ELOWI : Yamê, le mélomane qui mettra tout le monde d’accord
"
Auteur·ice : Anne-Sophie Rasolo
13/11/2023

ELOWI : Yamê, le mélomane qui mettra tout le monde d’accord

Plus que de la musique jazz soul, plus que l’egotrip du rap en quête de réussite. Yamê est plus que ça. Avec son album ELOWI sorti fin octobre, il renverse en douceur le rap game, détourne les codes pour faire « du bon son », parce que c’est tout ce qu’il veut faire, du bon son. Pour bien parler de son travail, il faut se pencher sur ce qui le constitue : l’écriture, la mélodie et le visuel. Et donc, il faut parler de ce qui est invisible et qui prend place, silencieusement, devant le monde aveugle dans sa course : la récolte du long processus de labeur d’un « jeune négro dynamite ».   

Ce n’est pas pour rien si la musique de Yamê est appréciée par les grands poètes tels qu’Oxmo Puccino. L’artiste écrit avec le souci de la narration. Celle-ci est discursive, politique et personnelle, mais pas seulement. Cela ne saute peut-être pas aux yeux, pourtant si on se plonge dedans, elle est aussi revêtue de poésie, travaillée par son minimalisme et son efficacité, à commencer par le titre du projet lui-même, ELOWI, ou « ce qui est invisible ».

Des tonnes dans le flow c’est en léger (En léger), pas d’Bounty pas d’negro allégé (Allégé)
Toute ma vie j’ai sauté les barrages, fuck eux, moi j’ai pas besoin qu’on m’arrange
J’suis trop loin, vu le skill et la cadence mais je charbonne, j’alourdis la balance

Il y a une certaine sagesse dans la réécriture permanente de ses textes, l’intérêt pour les anciens noms de la variété française partagés à l’allégeance à son héritage camerounais et au rap. C’est refuser de s’enfermer dans le rap lui-même pour ouvrir le champ des mesures, aller voir ailleurs et cultiver sa curiosité au détriment de la mode et de ses rares aspérités.

Ca fonctionne parce que le rappeur est avant tout chanteur et acteur du flow et de la mélodie. Il s’est affranchi des type beats pour rendre à l’écriture sa voix et son élocution. En d’autres termes c’est ne plus dépendre des allitérations cherchant à faire corps avec les codes du rap mais leur donner une part plus mélodieuse. Cela s’entend par exemple dans le pré-refrain de Bécane :

Remballe ta c, j’ai mes cc
J’tourne la poignée, j’froisse le temps
J’roule comme si quelqu’un m’attendait
J’cale l’pétard entre mes dents, m’bah ouais, m’bah ouais

L’exigence est palpable lorsque n’apparaît plus que la simplicité en apparence. L’histoire prend forme morceau par morceau, on comprend alors que c’est un passionné au tempérament doux mais qui sait ce qu’il veut, d’où il vient, et où il va. À plusieurs reprises, dans Lowkey et Déter, il laisse entendre qu’il sait valoriser ceux qui font son ciment depuis le début, et concentrer sa hardiesse sur ce qui fait la liesse. Tout se fait dans la prise de décision.

Cela se traduit aussi dans sa musique. Tout part de l’improvisation lorsqu’il retrouve Pandrezz, avec qui il canalise son groove, comme il en parlait dans Le Code. Ce dernier est connu pour être considéré comme le pionnier de la musique Lo-Fi, mais ici il brille autrement. En studio, Yamê repousse les limites et aurait pu frôler le kitsch mais non. Non parce que la justesse du chant et des décisions, le timbre envolé savent nous emporter. On pense forcément encore à Bécane et à son sublime COLORS, mais les chœurs gospel de Business y sont pour beaucoup aussi.

En outre le spectre des genres est large, car il existe un monde entre Mon bail purement soul et Quête, morceau afro. Pour autant, il ne se contente pas de piocher ici et là des styles pour parler d’éclectisme. Ayo Mba et Mon bail font une grande introduction à l’EP, qu’on imagine déjà avec grandeur sur scène, et l’enchaînement de chaque titre est logique. L’expérience des jam sessions à la petite Halle de la Villette parle en même temps que son besoin d’intégrité :

J’ai pris de l’XP à la Villette
J’ai grandi à mesure qu’on m’a giflé
Aujourd’hui que ça frappe dans les filets
Et les bolosses, ils plongent quand c’est trop tard
Vont écarter les bes-j’, ces bâtards

Pour parler encore de sa musique, il n’abuse de rien et pose des drops utiles, comme dans le morceau Bahwai, juste avant la beauté des sirènes « elowi ». Ce dernier mot « elowi » – ou « ce qui est invisible » pour rappel, pour évoquer ce qu’il nous montre. Parlons donc du clip de Bahwai. Augure a soigné sa direction artistique avec une très belle composition photographique, du cadrage décentré de Yamê à la dernière scène digne d’une photo d’Harry Gruayert. Cela ressemble à de la peinture et à de la street photo à la fois, où chaque élément procure un équilibre visuel. À cela s’ajoute l’allégorie jouée dans le choix des lumières et des couleurs primaires, de la passion du rouge orangé sur un océan bleu apaisé, qui selon nous, décrivent très bien le personnage.

Enfin, reste tout ce qui échappe de notre champ visuel, sans doute une main qui veille à ce qu’il garde les pieds sur terre et pose les fondations solides d’un projet déjà entamé avec son précédent album, mais cette fois avec des choix affirmés. Sans doute sinon la magie opérante d’un processus créatif bien engagé, où l’artiste laisse le flux en permanence ouvert. On ne saurait pas pointer exactement ce qui nous accroche : l’écriture, la mélodie ou l’univers visuel ? Ce qui est sûr, c’est que la passion peut mettre tout le monde d’accord, il nous tarde de le voir à l’œuvre au Trianon en février prochain.

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@