La musique traditionnelle éclaire le festival Voix de Femmes
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Auteur·ice : Philomène Raxhon
06/11/2023

La musique traditionnelle éclaire le festival Voix de Femmes

Le 7 octobre dernier, on se rendait à Liège pour une rencontre et des concerts autour des musiques traditionnelles dans le cadre du festival Voix de Femmes. Avec peut-être encore moins de connaissance sur le sujet que sur celui de la Formule 1 ou des fruits de saison (à croire qu’on n’est jamais censé·es acheter des avocats) mais toujours le même enthousiasme et l’envie d’apprendre (bon pas toujours mais là pour le coup on y était disposé·es), la Vague Parallèle a découvert la musique traditionnelle et les enjeux qui parcourent cette discipline. Une journée très riche. Le nouvel album de Sufjan Stevens sortait la veille, grosse semaine pour nous entre le banjo et le violoncelle du Massif Central. 

Futur et féminisme

Ne dites pas de la musique traditionnelle qu’elle est futuriste. Dans un brillant article pour le tout aussi brillant fanzine musical Ventoline, le collectif féminin de musique traditionnelle La Crue s’efforce de déconstruire le vocabulaire utilisé pour parler de leur registre musical. Deux membres du collectif étaient présentes au festival Voix de Femmes pour parler langage, engagement et musique. Un discours qui vaut pour la musique traditionnelle, mais aussi pour toutes les autres.

Noëllie Nioulou et Clémence Cognet sont musiciennes et forment ensemble le duo de musique traditionnelle Garenne, anciennement connu sous le nom “Les Poufs à cordes”, blase dégoté par un camarade mec, parce qu’ils ont toujours de si bonnes idées ceux-là. Au micro de Radio Campus, elles sont venues raconter leur vision de leur art, de son importance historique à ses perspectives contemporaines. Les deux femmes sont toutes deux nées de parents musicien·nes attaché·es à la musique traditionnelle. Noëllie Nioulou joue du violoncelle, du violon, de la viole de gambe, chante et pratique la podorythmie. Clémence Cognet joue du violon, chante et pratique la podorythmie. Leur groupe Garenne s’articule autour des répertoires de violon populaire du Massif Central, interprétés en acoustique, avec ferveur, cadence et profondeur.

Si, pour elles, la musique traditionnelle n’a rien de désuet, les artistes réfutent néanmoins l’approche actuelle des critiques et journalistes musicaux qui qualifient leur musique de “futuriste”. “On dirait que cette qualification sert à “soigner” les musiques traditionnelles de leur connotation passée“, explique Clémence. Or, la richesse même de la musique traditionnelle réside dans son bagage culturel historique. D’après les musiciennes, nier l’ancienneté de ces registres, chercher à les ancrer à tout prix dans une modernité imposée, relève du dégoût capitaliste pour la culture paysanne et le spécifique, le non-mainstream. “Il y en a marre d’être découvertes“, résument-elles, avides de revendiquer leur appartenance à une pratique ancrée dans sa région, populaire et millénaire. Au sujet de l’idée même d’un son futuriste, on ajoutera quand même que toute musique est passée dès lors qu’elle a été faite. Cqfd.

Face à l’incompréhension qui règne autour de leur discipline, Noëllie Nioulou et Clémence Cognet témoignent de l’importance de faire collectif. D’autant plus en tant que femmes dans la musique traditionnelle. “La Crue et le besoin de faire collectif relevaient d’une nécessité professionnelle mais aussi d’une connivence humaine et artistique, en non-mixité choisie“, racontent les deux artistes. D’abord envisagé comme un collectif strictement artistique, La Crue est devenu, à force, un espace militant. En grande partie parce qu’il n’y a “pas de place” pour les femmes “dans les collectifs masculins“. On parie que c’est la même dans les collectifs de Formule 1 et de fruits saisonniers mais passons.

Comme le reconnaît Noëllie, pour faire sa place, il est facile de se mettre à “intégrer tous les codes masculins pour s’intégrer dans son milieu“. Boire au bar avec les hommes au bal, rire aux blagues pas drôles et adhérer aux rapports de compétition qui se jouent au sein de la musique traditionnelle comme dans toute discipline. “Le processus est aussi une déconstruction personnelle“, poursuit-elle. Au sein de La Crue, les deux femmes ont trouvé un “élan de sororité et d’adelphité“. Le collectif assoit leur légitimité et leur permet ensemble de mettre en place des stratégies féministes. Puis il s’agit aussi de “faire collectif, jouer fort, tenter des trucs et faire la révolution !“.

Dans La Crue, on retrouve aussi  les membres des groupes Bòsc et Bourrasque. À Liège le 7 octobre dernier, la discussion était ponctuée d’un extrait de Bourrasque, musique traditionnelle inspirée du Baroque, comme une revanche sur la musique de la Cour. On trouve perso que ça ressemble à la BO de Coraline (un compliment) ou à du Violeta Parra (compliment ultime, if you know you know). Mais, une fois de plus, on n’y connaît rien. Interlude.

Réécrire ensemble les récits

(TW : viol, violences sexuelles)
Le lendemain de cette discussion liégeoise était organisé un atelier de réécriture de chansons traditionnelles. Cette pratique, au cœur de l’élaboration de la musique traditionnelle telle qu’interprétée par les membres de La Crue, est essentielle à la transmission. Il s’agit de se pencher sur les paroles des morceaux traditionnels (la musique traditionnelle est un art ancré dans l’oralité) et d’en dégager les récits, voire en proposer d’autres (“moins problématiques“). Pour le dire simplement, a shit ton de ces chansons parlent de viol. Qu’il s’agisse de musiques populaires régionales ou de comptines, peu d’entre elles répondent aux standards de déconstruction actuels. Il nous appartient néanmoins d’en tirer les leçons que l’on veut, et peut-être pas forcément celles pour lesquelles elles ont été conçues à la base.

Selon les membres de Garenne, relayer ces histoires permet aussi de montrer qu’elles sont encore tout à fait pertinentes : “parfois c’est important de chanter les chansons de viol parce que c’est ça qui nous parle encore“. Face à cet héritage, les musiciennes expliquent que “ce n’est pas pour annuler le malheur qu’on réécrit les chansons mais pour proposer des récits alternatifs“. À la fois un travail de mémoire mais aussi un constat face au manque d’évolution du monde. Pas dingue pour une société capitaliste qui se voudrait à la pointe de la modernité face à un registre traditionnel de terroir qui sentirait la poussière.

La réflexion est telle qu’elle interroge également les récits que nous produisons aujourd’hui. Ainsi, est-ce que d’ici six siècles, on réécrira les paroles de Booba, considérées d’ici là comme problématiques (certain·es d’entre nous sont à la traîne à ce sujet soyons patient·es) et indignes d’une ère contemporaine civilisée ? Reprendrons-nous du Damso version acoustique avec une réécriture d’un “j’t’avais bien niqué ta race” devenu honteux ? Ne produirons-nous plus de nouveaux morceaux qui célèbrent la culture du viol ?

Si la musique traditionnelle a bien quelque chose d’ingénieusement moderne, c’est de parvenir à nous donner à voir le futur en jouant du passé. Au festival Voix de Femmes, le 7 octobre dernier, la discussion se clôture avec un live intime de Garenne, puis une soirée mettant à l’honneur la musique traditionnelle avec La Crapaude, duo vocal et percussif féminin qui interprète les chants de Wallonie, et La Mòssa, quatuor qui unit ses forces et influences pour proposer un tourbillon polyphonique et percussif de musiques traditionnelles. C’est que ça nous plaît pas mal tout ça dites donc.

 

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