I Photo : Arash Khaksari
Plus d’une semaine déjà qu’on saigne les nouveaux titres à la bedroom pop singulière de celle qui s’impose désormais comme l’une des voix francophones les plus pertinentes de ces dernières années. Après les EP Tristesse et Tête brûlée, Iliona nous livre son premier album, What if I break up with u ?, en porte étendard de la mélancolie d’une Françoise Hardy de nouvelle génération, de celle qui dit comme c’est dur de grandir et comment t’as pu partir ?. L’opus se pare de toutes les ruptures, comme un insigne gagné au prix de la fin de l’enfance.
What if I break up with u ? s’ouvre sur Welcome, un morceau instrumental de 39 secondes qui s’échoue aussi vite qu’il est arrivé dans Stp. Iliona et son timbre nonchalant y font leur entrée, y réclament un entêtant “s’il te plaît, sers moi fort” à un personnage hors champs sur des couches élaborées de piano, beats et guitare acoustique hachée. Le morceau cerne toute la mélancolie moderne qui s’apprête à se dégager de ce premier album – sorti sur le propre label de l’artiste, jevousamour, le 14 mars dernier – à la fois riche et sobre pour la relève pop belge.
Avec Lâche-moi la main, l’artiste renoue ensuite avec les sonorités de variétés françaises qui habitaient déjà Tête brûlée, sorti en 2022. Elle s’adresse toujours à cette silhouette, ce tu qui, s’il est le même que celui de Rater une rupture pour les nuls, ne mérite pas qu’on lui donne l’heure. Mais on s’emballe. Dans le texte de Lâche-moi la main en forme de confidences, Iliona se risque à briser le quatrième mur, à lancer l’air de rien, entre les reproches et les regrets, un plus discret “et je voudrais pouvoir pardonner mais c’est un truc de parolier” qui fait l’effet d’un regard soudain à la caméra. Les mots suggèrent deux choses : 1. que l’exutoire musical a ses limites aussi et 2. que la capacité à absoudre [les mecs] en toutes circonstances dans un élan de maturité émotionnelle, c’est surtout réservé aux personnages en deux dimensions. La vérité est plus nuancée et elle éclate dans Rater une rupture pour les nuls. Preuve que la rancœur qui colle aux dents a aussi sa place dans les chansons qui parlent d’amour, Iliona y déballe toute la sienne. La chanteuse énonce une histoire aux airs de rupture-témoin, des nombreuses déceptions d’une relation à sa chute encore moins glorieuse. À croire que le début annonçait la fin. Si les paroles – dans toute leur intimité – parlent d’universel, leur tapis instrumental – fait de tendres répétitions et de déchirures – n’a quant à lui rien d’ordinaire. Mention spéciale néanmoins à ce passage, pure loser boyfriend energy :
Première chanson sur scène, t’as pas pu venirT’avais passé la nuit à teuffer
Le Lapin, titre plus effréné aux accents new wave, donne l’impression de voir la jeune femme tourner les talons à cet ex bare minimum et à sa pop acidulée du temps de l’amour. Mais elle ne renonce pas à la légèreté pour autant. De sa ligne de basse assurée à ses réverbs défiantes, dans son spleen signature, Iliona semble embrasser la noirceur, en faire même sa complice. Sur Text Back, elle s’adresse toujours à un tu invisible, qui paraît pourtant changé·e. Cette fois, l’ombre se veut rassurante, lueur dans le noir où navigue l’artiste. Fishstick aussi parle à l’ombre, de désenchantement et d’enfance perdue, à base de fishsticks compote comme une bouée dans l’océan de l’âge adulte. Là encore, mention spéciale à cette prose que la musicienne dépose discretos parmi les grands mots et sentiments :
J’savais pas que tu préférais les hommes
C’est malin
Désillusion, queue de poisson. Rien d’étonnant alors que, pour s’adresser à ses parents cette fois, Iliona enfile son meilleur chapeau de capitaine, rempart pour éviter de chavirer, dans le clip de Ça n’existe pas. Morceau teinté d’une tristesse qui l’emporte sur un cœur brisé, l’artiste y parle de maladie, de quelque chose qui un jour élit domicile dans le ventre et ne le quitte plus. “Ça n’arrive qu’aux autres, ces choses-là”. Le titre est triste mais tendre, comme De ton côté, morceau où la musicienne semble là aussi parler à un être aimé, voire regretté. Dans tout ça, entre les paroles de revanche et celles de douceur, il faut attendre l’ultime morceau de What if I break up with u ? pour entendre Iliona tourner la plume vers elle. “Je me suis rendu compte que dans l’album, je parle à plein de gens, mais je ne m’étais pas encore parlé à moi-même. Que je ne m’étais pas regardée dans les yeux en me demandant quel était le bilan”, explique la jeune femme de 24 ans dans une interview à la RTBF. Dans 23, flux de paroles drum and bass, elle brasse – en tout moins de six minutes – sa jeunesse, ses débuts dans la musique, l’amour, ses peurs d’adulte en construction. L’air d’y vomir son cœur, Iliona raconte avec frénésie ce qu’il y a eu avant, anticipe ce qu’il y aura peut-être après, dans un élan d’introspection inévitable ; comme pour noircir la dernière page du journal, histoire de s’en délester et ouvrir un nouveau cahier.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.