« Bonsoir, je m’appelle David Numwami et je vais vous chanter ma vie »
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Auteur·ice : Louise Duquesne
27/03/2024

« Bonsoir, je m’appelle David Numwami et je vais vous chanter ma vie »

| Photos : Louise Duquesne pour La Vague Parallèle

Alors qu’il s’apprêtait à faire vibrer l’Ancienne Belgique de ses beats et de centaines de sourires, on s’est posé·es quelques minutes avec le super héros de la pop belge pour parler d’amour, entre autres. Un instant suspendu, tout en intimité, avant un fervent moment de communion dans un Club plein à craquer.

La Vague Parallèle : Déjà, comment vas-tu ? Comment on se sent à quelques heures d’un concert dans une AB sold out ?

David Numwami : C’est ouf, hein ? (high five)

J’étais quand même assez étonné, parce que… c’est moi quoi ! C’est bizarre de se dire que des gens ont envie de venir voir ce que tu fais, c’est la première fois que ça m’arrive. D’une certaine façon, c’est comme si ça légitimait presque ce que tu fais, comme si ça donnait un sens à tout le travail que tu as mis derrière tes morceaux. Ça change tout. Je me sens trop bien, vraiment, j’ai trop hâte.

LVP : On va commencer par la question difficile, comme ça elle est passée. Si tu devais décrire ce nouveau projet en un seul mot ?

David Numwami : C’est marrant, s’il ne s’appelait pas I love you, j’aurais dit “I love you”… Je dirais que c’est vraiment une libération. Parce que j’ai l’impression que sur cet EP, j’ai dit un peu ce que j’avais à dire. Je me suis aussi lâché un peu plus sur des harmonies de voix, des solos de guitare, des trucs comme ça. Je me suis posé un peu moins de questions. J’ai l’impression que je me libère de plus en plus, même si je n’y suis pas encore totalement.

LVP : Tu dis que tu te lâches mais, quand j’écoute I love you, j’ai quand même l’impression que le personnage a bien grandi par rapport au projet précédent. Le garçon de Beats a-t-il encore les mêmes rêves ?

David Numwami : Oui, il a changé. Les cheveux ont poussé (rires). Le personnage de Beats c’est un enfant, vraiment, ce n’était pas une façade… Je suis parti en tournée directement après mes études, alors que je vivais encore avec ma maman. Quand tu es en tournée, tu ne te fais pas à manger, tu ne fais rien, t’es vraiment un gamin. Et puis, au-delà du fait qu’on s’occupe de toi, tu n’as vraiment aucun ancrage nulle part, mon seul ancrage, c’était mes copains de tournée, j’avais l’impression d’être très volatile.

Après Beats, j’ai progressivement arrêté de faire des tournées pour d’autres personnes pour ne faire que ma musique, au rythme qui m’allait le mieux et je suis rentré à la maison. Pour la première fois, je vivais seul, j’ai eu des habitudes, un café dans lequel je pouvais aller régulièrement… Je n’avais jamais eu ça, avoir un endroit dans lequel je vais souvent. C’est ça aussi qui a fait que j’ai pris autant de temps avant de sortir de la musique, j’avais besoin de profiter de ça. J’avais besoin d’être chez moi, de comprendre ce que c’est.

J’ai l’impression, quand j’écoute ce projet-ci, que je suis vraiment devenu un adulte.  Il y a eu cette drôle de période, qui a duré presque dix ans, pendant laquelle je vivais une vie qui était vraiment celle dont je rêvais, mais qui fait de toi quelqu’un d’assez loin du monde parce que tu ne comprends pas vraiment les autres, et que tu ne te comprends pas trop toi-même non plus. Aujourd’hui, j’ai la sensation bizarrement d’être passé d’enfant, goutte d’eau, gaz ou je ne sais pas quoi, à adulte, et d’être devenu un humain.

Et puis, j’ai l’impression que le monde a aussi beaucoup changé. C’était peut-être un peu irresponsable d’être aussi insouciant que je l’étais. Il y avait un espèce de truc étrange qui était à la fois plus nihiliste à l’époque, mais aussi plus insouciant. Aujourd’hui, on a la flemme d’être nihiliste parce que c’est vraiment la merde, on essaie un peu moins d’échapper à quelque chose. On est un peu plus là. Dire « I love you », c’est vraiment dire « je suis là ». Je ne suis plus dans mon monde, je ne suis plus du tout dans Numwami World. Je suis là et je parle à quelqu’un.

LVP : Ce projet évoque à la fois un truc hyper universel, « I love you », tout le monde le dit. Et en même temps, on rentre assez loin dans ton intimité, dans tes émotions. J’ai l’impression que ce projet chante l’amour sous le ciel bleu autant qu’il évoque des sujets qui n’y sont pas. Comment tu fais pour créer ce genre de morceaux ?

David Numwami : Je n’ai pas vraiment l’impression de chanter l’amour sous le ciel bleu mais plutôt l’amour sur le passage du bleu au pas bleu. « Tant que le ciel est blue », ça sous-entend qu’à un moment, il ne le sera plus. Il y a toujours une tension. Par exemple, dans Beats, je parle du fait que j’adore faire de la musique et que je pourrais faire ça toute ma vie, mais je parle aussi de toutes les peurs que ça engendre. Tu as toujours un peu des deux faces.

LVP : C’est vraiment ta force, chanter autant les deux et être dans un équilibre.

David Numwami : Il y a des gens qui chantent plus la nuit, d’autres qui chantent plus le jour, moi je chante le coucher de soleil. Tu as un peu de la beauté de la journée et la promesse de la nuit qui arrive.

LVP : Et cette ambivalence, on la retrouve aussi dans tes textes. On se demandait, avant d’entendre l’EP, si tu allais choisir entre l’anglais et le français ? Est-ce qu’il y a des choses qui sont plus faciles à dire dans une langue que dans l’autre ?

David Numwami : Ouais je trouve. J’ai l’impression que c’est souvent un truc de vibe pour moi. Je commence toujours par l’instru, puis je me demande : « c’est en français ou en anglais ? ». Et généralement, la réponse vient directement. Je n’ai jamais eu de doute.

Je remarque quand même que les morceaux que je fais en ce moment sont majoritairement en anglais mais qu’il y en a toujours en français parce que je n’aurais pas réussi à tout dire en anglais. De la même façon, je n’arriverai pas à tout dire en français. Ce n’est pas facile, je trouve, de faire de la musique en français parce que ça ne pardonne pas, si c’est un peu “pas terrible”, ça s’entend hyper fort. Parce qu’il y a un héritage de la musique en français aussi. Alors qu’en anglais, tu fais un peu ce que tu veux. Dans Sky!, par exemple, j’ai dû faire ce choix parce que je voulais faire des paroles un peu simples, à la limite du stupide, pour exprimer quelque chose qui était simple, évident et hyper fort : être amoureux.

LVP : « Alléluia, je suis amoureux. » On adore ! C’est vrai qu’on a l’habitude des chansons d’amour qui finissent mal. Ici, on est quand même sur un thème d’amour qui se passe bien, qui est toujours en ambivalence. Est-ce que parfois, tu écris des chansons d’amour triste ?

David Numwami : C’est marrant, c’est vraiment une question de timing, il se fait que j’ai écrit mes deux EP quand ça allait très bien. Si j’avais bossé sur les morceaux à un autre moment, je pense que ça aurait peut-être été plus triste. D’ailleurs les morceaux sur lesquels je bosse maintenant le sont un peu plus… C’est la première fois que j’écris des morceaux à un moment où je suis pas forcément bien et, bizarrement, je les préfère un peu. Je ne sais pas pourquoi. C’est peut être simplement parce que je ne suis jamais totalement triste. Parce qu’avant, justement, on était dans l’ambivalence, mais avec un tout petit peu plus de kiff. Là, c’est une ambivalence avec peut-être un tout petit peu plus de tristesse. Je n’étais pas encore allé chercher là-bas donc, forcément, je pense que ça m’excite un peu plus. Ça donne des trucs où il y a plus de colère aussi, ce ne sont pas forcément les sentiments que j’exprime le plus facilement, même dans la vie de tous les jours.

LVP : Pour rester dans le thème, nous, à La Vague Parallèle, on pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise situation en amour. Mais pour toi, c’est quoi l’Amour ?

David Numwami : Ouh ! Mais c’est celle-là, la question difficile !

Ces morceaux parlent du tout début d’une histoire d’amour, du fait de tomber amoureux. Je ne suis pas tombé amoureux beaucoup de fois, mais ça fait très peur. T’as peur d’en parler à la personne, tu ne sais pas du tout comment ça va être accueilli. Je me suis rendu compte que faire de la musique, en tout cas sortir de la musique, c’était la même chose. Tu vas chercher au plus profond de toi un sentiment qui est tellement important pour toi qu’il faut que tu le dises et tu le mets comme ça dans le monde, sans savoir du tout comment ça va être accueilli, même si ça va être entendu. Tu ne sais pas du tout ce qui va se passer, ce que ça va faire sur ta vie, si ça va la changer, si ça va la rendre horrible, si ça va la rendre mieux. Tu ne sais pas, en fait. Il faut vraiment prendre un courage de malade et, pour moi, dire au monde : “I love you. En fait, je t’aime tellement que… voilà ce qu’il y a à l’intérieur, et tu en fais ce que tu veux“.

Sortir de la musique, c’est dire I Love You. C’est tellement important pour moi de partager avec d’autres personnes ce qui se passe à l’intérieur, que je vais faire ce processus de chercher ce qui est à l’intérieur, l’écouter, me rendre disponible à toutes les sonorités, tous les sons, toutes les idées, aller en studio pendant des mois, des années, mixer les trucs, choisir les instruments, préparer des concerts, répéter, faire tout ce qu’il faut, tous les sacrifices relationnels et financiers qu’il faut pour juste se dire : « J’ai fait ça ». C’est en tout cas l’amour dont je parle dans I Love You, c’est juste l’espèce de courage de se dire : « Vas-y, je le fais ».

LVP : L’amour du risque ?

David Numwami : Ouais, c’est ça, vraiment. Et puis, il y a aussi une forme de — je ne sais pas quelle est la traduction, justement — delusion, tu vois ? Je pense qu’il y a aussi plein d’artistes qui ne savent pas vraiment faire autrement. C’est juste que si tu ne le fais pas, tu es trop mal. Je pense que c’est la seule réponse que je puisse t’apporter.

LVP : Elle est super. Merci !

« Bonsoir, je m’appelle David Numwami, et je vous ai chanté ma vie »

Prochains concerts : 

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