“Passer le micro”, ou comment le festival Voix De Femmes programme ses soirées Carte blanche
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Auteur·ice : Chloé Merckx
18/10/2023

“Passer le micro”, ou comment le festival Voix De Femmes programme ses soirées Carte blanche

Crédit photos: Who’s That Girl ? 

Tous les deux ans, le festival Voix De Femmes s’invite dans la ville de Liège pendant 3 semaines d’octobre avec une programmation éclectique, “à l’intersection des arts, des cultures et des féminismes” et des projets menés uniquement par des femmes et des minorités de genre. Depuis quelques années, les organisatrices confient les rênes de quelques soirées du festival à des expertes en la matière sous forme de “Carte Blanche”. C’est notamment le cas de la soirée de clôture qui, cette année, est le fruit de la curation des collectives Bledarte et Who’s That Girl?.

Nous avons rencontré Flo Vandenberghe, co-directrice de Voix De Femmes, Rojin Açilan de l’ASBL Bledarte, et Laura Di Sciascio du projet Who’s That Girl ?, elles nous en disent un peu plus sur la création de ces fameuses soirées Carte blanche.

Voix De Femmes, fils rouges et esprit de suite

Depuis maintenant plus de 30 ans, le festival, pionnier en Belgique pour son parti pris de l’inclusion à tous les niveaux, s’engage à émouvoir et à faire vibrer son public en proposant une programmation alliant musique, cinéma, théâtre, arts plastiques et numériques.

Flo Vandenberghe travaille depuis près de 10 ans pour le festival liégeois, mais c’est en 2017 qu’elle en devient la coordinatrice. “Ce qui à l’échelle de Voix De Femmes est un peu synonyme de couteau suisse”, explique-t-elle. En trente ans, le festival a beaucoup évolué et pris plusieurs formes, notamment avec l’organisation de résidences pour les artistes.

“Quand on a repris le projet, il avait déjà pas mal évolué depuis le début. À la base, c’était très axé musiques traditionnelles et théâtre contemporain, mais il y a toujours eu ce chemin de programmer, d’abord uniquement des artistes femmes, aujourd’hui femmes et minorités de genre. On veut aussi faire des programmations internationales avec des artistes hyper variées et des patrimoines culturels très larges (…)” nous raconte Flo.

Peu à peu le festival s’est métamorphosé dans la forme qu’il connaît aujourd’hui. Si l’évènement reste fort axé sur les arts de la scène, il n’en est pas moins pluridisciplinaire, avec des artistes femmes et minorités de genre qui ont des ancrages très variés. Un autre aspect est sa forme participative avec ses rencontres, ses ateliers qui amènent une sorte de proximité.

Esprit de Suite

Le titre de cette année, Esprit De Suite, est un thème qui habite l’équipe de manière générale, nous dit Flo. “Il y a deux ans à l’occasion de nos 30 ans, on avait décidé de penser la programmation autour des questions d’héritages, de transmissions. Et “Esprit De Suite” ça fait écho à ça. Il y a plein de projets qui se posent la question de ce qu’on transmet, de quoi on a hérité et qu’est ce qu’on fait de ça (…). Et puis il y a aussi ce truc de “on y est pas arrivées”, on s’obstine, on continue à avoir un objet qui bouge pas beaucoup parce que les autres programmations ne bougent pas beaucoup non plus.”

Un titre incarné notamment par des projets comme La Fracture de Yasmine Yahiatene, ou encore la Carte Blanche à Laïla Amezian qui explore le patrimoine musical chaâbi du Maroc. “Nous dans notre équipe il n’y a personne qui est issue de la diaspora marocaine donc on en parlera jamais aussi bien qu’elle, à part passer le micro, on va pas prendre sa place”. ajoute Flo

Passer le micro

“Passer le micro” c’est justement l’objectif de ces programmations en Carte Blanche, organisées tout le long du festival. Le temps d’une soirée, Voix De Femmes confie les rênes de la programmation aux expertes en la matière. L’idée, c’est de donner champ libre à quelqu’un·e qui maîtrise un domaine. “C’est quelque chose qu’on a essayé petit à petit” nous explique Flo. “La première fois c’était en 2019 avec la résidente que nous avions encadrée en 2018 et donc c’est un concept qu’on a d’abord testé avec des artistes qu’on avait accompagnées et qu’on connaissait bien, mais maintenant on essaye d’aller vers de nouvelles personnes. Et les Carte Blanche de cette année c’est essentiellement des personnes avec qui on n’avait jamais travaillé.”

Au programme de cette année, une soirée stand-up avec l’Atout Comedy Club, une carte blanche de l’association Barricade qui explore les parentalités, la carte blanche de Laïla Amezian et bien sûr, la fameuse Soirée de Clôture du 21 octobre que nous vous présenterons par la suite.

Au niveau de la préparation, le fonctionnement était assez différent selon les cartes blanches, explique Flo. “Par exemple pour le stand-up, ça partait simplement du fait qu’on avait envie de faire du stand-up mais qu’on en touche pas une, donc on a proposé ça à quelqu’un•e qui fera ça mieux que nous. On essaye de trouver une manière de travailler qui nous permet d’être plus inclusives, dans le sens où on peut proposer quelque chose qui tient la route à des personnes qu’on ne connait pas, d’une manière qui soit juste et chouette”.

“C’est infini parce que si tu ne veux pas travailler qu’avec des artistes qui sont déjà très représenté•es, tout ce que tu peux apprendre c’est une manière d’être flexible pour travailler avec des personnes qui ont d’autres fonctionnements que toi.” – Flo

Programmer en collectif·ve vient parfois avec son lot de défis, car si chaque programmation est différente, les manières de se coordonner diffèrent aussi. “Forcément, si tu es une personne qui programme toute seule, après les autres exécutent et c’est “plus simple” parce que tu n’as que des infos logistiques à transmettre”. Mais chez Voix De Femmes, ça n’intéresse personne d’être la seule tête pensante, on est plutôt partisanes du “Ping-pong” et des idées qui fusent autour d’une table, nous raconte Flo.

“Les Cartes Blanches c’est un work in progress, on a dû tester, évaluer, on s’est posées des questions comme : comment on rémunère le fait de programmer ? Par exemple pour la soirée de clôture, il y a eu un travail supplémentaire au niveau de l’organisation pour que Laura et Rojin puissent travailler ensemble, alors elles ont demandé un budget plus grand pour la curation. Alors que d’autres personnes nous ont dit qu’elles préféraient ne pas avoir d’argent pour la curation, mais plus de budget pour la programmation” , nous explique Flo.

“Un de nos plus gros objectifs c’est de trouver des manières de travailler qui tiennent la route et qui soient le plus chouette possible pour tout le monde” – Flo

Soirée de clôture

Le bouquet final de cette édition 2023 est bien la soirée de clôture, qui se tiendra le 21 octobre au Manège Fonck.On a cherché des personnes qui faisaient de bonnes fêtes et qui étaient engagées sur ce que ça implique de faire une bonne fête. Nous ça nous intéressait que ça soit un projet engagé, fait par des personnes dont on a envie de suivre le travail.“, raconte Flo.

Le festival s’est donc tourné vers deux projets, Bledarte et Who’s That Girl, pour qui le fait de rendre le dancefloor un endroit safer et plus inclusif est devenu une priorité.

voix de femmes

© Who’s That Girl

Bledarte

Rojin est cofondatrice de l’ASBL Bledarte, un collectif né il y a maintenant cinq ans visant à créer des espaces physiques et digitaux pour les penseur·euses, artistes et clubbers racisé·es. Si l’initiative a débuté sous la forme d’un groupe de parole de femmes racisées, le concept a rapidement évolué vers la création d’évènements, jusqu’au lancement du festival Bledarte Zone qui a pris place à Bruxelles. En plus de décoloniser le dancefloor lors de soirées et autres événements, le collectif organise des workshop de théâtre, de Djing et plusieurs types d’activités culturelles.

Who’s That Girl ?

Cela va bientôt faire un an que Laura a créé le projet Who’s That Girl ?. Une initiative partie d’un constat, celui du manque flagrant de DJ femmes sur la scène liégeoise et de la difficulté de s’insérer sur cette scène. Au vu de la difficulté d’être programmée en tant que DJ femme émergente, Laura a voulu créer sa propre place et inviter d’autres DJ femmes et queer lors d’évènements, afin de donner de la visibilité à ces artistes.

Si Voix De Femmes a eu l’idée de contacter Laura et Rojin, c’est parce que toutes les deux se posent le même genre de questions, dans l’optique de créer un line-up qui soit à la fois cohérent et prometteur.

“Au niveau de nos goûts on est assez différentes mais ça a fait notre force” explique Rojin. “On a essayé de parler à un maximum de monde avec notre line-up, évidemment on ne représente pas tous les styles mais on a quelque chose d’assez évolutif” complète Laura.

Pour ce line-up, les deux curatrices souhaitaient organiser quelque chose qui leur ressemble, tout en étant nouveau et défricheur. “Par exemple on s’est rendue compte que c’était souvent les mêmes DJ qui étaient programmées, alors on a fait un appel à candidature pour le warm-up pour pouvoir proposer une artiste émergente” explique Laura. “Les gens ne se rendent pas compte du travail que c’est de créer un line-up cohérent, qui a du sens, qui nous fait plaisir et qui fait plaisir au public aussi, la cohérence de l’énergie, c’est un vrai taff”.

“Au début on voulait partir sur une plus grosse tête d’affiche mais on ne voulait pas une trop grosse disparité entre les cachets d’une tête d’affiche et les cachets des artistes plus émergent·es.” nous confie Laura. “Avant tout on veut s’assurer que les gens viennent à la fête, le but c’est aussi que l’évènement tourne et prenne de l’ampleur pour l’année prochaine” rajoute Rojin.

Et ce fameux line-up, le voici. Parmi les sept noms qui vous seront présentés le 21 octobre au Manège Fonck, on retrouve un warm-up par SarakKa, suivi de deux live par les artistes Jaffa et SPACEBABYMADCHA. Les DJ sets seront assurés par Gucc Imane, JINRO, Zouzibabe et L4U.

Bonus : Les conseils de Laura et Rojin pour une bonne soirée

Vous l’aurez compris, Laura et Rojin ont tenté de réunir tous les ingrédients nécessaires à une bonne fête. Un bon line-up, de l’ambiance, mais surtout, un espace safer Elles ont accepté de nous livrer leurs secrets pour une soirée réussie façon Bledarte et Who’s That Girl ? !

L’environnement : Pour Rojin, un aspect important d’une soirée réussie est l’environnement. “Il faut rendre le lieu safer et s’assurer qu’il n’y ait pas n’importe qui qui vienne (…). Aussi, il ne faut pas hésiter à travailler avec des collectifs comme À nous la nuit ou Le Plan Sacha. Il faut être formée aux questions d’inclusivité et absolument briefer la sécurité.

La communication : Il faut être clair·es sur le type de soirée qu’on propose et ça ça passe par la communication sur les réseaux sociaux.

La programmation : Pour Laura, il faut que celle-ci connecte avec le public et, même si c’est un défi, essayer de mettre en symbiose des goûts différents.

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