Un conseil : ne sous-estimez plus la nouvelle scène teen pop
"
Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/01/2021

Un conseil : ne sous-estimez plus la nouvelle scène teen pop

Iels embrasent la toile à chaque sortie, TikTok est leur empire et leurs communautés se comptent en millions d’abonné·es : les nouvelles têtes de la scène teen pop ont décidément la cote. Et si les plus puristes d’entre nous s’efforceront d’associer ces succès fulgurants à un manque cruel de profondeur musicale, au nom du “bon goût” raffiné, voici trois artistes qui nous prouvent le contraire. Don’t mess with teen pop.

Par teen pop, on entendra ce sous-genre de la musique pop qui va toucher particulièrement la jeune génération. La Gen Z, celle qui a tout bonnement redéfini la façon d’écouter de la musique à l’ère du streaming, rendant courants les phénomènes de stars overnight. Celles-ci n’auront le plus souvent eu besoin que d’un seul son, devenu viral sur TikTok ou autre, pour être propulsées au rang de petit phénomène musical. On pense évidemment à la sensation BENEE qui verra son titre Supalonely lui ouvrir les portes du succès, comptabilisant aujourd’hui plus de 9 millions d’utilisations sur la fameuse plateforme vidéo. Mais réussir une pépite teen pop, ça ne s’improvise pas.

 

Malgré leurs images de marque soigneusement polies par les labels, il ne suffit pas d’une allure de boy/girl next door et d’un sourire immaculé pour espérer se démarquer. La musique va importer, heureusement. On retrouve alors chez elleux les codes de la musique pop au sens générique du terme – populaire, qui va plaire à un ensemble important d’auditeur·rices : structures accessibles (couplet – refrain – couplet – refrain – bridge – refrain), thématiques de l’adolescence ultra-romancée (l’amour impossible du lycée) ou encore du sexual innuendo (fait d’émettre des allusions olé olé à travers des mots a priori innocents). Une fois cette base bien maîtrisée, il est primordial d’y apposer sa patte, sa différence, son univers, son histoire personnelle. L’élément qui va faire d’un Troye Sivan l’icône queer d’une pop acidulée électrique, de Conan Gray l’enfant terrible du songwriting acoustique sans langue de bois et d’Olivia Rodrigo la nouvelle voix d’or porte-parole du broken-hearted club. Coup de projecteur sur trois figures de proue de la nouvelle scène teen pop et sur ces tubes qu’on n’arrive pas à se sortir de la tête.

Troye Sivan, loud and proud

Ce premier exemple ne respecte pas forcément l’archétype de la star overnight, en témoignent les nombreuses sorties du chanteur australien à 25 ans seulement. Son premier EP Dare To Dream date d’ailleurs de 2006, Sivan n’étant alors âgé que de 12 ans (!) Depuis, ses projets démontrent une recherche d’univers, jusque Wild, quatrième EP décisif pour le jeune artiste. Un projet qu’il promouvra à travers une trilogie audiovisuelle pensée comme la carte de visite de son esthétique, et qui donnera les bases de son premier album Blue Neighbourhood : un manifeste de pop catchy juvénile construit autour de son identité queer. Les thèmes se font tantôt sombres, tantôt plus légers, reflétant les houles intérieures qui occupent nos têtes lors de nos quêtes identitaires. Sans pour autant révolutionner l’industrie de la musique, ses morceaux empreints d’une sensibilité universelle séduiront assez vite.

On imagine vraiment la carrière de Sivan comme on appréhende un coming-out Blue Neighbourhood va couvrir les troubles, les remises en question, l’ambivalence identitaire ; qui suis-je ? Qui puis-je m’autoriser à être ? On y retrouve un Troye à la fois bouillonnant et réservé, désireux de calibrer l’image qu’il renvoie de lui-même : ne pas en faire trop, mais donner assez. Des réflexes qui s’observent étrangement dans la construction identitaire d’un·e individu·e queer : ce torturant rapport à soi. Mais vient alors la mue, l’après. On associe souvent le coming-out à une libération, une décharge ; Troye choisira la métaphore de la floraison.

Bloom, son deuxième album, ne s’attèlera non plus à questionner son identité, mais à la célébrer. En coup d’envoi, on retrouve l’iconique My My My!, et le message est on ne peut plus clair : la liberté. Celle d’être soi, de désirer qui l’on veut, comme on le veut. Faire fi des conventions du milieu et utiliser cette identité queer comme une force irréductible. La mue est musicale, aussi, avec un univers à la pop plus acidulée encore, électrique aussi. Troye Sivan veut nous faire danser, chanter et crier dans des élans de self love qui le mèneront à s’assumer complètement, à se découvrir plus profondément encore, jusqu’à arborer ostensiblement une coupe mulet douteuse dans sa dernière pépite en date, Easy, partagée avec l’icône queer de la country Kacey Musgraves.

 

Conan Gray, misfit but fab

Paria, misfit, outcast : Conan Gray remplit toutes les cases. Et c’est sa force. À 22 ans, le jeune américain se dresse à contre-courant des thématiques enjolivées de la teen pop : véritable négationniste du diktat du couple goals, il chantonne malicieusement “crush culture makes me wanna spill my guts out”. Traduisez : Conan Gray s’en fout pas mal de vos histoires d’amour à l’eau de rose. Paradoxalement, l’amour, c’est ce qui va guider la plupart de ses morceaux. Ou plutôt l’amour maladroit : ses relations sentimentales embrouillées et ses déceptions corrosives. La frustration d’être socialement en marge de son environnement, voilà le fil conducteur hautement relatable de l’univers de l’auteur-compositeur. L’artiste de 22 ans s’est d’abord fait connaître grâce à son EP Sunset Season en 2018. Un manifeste de pop subtilement alternative, au style directement inspiré de son idole de toujours : la Néo-Zélandaise Lorde.

En 2020, dans la lumière d’une médiatisation grandissante, sa fanbase sur les réseaux sociaux prend de l’ampleur et ses antécédents en tant que Youtubeur font de lui une personnalité adulée sur la toile. Le moment opportun pour gâter le paysage musical de son premier album Kid Krow. Sur ce 12 titres plus acoustique que sa discographie passée, il se dévoile en véritable porte-parole d’une génération Y un peu paumée, en abordant les anxiétés, les doutes, les failles et les forces de tout bon millennial qui se respecte. On aime sa façon de dédramatiser ses récits, un côté très cru et frontal qui rend ses compositions plus universelles encore, plus authentiques aussi. Sur Heather, son plus gros succès en date, il déclare avec une vulnérabilité impudique sa frustration face à cette fictive Heather, personnalisation irritante de toutes ces choses qu’on aurait voulu être. Et, au fond, on a toustes une Heather à qui on voudrait arracher la tête (mais chut, ne l’avouez pas trop fort). La force de sa musique se retrouve donc dans ses textes, reflet on ne peut plus fidèle du sarcasme et du second degré de sa génération, le tout brillamment poétisé dans des textes co-écrits par Dan Nigro, la crème du songwriting en musique pop.

 

Olivia Rodrigo, broken-hearted queen

Si ce nom et ce morceau ne vous disent rien, croyez-nous : ce n’est qu’une question de temps. Dévoilée dans la série High School Musical: The Musical sur Disney + (on vous voit sourciller derrière vos écrans, vilain·es), la Californienne de 17 ans avait déjà fait mouche l’an passé avec un titre issu de la B.O. du feuilleton pour adolescent·es : All I Want, une composition mielleuse et (forcément) trop sage qui lui vaudra tout de même de s’inscrire dans le paysage teen pop. Deux semaines seulement après avoir partagé son premier single officiel drivers license début janvier, Olivia Rodrigo se retrouve déjà à enchaîner les records : 76,1 millions d’écoutes en streaming, 38.000 téléchargements et 8,1 millions de contacts au niveau de l’airplay en radio. Elle siège sur la première place des charts du monde entier, explose sur TikTok et accumule les millions de vues sur YouTube à une vitesse folle. Mais alors, comment expliquer ce genre d’engouement ?

Selon le New York Times, on retrouve derrière ce succès affolant un alignement idéal de différents éléments : le gossip, le marketing et la qualité. Car il serait illusoire de dissocier drivers license des conjonctures favorables qui l’entourent : que ce soit le package commercial minutieusement pensé en amont par son label Geffen Records (sous-filiale de la major Universal Music Group) ou l’intrigue croustillante de son histoire avec sa co-star de l’écran Joshua Bassett, qui sortait parallèlement son single Lie Lie Lie, pressenti comme une réponse au tube de Rodrigo. So much drama.

Red lights, stop signs
I still see your face in the white cars, front yards
Can’t drive past the places we used to go to
‘Cause I still fuckin’ love you, babe

Mais justifier cette véritable explosion virale au nom d’une stratégie marketing serait court-circuité : l’essentiel du morceau, c’est sa qualité. Au niveau de la mélodie, le morceau se la joue safe, avec une juxtaposition d’éléments simples, une structure accessible et pas forcément expérimentale : on est dans de la pop pure et dure qui vous reste en tête dès la première écoute. Mais à partir de ces schémas simples, Rodrigo parvient à transposer son histoire en musique, notamment au niveau des refrains : le morceau ne cesse de croître, dans un crescendo mélodique jusqu’au “Guess you didn’t mean what you wrote in the song about me” qui laisse présager une envolée vocale et symphonique extravagante si caractéristique des tubes pop. Mais c’est là que drivers license prend le contre-pied et nous trouble d’un épuré “Cause you said forever, now I drive alone past your street”. En reproduisant cela sur deux refrains, elle parvient à instaurer une certaine tension, métaphore de cette mélancolie criarde liée à la rupture ici abordée et qui ne demande qu’à éclater dès le début du morceau. C’est à travers le bridge frissonnant que cette surcharge sentimentale nous explose au visage, dans une section intense et catchy.

Le texte est rondement mené, on y retrouve une nouvelle fois Dan Nigro (décidément le ghostwriter de la teen pop) qui épaule Rodrigo pour aborder cette rupture douloureuse de la façon la plus universelle possible, le tout articulé autour du jargon de l’automobile. Résultat : des lignes crève-cœur, à travers lesquelles nous retrouverons sans mal les pincements de nos propres chagrins sentimentaux. Le clip est signé Matthew Dillon Cohen (à l’œuvre pour Gus DappertonJoji ou encore le rappeur 6LACK) et mâtine l’évidente “fibre Taylor Swift” qui colle à la peau de Rodrigo d’une touche si tendance d’Euphoria, à l’aide de plans à la pellicule ou de séquences en clair-obscur améthyste sur fond de suburb américain. Attention, c’est hautement addictif.

 

À l’avenir, la prochaine fois que l’on utilisera les termes “plaisirs coupables” pour cautionner notre addiction aux tubes teen pop mainstream du moment, n’oublions pas que leur pertinence dans le paysage musical n’a certainement jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. La “vraie” musique, considérée comme l’Art avec un grand A et opposée à une supposée fast-culture, n’est peut-être qu’une illusion prétentieuse alimentée à l’ego. Ne tombons pas systématiquement dans ces filets-là. Dansons sur Troye Sivan, chantons sur Conan Gray et pleurons sur Olivia Rodrigo sans crainte, par amour de la musique. Iels nous le rendront bien.

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@