Thérèse : “La musique est un moyen comme un autre de militer”
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Auteur·ice : Paul Mougeot
29/09/2020

Thérèse : “La musique est un moyen comme un autre de militer”

Il y a quelques semaines, on vous présentait en exclusivité la toute première session live d’une artiste qu’on adore, Thérèse. Depuis, la jeune femme a mûri son projet et vient de présenter un superbe clip pour son morceau Toxic. L’occasion pour nous de la rencontrer en compagnie de son producteur, Adam Carpels, pour discuter avec elle de sa musique et des causes qui lui tiennent à cœur, avec tout l’amour et la passion qui la caractérisent.

La Vague Parallèle : Salut Thérèse ! Comment s’est passé ton été ?

Thérèse : Ça a été un été plutôt studieux, j’ai eu beaucoup de mal à décrocher. J’ai quand même pris une dizaine de jours de vacances, mais j’ai mis une bonne semaine pour vraiment réussir à kiffer. Je suis notamment allée à Arles, ça m’a permis de m’inspirer de plein de choses, c’est vraiment une ville magnifique. J’ai aussi découvert un bouquin incroyable qui s’appelle Esthétique de la rencontre que je suis en train de lire et qui parle du lien entre l’art et les gens. Je suis sûre qu’il va me donner beaucoup de grain à moudre pour la suite !

LVP : Tu as un profil assez atypique : tu es venue à la musique assez “tardivement” et tu es désormais une artiste aux multiples facettes. Est-ce que tu peux revenir sur ton parcours pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

T : Bien sûr ! Avant la musique, j’ai eu un parcours relativement classique pour une fille d’immigrés. Mes parents sont originaires du Laos et ils sont arrivés en France sans rien, en ne connaissant personne. Ils ont tout fait pour me donner le goût des études : j’ai fait un bac S alors que j’aurais voulu faire un bac L, j’ai fait une prépa alors que je voulais faire une école d’art et j’ai fait une école de commerce alors que je voulais faire… Rien du tout (rires) !

Après ça, j’ai bossé en marketing alors que je voulais faire du commerce équitable… Donc on va dire que jusqu’à un certain âge, je n’ai pas tellement fait mes propres choix. J’ai ensuite bossé chez Kenzo Parfum pendant cinq ans, une expérience suite à laquelle j’ai un peu pété les plombs et fait un burn-out, comme beaucoup de gens de ma génération. Ça m’a décidée à partir pour faire de la musique !

Évidemment, ça ne sortait pas de nulle part : en parallèle de tout ça, j’ai commencé le conservatoire vers l’âge de dix ans et j’y suis restée pendant huit ans. Même quand j’avais un travail plus conventionnel, je faisais des jams et c’est comme ça que j’ai rencontré Jon, avec qui j’ai monté La Vague il y a quatre ans. On a sorti un premier EP en 2017 et petit à petit, on a fait des tremplins, on a rencontré du monde, on a fait un deuxième EP, on a fait d’autres tremplins et puis le confinement est venu bousculer énormément de choses. On avait déjà discuté tous les deux du futur de La Vague et nos envies commençaient à diverger. Le confinement a mis un grand coup de pied là-dedans. J’ai eu envie de monter un projet solo et Adam a rejoint très vite l’aventure en cours de route.

Le premier single de ce nouveau projet est sorti en juillet, ça se passe très bien, on continue à bosser !

LVP : Pour beaucoup d’artistes, le confinement a été une période assez difficile, notamment en raison de l’injonction permanente à être créatif. Pour toi, ça a paradoxalement l’air d’avoir été le moment pour tout remettre à plat et entamer ta mue. Comment as-tu vécu ce moment ?

T : Oui, je m’estime hyper chanceuse d’avoir pu vivre le confinement de cette manière. J’ai vraiment vécu cette période comme un cadeau. Je suis un peu hyperactive et avant ça, j’avais du mal à trouver du calme dans mon quotidien pour réfléchir à ce dont j’avais vraiment envie, personnellement et professionnellement.

Pendant cette période, le calme de l’extérieur m’a permis de me poser et de créer. Quand j’ai la tête trop pleine, je n’arrive pas à créer, j’ai besoin de laisser décanter les choses. Tout le début de l’année 2020 a été vraiment intense avec la sortie de l’EP de La Vague, La Grande Party, l’arrivée de la Covid-19 qui m’a mise de manière totalement inattendue sur le devant de la scène avec mon engagement militant. Je me suis retrouvée sur des plateaux télé, sur des radios alors que je n’avais jamais fait ça de ma vie… Je me suis pris une déflagration d’informations, d’émotions dans la gueule et le confinement m’a justement permis de digérer tout ça. J’avais plein de choses à dire !

Je n’ai pas commencé par la musique pour m’exprimer pendant le confinement, d’ailleurs. Je me suis remise à peindre, à faire de la photo… Des trucs que je fais sans aucune pression de résultat. Tout ce cheminement m’a amenée à créer plus sereinement de la musique, ça m’a apaisée.

LVP : Tu évoques ce côté militant qui est très présent dans ton parcours. Tu es également très présente sur les réseaux sociaux et dans les médias pour ton engagement en faveur de causes qui te sont chères : le féminisme inclusif, la lutte contre le racisme, l’identité culturelle. Est-ce que pour toi, par essence, un artiste se doit d’être engagé ? Comment est-ce que tu  concilies ton engagement et ta démarche artistique ?

T : Bonne question (rires) ! Je pense que la place de l’artiste, c’est avant tout celle qu’il choisit. Je ne pense pas qu’un artiste doit être forcément engagé et je respecte totalement les artistes qui font de la musique pour faire de la musique, de manière apolitique.

De mon côté, je ne vis pas les choses de cette manière. Pour moi, la musique est un moyen comme un autre de militer. J’aurais pu être danseuse ou photographe, j’aurais quand même fait de la “politique” à travers mon art. Je le fais même à travers la mode et le stylisme car je crois que tous les outils peuvent être transformés en quelque chose de politique.

J’en ressens le besoin, c’est une démarche qui est globale. Après, libre à chacun de faire ce qu’il veut. Pour moi, toutes ces luttes ont quelque chose en commun : la liberté. Ce que je prône avant tout, c’est la liberté pour chacun d’être qui il veut, de faire ce qu’il veut.

LVP : C’est vrai que ces notions de liberté et d’émancipation sont très présentes dans ton identité. On a la sensation que ton projet est à la fois une manière de te permettre de te libérer personnellement et d’enjoindre les gens à le faire. Comment est-ce que tu parviens à garder cette liberté dans un milieu qui aime les classements et les étiquettes, qui range souvent les gens dans des cases ?

T : Déjà, et c’est fondamental j’accepte d’être patiente. C’est plutôt une question d’âge que de tempérament en ce qui me concerne. J’ai compris que pour faire ce que je voulais faire, il me fallait être patiente. La deuxième chose, c’est que j’ai compris que je ne cherchais pas à tout prix à gagner de l’argent avec ma musique. Si ça arrive, c’est génial, mais ce ne sera pas au détriment de mon discours ni de mes envies artistiques. Je respecte complètement ceux qui sont dans une démarche business et qui veulent faire de la musique dans l’air du temps, mais ce n’est pas mon cas. Je me suis dit que j’allais trouver un moyen différent de gagner ma vie pour ne pas me mettre de pression si jamais ça prenait du temps.

Ça, j’ai l’impression qu’on ne nous l’apprend pas. J’ai moi-même mis du temps à comprendre ça, je me disais que je voulais faire de la musique qui marche et gagner ma vie très vite avec. J’ai eu la lucidité de me dire que parfois, il y a aussi la chance qui rentre en compte et qu’on ne peut pas tout maîtriser. J’ai essayé de faire la part des choses, de réfléchir à qui j’étais, à ce que j’avais envie de faire. C’est très cliché de dire ça, mais Rome ne s’est pas faite en un jour. On a tendance à voir le succès des autres lorsqu’il est là, mais on ne voit pas forcément tout le travail et tous les échecs qui se cachent derrière.

Au-delà de ça, il y a aussi des modèles qui me donnent de la force. Des gens qui ne sont pas totalement dans les codes mais qui ont réussi à s’installer tout de même. Je cite M.I.A. quasiment à chaque interview, mais c’est quand même une artiste qui a réussi à mélanger de la musique moderne avec ses origines tamoules, qui y a intégré ses engagements politiques et qui est badass et respectée tout en étant sexy. C’est une vraie inspiration pour moi !

LVP : On a le sentiment que tu as pris le temps de construire ce projet et qu’aujourd’hui, tu es bien entourée. Qui sont les personnes avec qui tu travailles ?

T : Ce qui me faisait le plus peur, c’était d’être seule. Je suis très indépendante, mais je ne suis vraiment pas solitaire. Travailler seule ne m’a jamais vraiment intéressée. Ce qui est chouette, c’est que je suis effectivement bien entourée avec ce projet. Certains sont des partenaires que j’avais déjà avec La Vague : Alex Monville de La Couveuse, François Julien qui édite le projet, mon ami Charlie Montagut, qui travaille sur l’image du projet. Ce sont des gens qui connaissaient déjà la bête et qui ont envie de la pousser un peu plus loin (rires) !

Et enfin, nouvelle recrue sur le bateau : Adam Carpels ! Il est l’un des producteurs du projet et il m’accompagne sur scène. Je lui ai fait écouter pas mal de choses pendant le confinement et c’est lui qui m’a poussée à faire mes propres productions et à me lancer sur Ableton. Il m’a montré beaucoup de choses et c’est comme ça que j’ai monté mes premières maquettes. Après le confinement, il est venu à Paris et il m’a proposé de travailler avec moi sur mes sons. L’essai a été concluant parce que j’ai le sentiment qu’il comprenait vraiment où je voulais aller. Comme pour le militantisme et la mode, j’ai vraiment la volonté de démocratiser, de rendre digestes des idées qui peuvent être complexes. J’ai l’impression qu’il a réussi à mettre cette dimension dans ma musique.

LVP : Et pour toi Adam, quel a été le déclic qui t’a fait te lancer dans l’aventure ? 

Adam Carpels : En fait j’ai toujours fait de la musique au croisement de plein de choses. J’ai commencé par du hip-hop, j’ai fait de l’électro, j’ai composé pour des groupes de rock… Avec Thérèse, c’est très simple parce que son univers est défini et ses influences sont claires. On avait beaucoup de références communes, le projet me plaisait, je me suis dit : “allez, c’est parti” !

LVP : Justement, l’esthétique de ton projet est très travaillée, très marquée par la mode et les arts visuels, comme on a pu le constater dans ta première session live. Comment est-ce que tu comptes le faire vivre sur scène ?

T : C’est marrant que tu poses la question parce qu’on vient d’en parler très longuement avec Adam. On sort d’une résidence pour préparer le live et je l’imagine vraiment à l’image de tout ce qu’on vient de se dire : un mélange de plein de choses. J’ai envie de parler aux gens, de leur transmettre mon amour de la musique, de la danse, de la mode… Je vais déguiser Adam en cosmonaute (rires) !

Je ne peux pas en dire beaucoup plus parce que je veux garder un peu de suspense. Vous verrez, ça arrive bientôt !

LVP : Et pour finir, dans un monde idéal où les concerts reprendraient, qui voudrais-tu voir en concert en premier ?

T : Franchement… Le mien (rires) ! Si tu n’es pas fan de ta musique, personne ne le sera pour toi !

Plus sérieusement, cette situation m’a fait réfléchir à mon rapport à la mort et j’ai pensé à tous les trucs que je n’ai pas eu le temps de faire. Je crois que ça me ferait vraiment chier de mourir sans avoir vu Nicolas Jaar en concert. Donc je vais dire Nicolas Jaar !

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