Yseult, l’envie de “revenir à l’essence même de l’art”
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
03/04/2020

Yseult, l’envie de “revenir à l’essence même de l’art”

Impossible de l’avoir manquée. Rien que cette semaine, son classique Corps atteignait le million de vues et sa chaîne IGTV gagnait nos soirées de confinement par des livestreams touchants invitant les artistes les plus inspirant·es du moment. Deux EPs seulement auront suffit à imposer sa toute nouvelle verve musicale : une bonne dose de chanson française, un soupçon de pop sentimentale et toute la chaleur d’une musique urbaine dans l’air du temps. Sans cesse immergée dans une logique de dépassement artistique et d’élan irrésistible de créativité, Yseult se profile comme l’une des plus belles promesses de la scène francophone. On l’a (re)découverte à l’occasion de la Five Oh Food de l’agence bruxelloise Five Oh et on a même eu la chance de copiner avec elle pour tenter de canaliser toute son énergie en une poignée de questions. 

© Photo : Téta Blémont

La Vague Parallèle : Bonjour Yseult, j’aurais presque envie de te souhaiter la bienvenue en Belgique mais tu es tout aussi Belge que nous, finalement !

Yseult : Ça fait un an, déjà !

LVP : D’ailleurs, en quittant Paris pour Bruxelles, tu es venue chercher quoi ?

Yseult : Je cherchais de la paix et de la sérénité. Et, finalement, en plus de ces deux choses là, j’y ai trouvé de l’honnêteté et de la sincérité. Ici, les artistes ne se marchent pas dessus : ils et elles s’observent et s’entraident énormément. C’est quelque chose qui me manquait à Paris, donc j’ai décidé de me retirer et de penser à mon bien-être en déménageant ici. Depuis, je suis très contente d’être là, je me tape des barres, je suis chill, c’est trop lourd. On est là, quoi ! (rires)

LVP : On a déjà pu découvrir ta musique à travers deux EPs : Rouge et Noir. Deux univers, deux couleurs qui semblent refléter les deux facettes de ta personnalité.

Yseult : Je pense bien, oui. L’EP Rougej’aurais tendance à dire que c’est un disque “de surface” dans le sens où c’était une façon pour moi de dire “Voilà ce que vous voulez entendre de moi, prenez-le, je vous le donne.” C’était aussi une façon de marquer le coup et de produire une espèce de césure par rapport à la musique que j’avais sortie avant. Noir, le second EP, c’est une musique qui me correspond beaucoup plus et qui me colle à la peau. Les quatre morceaux qui sont dessus reflètent qui je suis réellement et que je ne montre pas forcément, même pas à mes proches. Il est profondément plus introspectif, plus intime, plus brut et frontal. Aucun compromis sur cet EP, j’ai pris un virage, même esthétique, qui se détache de tout ce que j’avais pu faire auparavant. Et j’ai pris un plaisir fou à le faire, à évoluer tel un Pokémon pourrait le faire. (rires)

LVP : Du coup, c’est facile pour toi de t’immerger aussi entièrement dans les titres “de surface” de Rouge que dans ceux plus introspectifs de Noir ?

Yseult : Du fait que ce soit toutes des chansons que j’ai écrites, composées et produites, j’arrive toujours à me plonger dedans et à trouver une certaine profondeur sur chaque EP. Même si sur Rouge on retrouve des compositions plus légères, un chouïa plus édulcorées et en surface, quand je les interprète je me rappelle que ces titres là, ce sont mes bébés, ce sont mes enfants. Comme on le disait, c’est une des deux facettes de ma personnalité, donc ces titres c’est moi. Donc même si j’ai tendance à dire que Noir me correspond plus, j’ai une attache extrêmement forte avec les deux projets.

LVP : Tu as pris la décision audacieuse de gérer ton projet musical de façon indépendante. C’est frustrant de voir les obstacles se dresser sur ton parcours par rapport aux autres artistes signé·es sur tel ou tel label ?

Yseult : Je t’avoue que moi je ne me compare plus. Pour ne pas être hypocrite, j’avais tendance à le faire. Mais aujourd’hui, j’arrive à faire en sorte que ma musique et mon image deviennent une sorte de mini-référence, que je devienne ma propre inspiration. Je bosse dur pour y parvenir et je t’avoue que là je commence à sentir que les choses se mettent en place. Et ça fait plaisir parce que je réalise que je ne bosse pas dans le vent. (rires) Et c’est d’autant plus gratifiant d’atteindre cet objectif en tant qu’indépendante parce que je suis vraiment maîtresse de mon projet. J’ai cette sensation que mon projet m’appartient et je me sens beaucoup plus libre et sereine. Donc j’estime que c’est une chance de ouf de pouvoir faire ce métier en tant qu’indépendante, même si parfois ça casse les c*uilles. (rires) Par contre, quand ça réussit, ça réussit !

LVP : En février dernier, tu présentais la “nouvelle” Yseult avec le morceau Rien à Prouver. Pourquoi avoir choisi ce titre là pour dévoiler tes nouvelles couleurs ?

Yseult : Je pense que j’avais des choses à régler et des choses à dire. Je tassais beaucoup de frustration, d’aigreur, de haine et je retenais beaucoup de noirceur. Il fallait que je règle tous mes struggles de l’univers. (rires) En vrai, c’était une période très sombre de ma vie, et pour la surpasser je devais faire table rase de tout ça. Du coup, plutôt que de confronter mes problèmes directement, j’ai préféré le faire en musique. Je trouvais ça beaucoup plus subtil. Je réglais notamment mes comptes avec mon ancien label en abordant le fait qu’en tant qu’artiste, tu es souvent amené·e à ne plus t’appartenir réellement. Tu lègues 90% de ta musique et de ton propre corps à des labels qui n’en ont rien à faire de toi sauf quand tu leur renfloues leurs caisses. Du coup, ce morceau c’était une manière de dire fuck à tout ce système et je dois t’avouer que j’en suis plutôt fière.

LVP : Tu y dédiais aussi quelques lignes à ta famille, c’était compliqué pour toi d’aborder cet aspect là ?

Yseult : Se sentir délaissée par sa chair et son sang, c’est très compliqué à gérer lorsqu’on se lance dans ce genre de projet. Même si j’ai eu des différends avec ma famille, je me rendais bien compte que j’avais une certaine responsabilité parce que le morceau tomberait forcément entre leurs mains. Je me devais de dire la vérité sans leur manquer de respect ou quoique ce soit. Juste la vérité. Je sais que quand ma mère a écouté le passage où je dis “D’après mon père je vendrais mon uc’, je ferais la pute dans le coin d’une rue. Maman était là et le grand frère aussi. Tout le monde était là mais personne n’a rien dit” elle a réagi en mode “Mmmh, that’s right” (rires) Ça m’a confortée dans cette idée qu’il fallait que je continue à raconter ma vérité et rester aussi frontale et honnête que possible dans ma musique.

LVP : Quand tu dis “J’ai plus rien à prouver”, c’est une affirmation ou plutôt une façon de te donner de la force ?

Yseult : Quand je chante que j’ai plus rien à prouver à part faire de l’oseille, c’est surtout une façon d’exprimer que j’en ai marre d’avoir des comptes à rendre à tout le monde. Ma priorité, c’est de me prouver à moi-même que je peux réussir, que je peux faire ce métier et que si demain je souhaite reprendre des études ou me lancer dans une autre carrière professionnelle, c’est pour moi et moi seule. Tout le monde devrait se poser, se calmer et se rappeler “Je fais ce métier pour quoi ? Je fais ce métier pour qui ?” J’essaie au maximum de me recentrer sur ma réussite et ce qu’il me reste à accomplir. C’est dans ce sens là que je te disais tout à l’heure que je n’arrive plus à me comparer aux autres artistes, c’est parce que je vois si clairement mon chemin que plus rien ne me déstabilise. Je n’ai plus rien à prouver aux autres, juste à moi-même. Et puis faire du beef, parce que le beef c’est bien. (rires)

LVP : Tu abordes d’ailleurs cette notion d’argent sans langue de bois. Tu assumes ça ?

Yseult : Il faut arrêter cette hypocrisie à deux balles. J’en parle ouvertement dans mes morceaux car je trouve ça important de dénoncer le fameux “l’argent ne fait pas le bonheur.” Moi, c’est ce qui me permet de payer mon loyer. J’ai vu mes parents galérer, je sais à quel point cela peut être compliqué de remplir son frigo. Du coup, dévaloriser l’argent je trouve que c’est parfois irrespectueux pour les personnes qui n’en ont pas forcément pour subvenir à des besoins primaires comme l’achat de serviettes hygiéniques, par exemple.

LVP : Tu disais récemment vouloir atteindre une forme plus pure de l’art, notamment avec le clip de Corps. Ça passe par quoi ? 

Yseult : Je pense que ça passe par une certaine éducation à l’art. J’ai appris à être curieuse et à me laisser surprendre par l’art, notamment l’art contemporain de Marina Abramović qui m’inspire énormément. Je pense aussi aux performances expérimentales du genre de celles où tu entres dans une pièce sans savoir ce que tu vas trouver dedans : peut-être un homme à poil qui gueule à pleine voix ? (rires) Mais c’est le genre d’expériences et de performances qui m’intéressent car ça soulève des questionnements et ça stimule la curiosité. Ce sont des notions que j’ai voulu incorporer au clip de Corps, revenir à l’essence même de l’art. Je le vois comme une pièce contemporaine dans laquelle tu écoutes le son tout en contemplant mon corps. Rien d’autre : pas de coupes, pas d’artifices. C’est juste mon corps. Tu regardes chacun de mes plis sans baisser les yeux, tu ne peux pas vraiment y échapper. C’est ça l’idée : contemple cette femme noire, grosse, belle et kiffe ! (rires)

LVP : Sur ce clip, on retrouvait aussi les moulures corporelles de Esmay Wagemans, artiste à l’œuvre sur les projets de Solange Knowles, Rosalìa, FKA Twigs ou encore Kali Uchis. Ça fait quoi de collaborer avec elle ?

Yseult : C’était dingue. D’ailleurs, les artistes que tu cites, ce sont des meufs qui m’inspirent beaucoup. Pour cette collaboration avec Esmay, le fait de réaliser que les mêmes mains qui avaient moulé une artiste comme Sevdaliza étaient en train de mouler mon corps, c’était juste ouf ! J’étais en mode “Moule bien, vas-y, oublie pas ce bourrelet là, donne tout !” (rires) C’est le genre de collaboration qui me rend heureuse, forcément.

LVP : Comment t’inspirent-elles, toutes ces artistes ?

Yseult : C’est des artistes avec des balls ! Et moi, j’aime ça.

LVP : Tu tweetais dernièrement que ton single “Corps n’est pas un hit, c’est un classique. Tu te rendais déjà compte du potentiel de ce morceau au moment où tu l’as enregistré ?

Yseult : Je te jure : je le savais. À l’instant où j’ai entendu Ziggy, mon pianiste, faire les accords au piano pour la première fois je me suis dit “Allais ciao, bye.” C’était parfait ! Et il me proposait de rajouter du beat et du rythme et pour moi c’était non : aucun beat. Il insistait en me disant que sans rythme on passerait jamais en radio et j’étais là en mode “Quelle radio ? On passera pas en radio, frère !” (rires) Du coup on l’a sorti en piano-voix, tout simplement. Et le résultat il est là. Je retweeterais bien cette phrase, d’ailleurs !

LVP : La performance live est quelque chose que tu soignes énormément. C’est quoi ton rapport à la scène ?

Yseult : Le live a une place importante dans mon projet parce que je sais que c’est là que je peux capturer le public et les emmener dans mon univers. Le live, ça ne ment pas. T’as beau mettre ton autotune et ton vocoder, il faut savoir se donner. Si tu ne ressens pas la musique que tu chantes, si tu ne crois pas en elle, ne fais pas ce métier. J’aime ce métier, j’aime la musique et j’aime m’émouvoir sur mes sons. J’aime trop la scène, et je suis persuadée que c’est grâce à la scène que mon projet a pu décoller. Les gens sont venus, y ont cru et s’y sont investis et c’est grâce à ça que j’atteins mes objectifs aujourd’hui.

LVP : Dans ces lives, on retrouve de nombreux interludes de vocalises qui complètent tes morceaux. Que signifient ces envolées de notes assez surprenantes ?

Yseult : Quand je me lance dans ces parties plus techniques de mes titres, je pense surtout à vivre mon moment à fond. Pour moi, il faut faire les choses sans forcément trop les calculer, donc il y a une part d’improvisation. Je ressens le besoin de me vider sur scène et de partager tout ce que j’ai sur le cœur au moment de ma performance, et ça passe par ces parties vocales et poussées qui me permettent de déverser toutes ces émotions.

LVP : Autant sur tes performances que sur tes réseaux sociaux, on ressent un côté très communicatif de ta part. C’est important d’entretenir cette relation assez intime avec ta communauté et ton public ?

Yseult : Le plus important c’est de fidéliser les gens de façon honnête. Je ne suis pas à la course d’une fanbase quantitative qui ferait exploser mon nombre de followers ou quoi que ce soit. Ma communauté, ce sont des gens fidèles qui ont attendu plus de cinq ans avant que je ne revienne partager ma musique et ça compte énormément pour moi. Le fait que je sois en projet indé me donne la possibilité d’être plus accessible, notamment en gérant tous mes réseaux sociaux. Du coup, je commente, je like et je poste au maximum pour essayer de rendre au mieux tout ce soutien que je reçois. Il est hors de question de snober toutes ces personnes parce que c’est elles qui me font vivre.

LVP : On parlait de la notion de famille plus tôt dans l’interview et on peut dire que tu t’es trouvée une seconde famille ici à Bruxelles. On pense notamment à Claire Laffut avec qui, depuis votre duo Nudes, tu entretiens une amitié assez fusionnelle.

Yseult : Elle me fait tellement rire, pour le coup elle est vraiment dans son monde. (rires) Mais derrière ça j’ai découvert une meuf au top, autant intérieurement qu’extérieurement. On est très opposées à la base et pourtant on se complète assez bien. On se donne beaucoup de force, aussi. Je lui rappelle tous les jours qu’elle va tout défoncer, que c’est une canon et que rien ne peut l’arrêter. Je lui transmets un partie de ma confiance en moi parce que c’est une personne qui le mérite et qui a un cœur. Encore hier, à 2h du mat’, elle m’a envoyé un message en mode “Meuf t’es trop courageuse, trop de respect. À chaque fois qu’on se voit t’es un rayon de soleil, trop fière de toi.” C’est dingue, je l’aime cette meuf. C’est le genre de relation hyper précieuse.

LVP : Un phénomène assez étonnant dans le monde la musique où les artistes ont plutôt tendance à être dans une logique de compétition. 

Yseult : Exactement. Mais c’est pas forcément la faute des artistes parce que, comme tu le dis, on est sujets à une logique vicieuse de compétition. Cette idée de “On est dans la musique, on veut être dans les charts” c’est à cause du système qui nous formate et nous pousse à nous bouffer les un·es les autres comme des piranhas alors qu’on devrait s’unir pour pouvoir, nous-mêmes, bouffer le système.

LVP : Autour de toi, on retrouve aussi beaucoup d’autres artistes comme Lous & The Yakuza ou encore Angèle avec qui tu partages le morceau Sur Le Fil. Tu dirais qu’un vent de changement souffle sur la scène francophone féminine ?

Yseult : Le fait d’avoir des artistes comme Shay, ça a accéléré les choses. C’est le genre de meuf qui a débarqué dans le game et qui a juste dit “I don’t have time for you”, tu vois le genre ? Elle s’est donnée à fond, elle a imposé son projet et je pense qu’elle a ouvert une voie à toutes les artistes féminines qui voulaient se lancer, sans s’en rendre compte. Tous ses délires de clips, tous ses visuels, toute son identité artistique, c’était une révélation pour beaucoup. Pour ma part, je me suis dit “Ok, si la tantine Shay nous a fait ça, il va falloir suivre ma grande”. Et ça, c’est beau.

LVP : Si tu devais décrire ta musique en un seul plat, ce serait lequel ?

Yseult : Des allocos. Ce sont des bananes plantins frites, c’est juste trop bon. C’est comme ma musique : une explosion de saveurs sucrées qui peuvent rendre les gens dingues. Les gens s’entretueraient pour ça. Et puis, qui n’aime pas les allocos, sérieux ?!


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