UTO fait sauter pour nous les verrous de son premier album, Touch the Lock
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Auteur·ice : Paul Mougeot
06/09/2022

UTO fait sauter pour nous les verrous de son premier album, Touch the Lock

En 2019, ils avaient débarqué avec fracas avec The Night’s Due, un disque à l’aura étrange qui nous avait fasciné·es par son extraordinaire capacité à faire naître un univers entier au creux de nos oreilles. UTO a eu la bonne idée de récidiver en cette fin d’été avec Touch the Lock, un premier album plus affirmé et tout aussi captivant, dont Emile et Neysa, les deux têtes de cette bête fantastique, viennent de nous livrer les secrets.

La Vague Parallèle : Hello Emile, hello Neysa ! On se retrouve aujourd’hui une petite semaine après la sortie de votre premier album, Touch the Lock. Comment s’est passée cette sortie ?

Neysa May Barnett : Ça fait du bien ! C’est dur de garder tout ça en soi pendant un an donc c’est vrai que maintenant, on se sent plus légers ! On peut passer à la suite.

LVP : Cette sortie intervient trois ans après la sortie de votre dernier disque, The Night’s Due. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous pendant ces trois années ?

Emile Larroche : Dans un premier temps, on est parti vivre à la campagne chez mon père, juste avant le début de la crise sanitaire. On avait envie d’avoir plus d’espace, plus de temps, d’être loin de la ville. On avait besoin d’un espace propice pour faire de la musique et là, on n’a pas de voisins, on a tout l’espace qu’il nous faut, ça correspondait parfaitement à ce qu’il nous fallait pour travailler sur cet album. On a toujours fait nos disques là où on habite donc c’était nécessaire pour nous de nous sentir à l’aise pour nous mettre dans les meilleures conditions.

NMB : On est passé d’un espace avec une seule grande pièce à un espace avec plusieurs pièces, ce qui est bien sachant qu’on ne travaille pas ensemble. Ça nous permet de bosser chacun de notre côté avant de pouvoir mettre en commun.

 

LVP : Est-ce que vous diriez que ce changement qui touche à la fois à votre vie personnelle et professionnelle a influé sur la création de l’album ?

NMB : C’est plutôt une question de contexte : tout s’est fermé à ce moment-là et nous, au contraire, on était dans un espace quasiment sans limites, isolés… Seuls (rires). Ça, ça a compté. C’est un peu comme quand tu deviens un peu fou et que tu commences à marmonner tout seul. Il y a beaucoup de chansons qui tournent autour de ça, qui sont construites autour de phrases qui se répètent, de la fine frontière qui nous sépare de la folie.

EL : C’est vrai qu’on n’avait pas de contraintes. Souvent, quand on parle de musique, on parle de ces contraintes qu’on se met soi-même ou qui existent par ailleurs. Nous, on a eu la chance de n’avoir aucune contrainte de temps ou d’espace. On ne s’est jamais imposé une direction non plus, on a avancé avec beaucoup de liberté, en laissant toutes les portes ouvertes. Ça nous a permis d’expérimenter beaucoup de choses différentes, même si ça peut être parfois un peu difficile de s’y retrouver.

LVP : Justement, sur cet album, j’ai l’impression que vous explorez la dimension du huis-clos, de l’enfermement, qui peut être mental ou physique. C’est quelque chose qui se ressent dans les titres des morceaux, dans leur construction, dans ces mantras qui sont répétés et qui finissent par trouver leur résolution sur le dernier morceau du disque, Full Presence. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette dimension-là ?

NMB : Oui, il y a tout ce que tu évoques, c’est vrai. Ce n’est pas quelque chose qu’on a exploré sciemment parce qu’on ne se dit jamais ce qu’on va faire à l’avance. D’ailleurs, on a écrit Full Presence face à la mer. Comme un symbole !

EL : Non effectivement, on en parle plutôt a posteriori. Mais ce que tu dis est juste et c’est précisément quand on y a réfléchi qu’on a trouvé le titre de l’album. Touch the Lock, ça évoque la séparation entre les espaces, le verrou vers l’espace de l’interdit, du mystère, du fantasme, de ce à quoi on n’a pas accès. Tout ça était présent dans notre musique sans qu’on l’ait véritablement décidé.

LVP : On ressent effectivement une grande liberté dans les directions que vous explorez, dans l’imagerie que vous développez dans cet album comme dans votre style qui s’est affiné. 

EL : J’ai l’impression qu’on a beaucoup évolué. Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’on fait de la musique qui nous ressemble vraiment et qu’on peut moins la rattacher à des influences qui étaient présentes sur les disques précédents. C’est aussi parce que c’est notre troisième disque et que même si on est toujours très insecure, on ne se repose pas sur nos lauriers. Dès qu’on a l’impression de savoir faire quelque chose, on ne le refait plus. C’est vraiment ce qui nous permet d’explorer toutes ces pistes différentes.

 

LVP : Cette exigence artistique, on la retrouve également dans le travail des textures sonores du disque. On y retrouve ces ambiances qui n’appartiennent qu’à vous et qui viennent de ce goût que vous avez pour le travail pointilleux du son, de cette collaboration étroite avec les machines. Comment est-ce que vous l’avez travaillé, le son de ce disque ? 

EL : Neysa a trouvé une image intéressante sur la manière que j’ai de créer ces sons. Il y a eu une phase pendant laquelle on n’arrivait pas à terminer certains morceaux et mon attitude à ce moment-là, c’était de me poser devant l’ordinateur et de les écouter en boucle, de façon quasiment maladive. Comme si j’allais les terminer sans rien faire, juste en les écoutant et en les réécoutant encore ! Neysa, au contraire, avait besoin de prendre du recul et d’aller les écouter ailleurs.

NMB : Du coup, je l’appelais mon gardien de prison. J’avais l’impression qu’à chaque fois qu’il ouvrait une session, il passait dans la cellule d’un prisonnier juste pour voir si le prisonnier était toujours là, allongé à sa place. Mais il n’y a rien qui peut changer, dans la cellule d’un prisonnier ! Il faisait ça toute la journée, ça me rendait folle ! D’ailleurs, ce n’est pas comme ça qu’on a réussi à terminer les morceaux. À un moment donné, j’ai trouvé la solution : je me suis évadée de la prison et j’ai libéré tous les prisonniers !

EL : Du coup, quand je bloque sur un morceau, je suis obligé de m’acheter une nouvelle machine (rires). Une fois que j’ai utilisé une machine, j’ai l’impression que je ne peux plus rien en tirer de nouveau donc je me sens obligé d’en acheter d’autres. Et le pire, c’est que ça fonctionne ! Ça coûte un peu cher, mais ça fonctionne.

Pour ce disque, il y a une partie des morceaux dont je suis à l’origine et souvent, c’est une machine qui m’inspire au moment où je la déballe et où je l’essaye.

LVP : C’est intéressant de savoir que vous travaillez séparément sur les morceaux. À quel moment est-ce que vous mettez vos trouvailles en commun ?

EL : En fait, je travaille dans une pièce qui est ouverte sur la pièce dans laquelle se trouve Neysa. Parfois, je me mets sur les enceintes, elle entend ce que je fais et elle me dit “ah, qu’est-ce que tu fais ? C’est bien, ça”. Donc à ce moment-là, je jubile intérieurement et je lui envoie un petit export pour qu’elle puisse bosser dessus.

NMB : Oui, je me suis rendu compte que je préférais faire mes prises voix toute seule et ensuite, une fois que j’ai fait mon premier jet, on met en commun et on travaille ensemble. De mon côté, je fais tout super discrètement pour ne pas qu’il entende, et ensuite je viens lui présenter quand je suis prête.

EL : Oui, c’est ce qui est drôle : ça fait presque dix ans qu’on est ensemble, on ne prend plus vraiment de pincettes, mais quand on fait de la musique, c’est très différent. À chaque nouveau morceau, c’est presque comme si on venait de se rencontrer. On a cette petite appréhension de savoir si ça va plaire à l’autre, si c’est assez bien pour l’autre… Il y a toujours cette délicatesse à ce moment-là.

C’est quelque chose de l’ordre de la pudeur ou de la vulnérabilité. Aujourd’hui encore, je trouve ça effrayant d’envisager une collaboration avec quelqu’un parce que je trouve ça très intime. Avec Neysa, on a cette confiance l’un envers l’autre qui fait qu’on se retrouvera toujours dans notre musique. On a les mêmes goûts, on est touché par les mêmes choses.

 

LVP : Sur ce disque, on retrouve pour la première des morceaux composés par Neysa. Qu’est-ce qui t’a donné l’envie ou le besoin de créer tes propres morceaux ?

NMB : En fait, j’ai commencé la musique en 2016 et je ne savais rien faire. Je ne savais pas enregistrer ma voix, je ne savais pas utiliser Ableton… Au bout d’un moment, j’ai décidé de m’emparer de tout ça et de m’équiper. J’ai volé le mellotron d’Emile et je m’y suis mise. J’étais comme une gosse, c’est comme avoir un orchestre dans un tout petit clavier ! Ça m’a donné une liberté de dingue, je me suis rendu compte que je pouvais faire énormément de choses !

EL : En fait, Neysa entend des trucs depuis toujours. Des mélodies, des arrangements, des morceaux finis même, parfois. Donc avant qu’elle apprenne à se servir de ces outils, j’étais la personne qui pouvait mettre en œuvre ce qu’elle entendait. Mais c’était hyper difficile pour moi ! C’était très frustrant pour nous deux, en fait, parce que je ne parvenais pas à retranscrire ce qu’elle avait en tête.

Moi, je n’entends pas de morceaux de cette manière. Je crée en expérimentant avec mes machines ou bien en entendant des choses qui me plaisent et qui m’inspirent. L’envie de faire de la musique me vient de l’écoute d’une musique ou d’un nouvel instrument. Souvent, c’est un morceau ou un artiste que je découvre qui me donne envie de faire de la musique.

LVP : Neysa, je sais que tu as un rapport intime, viscéral avec les mots, que tu choisis toujours soigneusement. Pour la première fois, sur ce disque, tu as choisi de chanter en français. D’où t’est venu ce choix ?

NMB : En fait, j’avais déjà chanté en français pour d’autres projets donc ça m’est venu assez naturellement. Je m’y suis mise progressivement parce que le français, c’est ma langue universitaire et j’avais du mal à la considérer autrement. Il m’a fallu du temps pour parvenir à l’apprivoiser de nouveau.

J’essaye d’écrire en français comme j’écris en anglais, mais ce ne sont pas des langues que j’ai envie de mélanger au sein des morceaux.

EL : Je crois qu’il y a un point commun entre les morceaux que Neysa écrit en français, c’est que ce sont des morceaux d’adresse. Ce sont des textes dans lesquels elle a envie de dire quelque chose à quelqu’un. Sa première langue, c’est le français, donc c’est peut-être plus spontané pour elle de s’adresser à quelqu’un en français.

NMB : Oui, c’est vrai, je n’avais même pas remarqué… C’est intéressant !

LVP : Comment est-ce que vous allez faire vivre cet album sur scène ?

NMB : Je pense que ça va être notre meilleur live !

EL : Oui, on a davantage d’expérience, on a appris de nos erreurs, et ça va vraiment être notre meilleur live. On a pris le temps de développer une formule qui met en valeur notre musique, de l’imaginer dans un premier temps puis de la mettre en œuvre ensuite. On ne sera que deux sur scène, avec un totem de son. C’est une sorte de soundsystem en bois sur lequel on a posé un énorme rack avec un tas de machines. L’idée, c’était d’assumer complètement l’idée qu’on ne jouerait pas notre musique de façon instrumentale sur scène pour pouvoir l’incarner davantage.

NMB : Ce qui s’est passé aussi, c’est que pendant ces trois dernières années, on a aussi fait un spectacle de théâtre qui nous a permis de prendre plus d’assurance et de nous libérer. On s’est dit qu’on allait effectivement moins jouer notre musique pour avoir davantage de place et de temps pour l’incarner différemment, de manière plus théâtrale.

LVP : Pour finir, est-ce que vous pouvez partager avec nous une découverte ou un coup de cœur artistique récent ?

EL : Oui, notre dernier coup de cœur musical et humain c’est Bilou, une artiste qu’on a rencontrée au sein du Fortune Collective. À l’origine, elle est vidéaste, et elle fait aussi de la musique, notamment un morceau génial avec Flavien Berger qui s’appelle Germs.

NMB : Et d’ailleurs, on est en train de travailler avec elle sur un morceau bien bizarre sur la mort. Ce qu’elle va sortir, c’est hyper puissant !

 

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