Retour sur nos plus belles découvertes et redécouvertes à Rock en Seine
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Auteur·ice : Rédaction
11/10/2023

Retour sur nos plus belles découvertes et redécouvertes à Rock en Seine

| Article co-écrit par Mathias Valverde et Joséphine Petit

Pour nous, la rentrée rime depuis presque quinze ans avec Rock en Seine. Rendez-vous incontournable de la fin de l’été par sa programmation qui s’éloigne habilement de celle des autres grands festivals français de l’été où l’on retrouve inlassablement les mêmes noms, ce dernier week-end d’août est désormais notre pèlerinage préféré du grand Paris. Au cœur du joli parc classé de Saint Cloud, Rock en Seine a fêté cette année ses vingt ans, et on y était. L’occasion de nouveau pour nous de faire de très belles découvertes et redécouvertes pendant quatre jours éreintants qui se sont fait un malin plaisir de nous rappeler que notre vingtaine s’éloigne, mais qui ont surtout délicieusement nourri nos souvenirs et nos playlists pour l’année à venir.

Si Rock en Seine a dû faire face à son lot de tourments, dont la prestation catastrophique des Strokes, la “prise de conscience écologique” de Billie Eilish qui continue de tourner sur un modèle toujours plus américain, et l’annulation de dernière minute de Florence & the Machine – qu’on aura littéralement pleurée pendant deux jours -, force est de constater qu’en 2023, ce sont contre toute attente les petites scènes qui auront fait la grandeur du festival, au détriment de ses têtes d’affiche. Et ce, pour notre plus grand bonheur. Retour sur nos plus belles découvertes et redécouvertes à Rock en Seine.

Contempler la beauté les pieds dans l’herbe

S’il y a un concert qui en un claquement de doigts nous a réconcilié·es avec l’annulation de Florence & the Machine, c’est bien celui d’Ethel Cain. La voix, les frissons et la pureté sous le soleil étaient l’invocation même de ce que nous attendions de cette journée depuis tout l’été. Quelques champs de blé défilant à l’écran derrière elle suffirent à nous insuffler la dose d’été dont nous avions besoin pour affronter la rentrée. Un peu plus tard, c’est Tamino qui nous tirera quelques larmes, nous laissant ébahi·es lorsque nous constatons que la profondeur de sa voix live n’a rien à envier à celle du studio, particulièrement sur ces anciens trésors comme Indigo Night et Habibi. On surprend même des sourires attendris dans la foule lorsque des festivalières brandissent deux tournesols dans les airs aux premières notes de Sunflower, dans un instant servant de très beau rappel à l’idée que les concerts s’accomplissent aussi bien dans le public que sur scène.

© Victor Picon – Ethel Cain

Les après-midis à Rock en Seine gardent ce sentiment ambivalent de fin d’été où l’on n’ose pas encore trop penser au retour du quotidien et où l’on profite jusqu’au dernier instant de la liberté des beaux jours. En Attendant Ana nous a permis de prolonger ce sentiment avec leur rock mélodieux. Chaque chanson nous procurant un plaisir immense, prolongé par les cuivres de Camille Fréchou, et une mélancolie irrésistible entretenue par la voix splendide de Margaux Bouchaudron. Que dire de l’après-midi du dimanche où Angel Olsen s’est présentée sur la scène de la Cascade avec toute la coolitude de cette immense artiste américaine ? Quarante-cinq minutes sont beaucoup trop courtes pour profiter intensément du rock américana d’une diva qui mérite les honneurs de la grande scène. Nous n’avons pas boudé notre plaisir en versant quelques larmes sur l’incroyable agilité vocale et musicale d’Angel Olsen et de son groupe. 

Celui qui a su jouer avec ce sentiment estival, c’est bien Flavien Berger. On ne va pas vous mentir, au classement des artistes que nous avons le plus vu·es (et aimé voir) cette année, il se trouve largement en tête. Maintenant que nous connaissons le set de cette tournée par cœur, on se plaît à voir l’artiste aux prestations à la fois touchantes et loufoques s’amuser toujours plus avec son public. De trolls de drops en improvisations dans des bains de foule légendaires, on sortira de cette heure de live transi·es, convaincu·es que la chaleur humaine que dégage microsono sur cette tournée reste l’une des plus belles émotions que nous ayons ressentie en concert depuis des années. À leur façon, ce sont aussi les Belges de Glauque qui nous auront donné des frissons à revendre dans le gris du ciel sous leurs mots tranchants. “On est tous voués à vivre”, répète Louis sur scène comme il le chante dans notre casque depuis 2020 à travers des textes pointus sur des productions planantes. 

© Louis Comar – Flavien Berger

Du côté des grandes scènes, le concert ensoleillé d’Altin Gun remporte le franc succès que mérite ce groupe. Le rock anatolien de cette bande internationale aura transformé la pelouse de Saint-Cloud en dancefloor géant. Il est effectivement très difficile de ne pas succomber aux rythmes chaloupés de la musique d’Altin GunQuelques heures plus tard, c’était aux New-Yorkais de Yeah Yeah Yeahs de remonter sur scène dix ans après leur dernier passage en France, pour proposer leur vision d’un concert de festival. Porté par une prestation XL de Karen O, entrant sur scène vêtue d’une magnifique robe chatoyante, puis prenant un tournant psychédélique avec des gros yeux gonflables de plusieurs mètres de haut rebondissant sur la foule, il n’a fallu que l’exécution parfaite des tubes du groupe pour faire de ce concert l’un des évènements majeurs de cette édition. On aura aussi remarqué la performance de Fever Ray, montant sur scène vendredi soir dans une nuit noire. Danseuses et choristes l’accompagnent, dans un show qui se veut hypnotisant, ponctué d’un lampadaire brillant d’une poésie douce prenant toute la lumière sur scène. Elle nous balade, de douceur en tempêtes, jusqu’à un Carbon Dioxide explosif qui donne une toute autre mesure à la fin du show. 

Garder un ADN toujours rock 

Le dernier jour du festival, lorsqu’on se dirige vers la scène du Bosquet en se disant qu’on va voir le début du set de Youngfathers pour ensuite assister à la fin de celui de Wet Leg, rien ne présageait qu’on s’y retrouve coincé·es. Et pourtant, la prestation et l’instant sont tels qu’il nous suffit d’un regard échangé pour se dire qu’on vit là le meilleur moment du festival. Si le concert commence sous un soleil brûlant, charisme et interprétation s’entremêlent très vite à une pluie battante sous laquelle la foule enfile quelques k-ways et danse avec une énergie décuplée. Au cœur du moment, on retiendra particulièrement un I Saw puissant et humide, qui nous laissera le goût d’un rite partagé avec les festivalier·ères autour de nous. Ce rite de l’expérience collective qu’on recherche tant en concert se décuple par la foule qui se presse dans les festivals. Cela a ses inconvénients, mais quand une foule partage un moment de grâce, il n’y a pas beaucoup d’autres sensations qui s’approchent de la lévitation qui s’ensuit. On repartira du concert de Youngfathers en marchant sur l’eau, littéralement aussi.

© Victor Picon – Youngfathers

On retrouvera cet effet avec d’autres pépites nouvellement repérées, notamment les Marseillais de Social Dance et les Rochelais de The Big Idea. Si les uns brûlent et énergisent toutes les scènes de France depuis des mois d’un show résolument dansant qui résonne de leur Parler désormais repris sur toutes les lèvres, les seconds n’ont rien perdu de la superbe et des orchestrations qu’on leur avait découvert aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel en 2021. Partageant un grain de folie contagieux, on prend chaque fois plaisir à les redécouvrir.  Le concert de Foals, connu pour l’énergie de feu follet de Yannis Philippakis, tient quant à lui toutes les promesses d’un de ces moments de communion. Si l’on ne pourra pas s’empêcher d’en vouloir un chouïa au public de Rock en Seine de ne pas avoir su se relever au bon moment sur le doux Spanish Sahara – on aura perdu ce moment libérateur dans les limbes d’une foule trop hâtive – les tubesques Mountain At My Gates, My Number, ou encore l’incandescent What Went Down mettent tout le monde d’accord et poussent Yannis Philippakis au bain de foule. Reprenant leurs anciens morceaux (dont le génial Two Steps, Twice) mélangés au répertoire désormais très large du groupe, Foals offre un concert pop-rock d’une envergure qui n’a d’égale que leur talent.

© Olivier Hoffschir

Au rang des plus belles surprises du festival, on placera Girl in Red, qui livre un set empli de bienveillance, mais surtout bien plus rock que ce à quoi l’on s’attendait, faisant décoller les pieds des festivalier·ères sans relâche, et terminant même son dernier morceau dans un slam qui restera dans les mémoires. Depuis, on n’écoute plus i wanna be your girlfriend de la même manière, dont le refrain qui résonne encore des voix des milliers de personnes qui l’ont repris en cœur autour de nous jusqu’à faire s’hérisser nos poils. Des moments marquants tout au long du festival, depuis son ouverture par Lucie Antunes, dans un set définitivement convaincant par sa folie et son audace, jusqu’au dernier où Snail Mail sur la grande scène portera sa guitare rock et ses fabuleuses chansons adolescentes. 

Il suffit que les artistes y mettent du cœur et proposent un show en accord avec les idées du groupe pour que tout le monde soit emporté par la cohérence de ce qui est présenté. C’est exactement ce qu’aura proposé Boygenius. Le supergroupe composé des stars de l’indie-rock Phoebe Bridgers, Lucy Dacus et Julien Baker, était attendu comme la rédemption par certains fans, et elles n’ont certainement pas déçu. Portées par leur chansons géniales, leur énergie sur scène et une amitié solidaire, elles montrent que le rock ce n’est pas qu’une affaire de bad boys en blousons de cuir (n’est-ce pas Julian ?), mais qu’il permet aussi de revendiquer des valeurs émancipatrices par la joie et l’amour partagés. La vision de l’éternité que nous aura offert Satanist nous fera dès à présent rendre tous les hommages nécessaires aux temples du rock pour que Boygenius assure désormais une performance dans toutes les grandes fêtes du sabbat rock and roll. 

© Louis Comar – Boygenius

Cultiver son esprit punk jusqu’à l’année prochaine

Au rayon des esprits décalés, on aura adoré découvrir enfin Jan Verstraeten sur scène. De folie en folie, le Belge nous emporte en un claquement de doigts par son look et ses gestes rappelant le grand maître Warhaus. Jouant avec son pied de micro, nous présentant Daisy, son siège de piano en forme de lama, semant sur le public des confettis roses tout droit sortis de ses poches, et finissant par danser sur scène avec un ours géant, rien ne l’arrête alors qu’on décolle direction son monde qui a l’air beaucoup plus fun que le nôtre. La veille dans la nuit noire, on file délibérément pousser la porte de celui d’Ada Oda, qui envoie concerts après concerts nos talons en lévitation. Alors que Victoria, au chant, s’autorise un bain de foule dès le premier morceau et nous dit en riant “on s’appelle Ada Oda et on n’est pas du tout Italiens”, on se dit que les Belges ont du talent.

© Olivier Hoffschir – Jan Vertraeten

Un quatrième jour de festival n’est jamais facile à vivre pour un·e festivalier·ère. Si nos pieds et nos genoux avaient décidé de bouder, Amyl & The Sniffers les auront réveillés. Dans une tornade d’énergie punk, Amy balaie tout sur son passage, y compris notre souffle. Impossible d’en détacher notre regard tant elle hypnotise et suscite l’admiration. Dans la même veine, Uzi Freyja prend possession de la scène du Bosquet jusqu’à soulever la poussière du parc au-dessus de nos têtes entre deux prises de parole appelant au respect des femmes. Du rock au hip-hop, deux queens à leur manière.

© Louis Comar – Amyl & The Sniffers · Olivier Hoffschir – Uzi Freyja

En parlant de punk, s’il nous tardait de découvrir Viagra Boys sur scène, on ne s’attendait certainement pas à se faire envouter autant par l’effet Sebastian Murphy. Torse nu, couvert de tatouages, lunettes de soleil noires et cigarette au bout des doigts, on retiendra entre autres sa manière de gesticuler et sa performance incroyable sur Return To Monke – devenu depuis notre hymne aux jours de rage. Du côté du post-punk, le concert à retenir était sans aucun doute celui des Irlandais de The Murder Capital. Devant 15 000 personnes en plein après-midi, les rythmes effrénés de Don’t Cling to Life ont soulevé la poussière et projeté corps et âmes dans tous les sens, soufflés par la tornade post-punk qui ne cesse de s’abattre sur l’internationale du rock. Vu le plaisir pris par le groupe, on ne pouvait qu’être heureux·ses de ce public de connaisseur·euses fidèles qui se presse à Saint-Cloud chaque année. Une partie de ce public s’est d’ailleurs retrouvé pour célébrer un autre groupe de cette mouvance sonore qu’est Dry Cleaning. La très intense Florence Shaw aura gardé son timbre monocorde pour tenir la tension si particulière que proposent les morceaux du groupe. Génial en live, le groupe s’impose comme le plus talentueux quand on en vient au spokenword. Gary Ashby ou Magic of Meghan restent de purs joyaux à observer sur scène. 

© Olivier Hoffschir – Viagra Boys

N’oublions surtout pas le meilleur combo Club Avant Seine aperçu sur la scène Ile de France : DITTER, Théa et Bracco auront défié les plus grand·es sous cette tente bien trop petite pour sa programmation pointue. À grands coups de cônes de chantier, Ditter retourne la foule à l’aide de slogans et d’éclatants “lalala” repris en chœur comme on aurait rêvé pouvoir chanter les tubes des Strokes le lendemain. Il n’aura fallu que peu de temps à Théa, quant à elle, pour faire décoller le petit monde entassé devant la scène, y compris nous-même. Notre étonnement ira à la fièvre de Bracco qu’on découvre ici sur scène en prenant une belle petite claque – de celles qui font plaisir et rappellent que le live reste parfois une entrée en matière alléchante dans l’univers d’un groupe.

© Zélie Noreda – DITTER

Évidemment, nous gardons le meilleur pour la fin. Voilà une belle grosse claque en placoplâtre, par le seul groupe qui n’aura pas juré avec la déco de toujours aussi mauvais goût de la scène Firestone. L’humour grinçant de Dalle Béton nous fait un bien fou dans un festival tout de même très calibré. C’est une bonne chose que tous les sets soient chronométrés à Rock en Seine, mais quand un groupe comme Dalle Béton rajoute du rab, malgré une régie dépassée cherchant à les arrêter, on ne peut que sourire et en redemander. Le groupe qui affirme être là pour représenter les métiers du bâtiment, le fait avec panache. En parallèle d’un set new-wave, un apprenti maçon coule une dalle de béton tout en haranguant la foule. Les chansons anti-Macron s’enchaînent alors que la ministre de la Culture s’enjaille au buffet VIP. Entre 49.3, CPF, du Cash pour les Fumiers, et Bouffe Ton Compost, l’énergie punk des Bretons souffle tout sur son passage. Dans les interludes, le groupe interpelle les Parisiens et leurs petites vacances en Bretagne, parle d’un aménagement à venir dès le lundi matin où ils vont venir couler une belle dalle sur la plaine du parc de Saint Cloud, et s’octroie un beau moment de soutien aux Soulèvement de la Terre ; dont la dissolution voulue par Gérald Darmanin vient d’être suspendue par le Conseil d’État. On reviendra voir Dalle Béton en concert, c’est sûr. Et pourquoi pas encore à Rock en Seine ?

© Olivier Hoffschir – Dalle Béton

Cette édition aura donc tenu de nombreuses promesses, en partie celle de montrer que les femmes méritent une bien plus grande visibilité sur les scènes musicales et surtout sur celles du rock. Quand elles sont entendues, leur message peut résonner bien plus que ceux des groupes masculins, empêtrés parfois dans leur petit égo de coquelet, au point de pourrir un concert attendu par des milliers de personnes (les Strokes on vous voit !). On retiendra toujours que la vigueur du rock s’entretient et se propage, se relance, se mélange à d’autres genres musicaux, et se réinvente chaque année. Au vu de tous les groupes encore jeunes que l’on a vus à Saint Cloud, on a hâte de découvrir ce que ces générations vont faire d’une définition du rock qui n’a plus beaucoup d’intérêt, mais qui montre que la musique a la puissance d’être une voie vers l’émancipation. 

Une chose est sûre, c’est qu’on sera au rendez-vous à Saint Cloud l’été prochain.

© Olivier Hoffschir

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