

Shaka Shams dévoile sa philosophie Action Only avec son nouvel EP

| Photo : Line-Téta Blémont

Sombre et tiraillé, le nouveau projet de Shaka Shams va vous plonger dans les abîmes sonores d’une des plus belles promesses de la scène hip-hop belge. Action Only Volume 1 voit l’artiste s’aventurer sur des textes corrosifs, portés par sa voix grave et de multiples élans de boombap, lo-fi, trap et house music. Entre éclectisme et vision singulière, Shaka Shams a tout pour se démarquer. Le jeune talent nous a confié quelques clés de compréhension pour appréhender son univers étriqué, avec comme ligne de conduite la diligence de l’action only

C’est une matinée pluvieuse de plus dans le Plat Pays. En nous dirigeant vers le lieu de rendez-vous convenu, on s’apprête déjà à rencontrer un personnage sombre, fermé, torturé. À l’image de sa musique et des thèmes qui l’habitent. Et pourtant, rien de tout cela. Shaka Shams nous accueille avec légèreté et un sourire contagieux, entre timidité contrôlée et bienveillance indéniable. C’est là toute la spécificité de l’artiste : la dualité. Si sa musique laisse présager une personnalité à vif, teintée de violence et de brutalité, ce n’est qu’une moitié de la mosaïque identitaire qui le régit.

Ma musique est régie par la dualité. Certains morceaux comme Make Em Run le prouvent : je suis une personne relativement calme, mais je peux écrire ce genre de sons. Pareil pour Nasty, je suis assez silencieux et discret de base, mais je peux débarquer avec ce genre de texte. Du coup, la dualité fait partie de ma vie et elle s’invite de façon assez naturelle dans ma musique.

 

Un nouveau projet qui s’inscrit dans la lignée des précédentes sorties du rappeur, avec une généreuse touche d’investissement supplémentaire. Aussi, une certaine volonté de se diversifier tant que possible se fait ressentir, en témoigne l’éventail riche et varié d’influences qui ponctuent les cinq morceaux de l’EP.

Action Only, c’est moi à 100%. Alors que sur les précédents, c’était un processus plus précipité. Récemment, j’ai commencé à me répéter “Don’t talk, action only”. C’est une référence au fait de rester focus, de rester diligent, de rester moi-même et de prendre le temps de bien peaufiner mes sons. C’est une philosophie qui me plaît car cela me permet de proposer différents styles dans mon projet. Je ne veux pas m’enfermer dans un certain registre, je veux laisser ma musique évoluer avec le temps et puiser dans un maximum d’influences possibles.

À force d’allers-retours entre l’Angleterre et la Belgique, la musique de l’artiste s’est également vue chargée d’une certaine forme de double-face : entre la house music britannique et la culture hip-hop plus marquée chez nous. Entre les deux registres, Shaka Shams semble avoir construit le sien, une sorte de chimère techno-rap qui s’attèle autant à soigner son flow et ses textes que les compositions électroniques sur lesquelles il les pose. Make It Lastaux sonorités qui ramènent à un bon Channel Tres, témoigne bien de cette alchimie efficace entre les deux styles, et de l’aisance avec laquelle l’artiste l’exécute.

Je suis à l’aise avec les deux registres. C’était facile de les mélanger, à condition de ne pas se soucier des critiques. J’ai eu beaucoup de gens qui me disaient que je devais choisir l’un des deux. Fuck that. Du coup, c’est un exercice qui peut être facile, si c’est vraiment ce que tu veux faire et que tu y travailles à fond. 

| Photo : Line-Téta Blémont

À l’écoute de cette voix profonde et de l’atmosphère lourde qui l’enrobe, on pense directement à des figures outre-Atlantique comme Tyler, The Creator ou encore Earl Sweatshirt. Des comparaisons récurrentes qui témoignent de cette manie que peuvent avoir le public et les médias à la découverte d’un nouveau talent, mais qui se justifie selon l’artiste par la volonté de se saisir de certains repères.

Je n’aime pas forcément entre comparé. Mais bon, quitte à ce que ce soit le cas, autant qu’on le fasse avec des artistes pertinents : dans le cas de Earl et Tyler, je peux comprendre, notamment au vu de la voix grave et profonde, etc. La comparaison, c’est un problème, oui. Mais d’un autre côté, je pense que c’est typiquement humain de devoir placer les gens dans des cases, ça aide à pouvoir se situer quelque chose.

Au niveau des thèmes de l’EP, Shaka Shams ose aborder les questions qui font mal, en s’attaquant aux thématiques de l’isolement, de la violence, pour donner une tribune aux parts d’ombre qui sommeillent en nous. En choisissant Sleezy comme lead single du projet, il assumait les couleurs de ce disque : noir foncé. Un morceau sempiternel et plus chill sur lequel il dissociait les images d’un été festif de l’allégresse qui les accompagne habituellement, leur préférant un habillage sombre et putride. L’allégorie du sad dark summer signée Shaka Shams.

Sur Cut Zones, dont on vous dévoilait les coulisses du clip dernièrement, c’est la trame de la solitude et de l’isolement que l’artiste pose sur papier. Deux sujets encore tabous et considérés péjorativement en société, mais qu’il comptait revaloriser à travers un texte vibrant de vérité et de transparence.

C’est une musique triste, assurément. J’aime aborder des sujets de controverse et engager une discussion autour d’eux. Sur celui-ci, on parle de solitude, certes. Mais c’est mon remède, et je me devais d’être honnête avec moi-même et de parler de ma vérité. Alors certes, c’est peut-être perçu comme un sujet touchy, mais je pense que ça ne devrait pas forcément être le cas. 

Si l’artiste excelle dans l’art des titres vaporeux et mystiques, il brille également sur des instrumentals plus soutenus et pétulants. À l’instar de Make Em Run, titre virulent porté par des beats saisissants à la sauce trap et aux notes de glockenspiel cauchemardesque. Un morceau sur lequel le jeune homme s’affiche en monstre de bestialité, prenant le soin de présenter une certaine facette enfouie de lui-même.

Shaka Shams : C’est un côté de moi également. Dans l’ensemble, tous les morceaux de cet EP sont sombres, mais ils englobent chacun une variation différente de cette noirceur. Make Em Run, c’est clairement le côté plus colérique. Je ne suis pas une personne agressive, mais j’ai du tempérament. Les gens me connaissent comme le gars très chill, très tranquille, mais je peux être très en colère, aussi. Et Make Em Run m’a permis de l’exprimer, en parlant de tous les motherf*ckers que je n’aime pas. 

 

La Vague Parallèle : Ils vont s’y reconnaître ? 

 

Shaka Shams : Je l’espère. (rires)

 

Sur le banc des invité·es : personne. Un élément qui résulte autant du manque de disponibilité des acteur·rices du paysage musical belge que de la volonté de Shams de ne s’entourer que de la crème de la crème.

La raison pour laquelle il n’y a pas de collaborations, c’est parce que les autres artistes ne collaborent pas. (rires) Personne ne m’approche pour un feat, et du coup je fais mon truc de mon côté. C’est comme ça, et ce n’est pas plus mal. Mais je suis ouvert à des collaborations. Seulement, les artistes belges que j’aimerais voir figurer sur mes projets sont assez compliqués à contacter et convaincre. Du coup, je me suis dit que j’allais rester solo et proposer un projet 100% Shaka Shams.

À noter tout de même, la présence de Blu Samu, proche collaboratrice et amie de l’artiste, qui glisse sa voix et son charisme si particulier sur le survolté Nasty. Une collaboration qui relève davantage d’un hasard naturel que d’une décision purement logistique.

C’était vraiment un coup de chance. De base, j’avais demandé à quelqu’une d’autre de poser sa voix sur la track. Je n’étais pas hyper convaincu, et au moment où j’ai été mixé et masterisé le projet, j’ai demandé spontanément à Blu de venir parce que je n’étais pas vraiment sûr de ce dernier morceau. J’avais besoin de quelqu’un avec plus de charisme, d’essence, et c’était la personne idéale. Blu, c’est un peu comme ma grande sœur. On se connaît depuis longtemps, et donc c’était encore plus évident pour moi de lui proposer de figurer sur l’EP. Elle est parvenue à infuser quelque chose de très nasty, mais aussi finement second degré.

Signée de l’artiste visuel KAROSHi, la pochette du projet donne vie à la philosophie diligente de Shaka Shams, tout en personnifiant l’atmosphère sombre et lugubre véhiculée tout au long des tracks.

On me voit en train de sourire, mais de façon un peu forcée. C’est un peu la signification d’Action Only, en mode “continue de sourire, continue d’y aller”. Ce sourire représente une certaine forme de douleur, également. Et ça s’insère dans cette logique de dualité, également : je suis heureux de proposer ce projet, mais en même temps je galère à promouvoir mon art car ce n’est jamais facile pour un·e artiste à ses débuts.

Le “Volume 1” du titre annonce déjà un développement du projet Action Only, et il nous tarde déjà de découvrir la suite des aventures du talent belge à garder à l’œil. Et pour savoir ce qui nous attend, c’est encore lui qui en parle le mieux :

De nouveaux morceaux, des choses inattendues. Je dis toujours que, musicalement, il faut attendre de moi l’équivalent de ce que j’écoute personnellement. Et, du coup, ça peut être très divers, tant que ça me ressemble. Au fil des volumes, je vais également aborder davantage de problématiques, raconter davantage d’histoires, intégrer davantage d’honnêteté, aussi. 


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