Cette année était sans aucun doute l’année d’Angèle. Après avoir annoncé son retour et sorti son deuxième album à l’aube de cette année 2022 (chronique signée LVP ici), l’artiste bruxelloise a enchaîné avec des prestations live sur tous les plateaux, le début de sa tournée des zéniths, des apparitions aux concerts de Dua Lipa, une tournée de festivals francophones et même un concert au prestigieux Primavera Festival à Barcelone. Une accélération d’événements qui a assis son statut de popstar francophone s’exportant à l’international et qui aurait filé la nausée et l’épuisement à la plupart d’entre nous. Mais voilà, Angèle a appris à assumer complètement ses choix professionnels, et en veut encore. Presque un an après l’édition originale, elle nous emmène pour un second tour de roller coaster avec Nonante-Cinq La Suite. Verdict ?
Une réédition, c’est souvent quitte ou double (on vous invite d’ailleurs à aller réécouter l’émission de LVP sur le sujet ici – deuxième autopromotion en un article, c’est complètement assumé)! Quand l’album original est un succès, il est très tentant pour un·e artiste et son label de proposer une réédition dans la foulée, parfois au détriment de la cohérence artistique ou de la qualité musicale. Nonante-Cinq étant un des gros succès commerciaux francophones de cette année 2022, le défi était d’en faire une version augmentée qui en vaut le détour.
Composé des douze titres originaux et de six tracks bonus, l’album deluxe coche toutes les cases de la réédition actuelle. Il y a d’abord des titres inédits, notamment Amour, Haine & Danger publié en septembre dernier pour teaser La Suite. Analyse personnelle de la relation ambivalente d’amour-haine avec les smartphones, cette nouvelle chanson confirme le rôle qu’assure Angèle en tant que porte-parole de la génération Z.
L’artiste belge aborde la difficulté pour sa génération (95 ou 96 c’est pareil) à trouver un juste milieu entre les ups and downs du quotidien. Un texte malin qui tend le miroir à la société actuelle, entre nostalgie et difficulté de se projeter. Au niveau musical, le tandem que la chanteuse forme avec son producteur Tristan Salvati semble décliner, sans prendre de risque, son combo gagnant, tant sur ce titre que sur Promets-moi. Toujours efficace, mais jamais vraiment surprenant.
Photo : Cyprien Delire
On accroche davantage à la chanson Patrick où Angèle semble mixer une mélodie plutôt orientale et des sons informatiques pour dépeindre l’irrationalité des discours de haine en ligne. Sur fond de “Enter” monotones répétés à la manière d’un titre d’Orelsan, elle jongle entre fond et forme pour personnaliser les commentaires haineux. Phénomène facilité par la distance que permettent les réseaux sociaux entre l’auteur·e virtuel·le et ses victimes bien réelles. En parlant d’Orelsan, sur le featuring CP_009_Evidemment (le titre se trouve également sur la réédition Civilisation Perdue), Angèle s’essaie même en dance avec brio. Même si on reste dubitatif·ves face au couplet du rappeur français ou aux guitares pop lisses de l’instru, Evidemment est un banger qui ouvre peut-être une future porte plus électro-dance aux prochains projets de la chanteuse.
L’album deluxe se termine par le rappel du charme indéniable de la voix pleine de fragilité d’Angèle. Tout d’abord avec la balade Le temps fera les choses où son interprétation émouvante nous rappelle que oui, les séparations, qu’elles soient amoureuses, familiales ou amicales, c’est un drame. Toujours, always. Ensuite avec le live orchestral de Démons, ajout logique à cette réédition. Dans cette version enregistrée à la Chapelle des Petits-Augustins aux Beaux-Arts de Paris par La Blogothèque sortie il y a huit mois, Angèle et Damso exécutent magistralement leur featuring, teintant d’une douceur glaçante l’apprivoisement des angoisses, thème de prédilection de la jeunesse musicale actuelle.
Photos : Manuel Obadia-Willis
Au-delà de l’efficacité indéniable de ces quelques morceaux, on a du mal à savoir si un deuxième tour de montagnes russes était nécessaire. Agréable et divertissante, remplie de gimmicks hyper catchy qui restent dans la tête dès la première écoute, La Suite de l’aventure sentimentale d’Angèle est au final un produit réussi, infaillible, mais aussi attendu, qui allonge plus qu’il n’agrémente ou contrebalance l’album original. On aurait aimé des partis pris plus radicaux, des propositions qui déroutent comme sur Bruxelles je t’aime. Bref, une sortie de sa zone de confort pour plus de sensations fortes. Même si musicalement la réédition nous laisse un goût de trop peu, la détermination d’Angèle impressionne. Reine incontestée de la pop francophone, elle contrôle d’une main de maître son projet qui rayonne médiatiquement déjà depuis un an. Sans relâche, elle enchaînera en 2023 avec la suite du Nonante-Cinq Tour et des dates internationales à New-York, Londres ou encore Amsterdam. Et pour ça, bravo Gégèle !
Adepte des lectures aléatoires qui accompagnent mes mood swings, entre Feist, Michel Berger et Solange.