Sur la ligne de départ avec Le Derby
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Auteur·ice : Paul Mougeot
27/02/2024

Sur la ligne de départ avec Le Derby

Photo : Louison Boucly

Entité mi-virtuelle mi-humaine, Le Derby fait tout juste son apparition dans le paysage musical mais ne laisse personne de marbre pour autant. Son univers qui mêle savamment glitchart, EDM, brutalisme, références industrielles et monde de l’automobile (oui, oui) nous a interpellé·es dès la sortie de son premier EP, Enter the Race. Alors, on n’a pas résisté à l’envie de la rejoindre sur la ligne de départ pour en découvrir davantage sur ce nouveau projet qui part sur les chapeaux de roue.

La Vague Parallèle : Hello ! Est-ce que tu pourrais te présenter pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ? 

Le Derby : Je suis Le Derby, une artiste solo et indépendante. Je suis productrice, compositrice, j’écris mes chansons et je mène mon propre projet depuis un an maintenant.

LVP : Comment est-ce que tu en es venue à la musique ? 

LD : Je suis arrivée à la musique assez tardivement, à l’âge de 22 ans. J’ai fait beaucoup d’études différentes avant ça, j’ai mis un certain temps à me trouver. Et puis un jour, j’étais en train de faire une musique de merde au ukulélé et on m’a dit “tu devrais te lancer dans la musique”. Je me suis dit que ce serait sympa donc j’ai passé les auditions de l’American School of Modern Music à Paris et j’y suis arrivée à 22 ans.

C’est là-bas que j’ai tout commencé : le chant, le piano… Tout ça est arrivé très tardivement. Je me cherchais depuis toujours et quand c’est arrivé par hasard dans ma vie, je me suis dit que c’était vraiment ma voie.

LVP : Est-ce que tu te souviens du moment où tu as eu le déclic qui t’a donné envie de te lancer dans la musique ?

LD : Oui ! L’été avant d’arriver à l’école, je jouais avec une guitariste qui travaillait dans une radio à Lyon. Cette radio l’avait envoyée sur un festival à Habère-Poche, on est allées là-bas pour interviewer Hilight Tribe et on s’était retrouvées dans les backstages de la grande scène. On voyait les artistes sortir de scène après avoir joué devant 3000 personnes et je me suis dit : “c’est ça que je veux faire !”.

LVP : Tu as déjà eu plusieurs expériences musicales auparavant, notamment en groupe. À quel point est-ce que tes expériences précédentes ont pu t’influencer pour ce nouveau projet ?

LD : J’ai commencé la musique en 2019 et j’ai intégré un groupe qui s’appelle Late en 2020. J’ai passé deux ans avec ce groupe et j’ai tout appris avec eux : faire du live, travailler une live session, enregistrer… J’ai aussi une formation de jazz.

Le Derby est un projet complètement différent. Peut-être qu’il s’inspire de ces expériences pour l’approche rock du live, l’énergie qu’il dégage, cette forme de libération qui vient du rock. Mais c’est un projet vraiment neuf.

LVP : Quel est le point de départ de ce nouveau projet ?

LD : J’étais en Ardèche chez mes parents, il y a deux ans environ. J’ai commencé à avoir des images en tête, des visions de matières, d’ambiances… J’ai couru dans une papèterie du coin pour acheter un classeur, des feuilles de métal dorées, argentées et j’ai imprimé des images d’IA, des photos de voitures, de désert… En une journée, j’ai constitué un moodboard entier avec ces images. Je ne sais toujours pas d’où elles sortaient mais j’ai tout de suite su que c’était Le Derby. C’était parti !

LVP : Le projet présente une esthétique visuelle très marquée, qui mêle glitch art, brutalisme et références industrielles avec cette omniprésence de l’univers automobile qui est assez surprenante et pourtant très bien exploitée. Qu’est-ce que tu as souhaité retranscrire à travers cette esthétique ?

LD : À l’origine, j’avais en tête un travail sur les dualités : la dualité entre l’extrêmement sombre et l’extrêmement lumineux, ce contraste qu’il y a entre le métal d’une voiture et l’humain vulnérable qu’il y a à l’intérieur…

Je voulais un projet qui soit vraiment contrasté. J’avais plusieurs angles d’attaque : les années 70, cette vision des Etats-Unis de cette époque qui m’inspire beaucoup, les chaînes, la notion de contention, le sentiment d’étouffement… J’avais aussi la voiture. Je ne sais pas pourquoi mais elle est tout de suite apparue à moi. Un jour, j’ai rencontré un metteur en scène à qui j’ai parlé de toutes mes idées et il m’a conseillé de resserrer cette réflexion autour d’un concept pour l’étirer et le décliner, avec un mantra très fort. Il m’a aussi partagé cette citation qui m’est restée en tête : “l’art naît de la contrainte”. C’est là que je me suis dit que j’allais prendre la voiture et rester là-dessus.

LVP : J’aime assez ce nom de Le Derby, qui porte en lui cette dualité entre le français et l’anglais mais aussi entre la création et la destruction. J’y retrouve aussi l’idée de recréer quelque chose de singulier à partir de pièces détachées, de différentes influences. Comment l’incarnes-tu, ce nom ? Qu’est-ce que tu y projettes ?

LD : D’abord, je voulais un nom qui passe en français et en anglais. Je suis Française, je chante en anglais et j’aimerais que ma musique puisse voyager donc je voulais que ce nom soit lisible et compréhensible. Je voulais aussi y intégrer une particule masculine parce que ça fait écho à ce que je suis.

J’avais déjà cette réflexion autour de l’univers du sport : le derby, c’est une compétition entre équipes voisines. C’est quelque chose qui m’a inspirée parce que ça évoque pour moi la lutte avec soi-même, avec son environnement. La notion de destruction, de pièces détachées, c’est quelque chose qui m’est venu plus tard. J’ai compris que mon personnage était mi-humain, mi-voiture, mi-robot, c’est pour ça qu’il est né dans une chaîne d’assemblage de voitures. Mais cette réflexion est intervenue plus tard, je suis vraiment partie du nom. D’ailleurs, je finirai par délaisser l’univers de la voiture pour aller explorer d’autres choses. Ce que j’ai envie de développer avant tout, c’est l’univers de l’artpop, dans lequel la musique est intimement liée à la mise en scène et dans lequel je joue un personnage.

C’est de là aussi que vient ce mantra : Enter the Race. On est tous·tes dans une course ! Je trouve que le sport met en exergue le pire et le meilleur de l’humanité : les stades où on se tape dessus d’un côté et l’entraide de l’autre, le dépassement de soi.

LVP : On se retrouve justement à l’occasion de la sortie de ton premier EP, Enter the Race. Comment est-ce que tu as vécu cette sortie ?

LD : Cette sortie, je l’ai vécue de manière duelle, comme le reste. D’un côté, j’en étais très satisfaite parce que j’ai reçu de très bons retours. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on a valorisé mon univers visuel et ça compte beaucoup pour moi. De l’autre côté, ça a été difficile pour moi psychologiquement parce que les choses que j’avais écrites dans mon coin se sont matérialisées devant mes yeux et je me suis dit “ah ouais, j’ai parlé de ça”. Maintenant, ces choses existent, et plus seulement pour moi.

Je pense qu’avec cet EP, j’ai vraiment lâché quelque chose de profond, de difficile. Je ne sais pas de quoi sera faite la suite parce que j’y ai déposé beaucoup de choses compliquées. Ça m’a vraiment fait du bien de le sortir. Ça m’a renvoyée face à des expériences compliquées et ça m’a secouée, dans le bon sens je pense. Franchement, je suis fière. C’est le meilleur sentiment !

LVP : J’ai l’impression que ces morceaux dévoilent quelque chose d’assez vulnérable dans les récits qu’ils construisent, mais qu’ils contiennent aussi une forme de résilience, de révolte. Qu’est-ce qui te les inspire ? 

LD : C’est vrai qu’on ressent beaucoup cette tension dans ma musique, entre les prods acérées, métalliques et ma voix qui est plus chaude, plus fragile. C’est une dualité que je recherche dans ma musique. J’aime l’idée de l’humain qui est entouré de sa voiture, de cet épais carcan métallique dans lequel il va très vite alors qu’il est très vulnérable dedans et qu’il pourrait se crasher à tout moment.

Après, la résilience, c’est une notion centrale dans Le Derby. Je partage des expériences qui sont terribles, qui vont du harcèlement à l’agression, à la dépression, sur des prods qui sont assez épiques. Ce que je trouve important, c’est la manière dont on traite ces traumatismes. On ne peut pas échapper à son passé mais on peut choisir d’embrasser sa vulnérabilité et de vivre avec ça, de s’en servir pour repartir de l’avant. C’est aussi ce que signifie ce mantra, Enter the Race : ne reste pas dans ton coin, ne te laisse pas retenir par la noirceur et si tu as un rêve, poursuis-le !

LVP : Est-ce que tu peux nous livrer quelques anecdotes sur les trois morceaux qui composent cet EP, retracer pour nous leur histoire ?

LD : La première chanson de l’EP, Pop Singing in a Silence Contest, m’est venue dans un rêve. J’ai rêvé qu’on me tirait dans une arène remplie de vieux mecs rougeauds et pleins de sueur. Je voyais une banderole qui claquait au vent et qui annonçait qu’il s’agissait d’un concours de silence. On m’accrochait à un piquet au centre et on me collait un micro devant la bouche pour me forcer à chanter. C’est paradoxal parce qu’habituellement je ne demande que ça, de chanter, mais là, je comprenais que ça allait exciter la foule. Dans ce rêve, je finis par chanter, la foule commence à s’énerver, à se pousser, jusqu’à passer par-dessus la rambarde pour courir vers moi et essayer de me tuer. Je me suis réveillée pile à ce moment-là et le morceau parle très textuellement de ce rêve. Morale de l’histoire : il faut toujours noter ses rêves quand on se réveille !

Le morceau suivant, Protection, est parti d’une prod, je voulais absolument faire une prod comme Sophie, une prod assez métallique. J’y ai passé une journée entière et les textes me sont venus ensuite. Cette chanson est importante pour moi car j’y décris ce que ça fait d’avoir vécu un traumatisme et de ne pas avoir envie d’en parler, de ne pas avoir envie d’en faire quelque chose. C’est une posture qui est tout aussi légitime, il y a un espace qui est possible où on a le droit de ne pas parler, de rien faire de ces expériences. Ce morceau parle de ça.

Le dernier titre, Unstable (The Origins as an Outro), m’est venu de la lecture d’un livre à propos des violences sournoises dans la famille. Ce ne sont pas des violences visibles ou frontales mais plutôt une accumulation de petites remarques, de micro-agressions, de choses qui sont difficiles à quantifier ou à visibiliser mais qui ne sont pas moins douloureuses pour autant. Ce livre m’a inspiré ce morceau sur une phase de mon adolescence où je me sentais vraiment désemparée face à mes parents, ce moment où tu aimes un parent de tout ton cœur, où tu lui en veux mais où tu n’arrives pas à remettre en question l’amour que tu as pour lui. Je trouve que c’est quelque chose de très difficile de dealer avec cet amour parental.

LVP : Comment est-ce que tu t’imagines faire vivre ce projet sur scène ?

LD : Ce que j’imagine, c’est une formation à deux sur scène, un batteur et moi. Je vois beaucoup de mises en scène avec des passages entre les différentes phases du Derby, je veux vraiment prendre le temps d’installer quelque chose d’assez théâtral sur scène et finir sur quelque chose de vraiment lumineux.

En fait, je pars vraiment de ce que j’ai envie d’entendre et de voir. Ce qui me fait du bien dans la musique, c’est ce qui me sort de mon quotidien. J’ai besoin de quelque chose de plus immersif, de voir que tout est possible. C’est pour ça que j’ai envie de réhabiliter cette notion du personnage. C’est devenu assez ringard en France, on n’en voit plus vraiment depuis Mylène Farmer mais j’ai envie de prouver que ça peut donner quelque chose de vraiment chouette.

LVP : Côté studio, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

LD : En premier lieu, je vais enregistrer la Flesh Edition de l’EP : les trois morceaux en version organique, en une prise et en piano-voix, toute seule. Ensuite, j’ai une sortie de remixes prévue, avec cinq artistes qui ont remixé mes morceaux. J’aurai ensuite un premier single à sortir, et puis une collaboration avec Dita von Tears. J’aimerais aussi sortir un deuxième EP d’ici à la fin de l’année !

LVP : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

LD : Ce qu’on peut me souhaiter, c’est que ma musique trouve son public. Mon but avec Le Derby, c’est vraiment d’aider les gens. Ça paraît un peu mégalo, mais la musique permet toujours aux gens de se reconnaître dans certaines expériences et j’aimerais que le public trouve ma musique, l’écoute, et se dise que c’est possible de continuer à vivre après avoir vécu des choses compliquées. Et après, si je peux devenir une popstar, je ne dis pas non !

LVP : Pour terminer, est-ce que tu as une découverte musicale récente à partager avec nous ?

LD : Oui, j’ai un gros coup de cœur pour une artiste qui s’appelle Elohim. C’est une productrice, chanteuse, compositrice de Los Angeles qui est dans un univers émo en 3D. Elle fait tout elle-même, elle fait de l’électro qui tabasse et elle est vraiment hyper inspirante. Elohim, je recommande !

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