Armez-vous d’anti-moustiques, le nouvel album de Big Thief vous emmène camper dans le Grand Ouest
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Auteur·ice : Philomène Raxhon
13/02/2022

Armez-vous d’anti-moustiques, le nouvel album de Big Thief vous emmène camper dans le Grand Ouest

Photo | Alexa Viscius

Le quatuor de Brooklyn nous revient avec un double album de 20 titres à l’esprit de road movie. Loyalement folk, Dragon New Warm Mountain I Believe In You [DNWMIBY], 5ème opus du groupe, explore aussi de nouveaux sentiers musicaux. À la conquête de l’Ouest ou sur les routes d’asphalte brûlantes, DNMIBY est un long fleuve tranquille où toutes les influences des membres de Big Thief sont invitées à se baigner dans l’eau scintillante. 

Change, c’est le premier titre de l’album mais aussi celui qui annonce la direction de la boussole Big Thief. On change, on part, le groupe s’aventure aux quatre coins des États-Unis pour écrire et enregistrer DNWMIBY. Les percussions légères du morceau introduisent le renouveau à venir. Elles sonnent comme la brise sur le pas de la porte qui s’ouvre sur l’extérieur. Plus de doute permis, l’aventure nous attend. Adrianne Lenker et sa voix, adoucie pour l’occasion, nous prennent la main pour nous entraîner sur une route à perte de vue digne d’une scène de My Own Private Idaho.

Dans l’esprit de se mouiller la nuque avant de se jeter à l’eau, Big Thief avait déjà livré huit titres de l’album sur un EP intitulé Simulation Swarm, tel un snack de début de randonnée. Cette fois, pourtant, c’est parti pour de vrai. Time Escaping, le second morceau, est urgent, déjà bien ancré dans le folk ultra rythmé de DNWMIBY. On retrouve cette avidité, par la suite, sur Little Things ou Wake Me Up To Drive, formidable ode au road trip où l’on ne veut rien louper du paysage.

Wake me up to drive

Wake me up to drive

Even if I’m tired

I don’t want to miss the ride

Lenker et ses partenaires de jeu scandent la liberté sur ce son empreint d’un appétit pour la vie rare à l’écriture mélancolique de leur vocaliste. On notera, sur ces titres et tous les autres, la batterie virtuose de James Krivchenia qui a fait l’objet d’un album solo, A New Found Relaxation, en 2020. 

En selle, cowboy !

Pour ce 5ème album, Big Thief reste chez son label indie, 4AD, déjà derrière U.F.O. et Two Hands, tandis que les producteur·ice·s changent au gré des morceaux et des escapades du groupe. Puis, la pérégrination la plus inattendue se dévoile sur Spud Infinity et se réitère sur les morceaux Red Moon ou encore Blue Lightning. Big Thief vire carrément country. On reconnaît là l’influence de la musique de John Prine, musicien qui sent bon la sauce barbecue et les santiags, qu’affectionne particulièrement Lenker. C’est moins My Own Private Idaho et plus Brokeback Mountain d’un coup. Spud Infinity, morceau dédié à la brave potato, se dote même d’une inattendue guimbarde, instrument que l’on ne saurait décrire autrement que par “mais si, ça fait “boing boing””. Si n’est pas Dolly Parton qui veut, on salue tout de même la volonté manifeste du groupe de ne pas s’enterrer dans le registre indie qui a fait son succès en 2016 avec Masterpiece. Big Thief joue sur le bord de la falaise du ridicule, amusé par le vide adjacent. Point trop n’en faut non plus, la frontière entre le banjo bien sympa façon Sufjan Stevens sous antidépresseurs et façon Taylor Swift circa 2007 est très fine et à ne franchir sous aucun prétexte. 

 

À l’image de cette entreprise country, l’enregistrement est wild wild lui aussi, brut et spontané. Le groupe est un habitué de la prise telle quelle, recherchant toujours plus de proximité entre le studio et le produit final. Le résultat est un son moins statique, comme les thématiques de l’album. On peut ainsi entendre Krivchenia donner le top départ sur Blue Lightning ou Lenker s’exclamer “it’s my grandma” pendant l’envolée instrumentale de Red Moon.

 

Sentiers battus et nouveaux horizons

S’il fallait retenir un son de cette nouvelle ère pour Big Thief, No Reason s’impose comme une démonstration des acquis du voyage. Comme la fin d’une épopée, le morceau est paisible, entonné par chaque membre du groupe, parcouru par une flûte, juste ce qu’il faut de folk et décalé. Toujours pour chanter autour du feu, on pourra aussi opter pour le guitare-voix un peu bleu de Promise is a Pendulum, ballade douce et réflective qui rappelle, dans ses airs naïfs, le premier album de Soko, I Thought I Was An Alien. Tout n’est pas chaleur et candeur pour autant, et une première nuit sans étoiles a vite fait d’assombrir le paysage sur Sparrow, interprétation du mythe d’Adam et Eve pleine de poison et de vipères.

She has the poison inside her

She talks to snakes and they guide her

Avec Flower Blood, Blurred View et Love Love Love, la couleur change encore. Les titres dénotent avec une tournure moderne du folk de Big Thief. On se souvient alors de Capacity, second album plus rock et striant. Si le quatuor est curieux, il sait aussi rester fidèle à son essence expérimentale et à sa rythmique saccadée. Fidèles, les membres de Big Thief le sont tous. Que ce soit Adrianne Lenker et ses 6 albums solo, son ex-mari et guitariste Buck Meek et ses albums aux accents country prémonitoires ou James Krivchenia et son opus ambient, tous cultivent une carrière florissante en parallèle de l’ascension permanente du groupe. La force de Big Thief réside là, dans le plaisir partagé à se retrouver pour jouer ensemble et nourrir leur musique d’expéditions entreprises en solitaire. 

Avec un double album et 20 morceaux, le groupe s’offre un terrain d’exploration vaste comme les plaines qu’il raconte. Moins à vif que Two Hands, plus riche et ensoleillé que Dragon New Warm Mountain I Believe In You est un album où la maîtrise musicale de chaque membre de Big Thief prend fièrement son envol, tel un grand aigle d’Amérique un peu bordélique dans le soleil couchant. 

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