À la découverte des contrées électroniques de Nascaa
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Auteur·ice : Paul Mougeot
18/03/2024

À la découverte des contrées électroniques de Nascaa

Entre le son et l’image, Nascaa refuse de choisir. Et pourquoi s’en priver, quand on a le pouvoir de faire naître des univers entiers à la force du poignet ? Avec son premier EP, Vibrations, le jeune artiste fait émerger des paysages imaginaires et des émotions bien réelles, qui participent de ces contrées électroniques qu’on vous propose de vous faire découvrir aujourd’hui. 

La Vague Parallèle : Hello Nascaa, comment ça va ?

Nascaa : Très bien, je suis soulagé de sortir ce premier EP. Ce sont des morceaux sur lesquels je travaille depuis longtemps, qui ont eu de nombreuses formes différentes, donc je suis content de les voir enfin sortir. J’ai déjà reçu des retours vraiment cool de personnes qui ont vraiment été embarquées par la musique, je suis ravi.

LVP : Est-ce que tu pourrais te présenter pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

N : Je m’appelle Sébastien, je fais de la musique sous le pseudonyme Nascaa. Ma musique est souvent qualifiée d’electronica mais elle est aussi nourrie par beaucoup d’autres influences : techno, IDM… Mon projet est aussi très influencé par la musique à l’image et c’est quelque chose que j’ai voulu assumer davantage sur cet EP. J’avais tendance à me brimer sur mes sorties précédentes et là, j’ai poussé cet aspect à fond avec de l’alto, des cordes, un côté très épique parfois.

LVP : Ce nom, Nascaa, m’évoque bien sûr l’Amérique du Sud, qu’on sait très importante dans ton cheminement personnel, mais aussi un certain bagage culturel, mythologique et même graphique qu’on retrouverait dans ton projet. En termes de graphie, il me rappelle aussi la Nausicaä de Hayao Miyazaki. Qu’est-ce que tu y projettes, toi, dans ce nom ? Comment est-ce que tu l’incarnes ?

N : J’ai choisi ce nom parce que j’ai vraiment décidé de me lancer dans ce projet quand je travaillais sur un festival de musique au Pérou. Nazca, c’est une région du Pérou que j’ai orthographiée à ma façon. Je travaillais sur un festival de musique là-bas, j’avais pris de quoi bosser sur Ableton. Ça a été le point de départ de mon propre projet musical, c’est à ce moment-là que je me suis dit que j’avais envie de travailler de l’autre côté de la barrière.

Je suis content que tu y voies toutes ces références. Nausicaä et la Vallée du Vent, c’est mon Miyazaki préféré. C’est un film qui a quarante ans mais qui est tellement moderne ! C’est une fable écologique incroyable, ça me parle beaucoup.

LVP : Justement, tu viens de la musique à l’image auparavant, qui est vraiment un travail de l’ombre. Comment est-ce que tu t’es dit que tu allais franchir le cap et  porter un projet sur scène ? 

N : C’est vrai que ce sont deux choses différentes, mais dans mon cas, ça m’est vraiment venu en faisant de la musique à l’image. Je pense même que ce sont deux démarches qui peuvent se nourrir l’une et l’autre : quand on fait de la musique à l’image, on se met au service d’un projet, on travaille pour une commande et avec des contraintes. Ça pousse à sortir de sa zone de confort et c’est assez stimulant, ça booste la créativité. Et quand je travaille pour mon propre projet, je ne me mets aucune barrière, je fais vraiment ce que je veux. Ce n’est pas toujours facile, d’ailleurs, car l’industrie musicale telle qu’elle fonctionne aujourd’hui comporte un certain nombre d’injonctions pour rentrer dans telle ou telle playlist, pour rentrer dans telle ou telle case…

Souvent, quand je travaille longtemps sur Nascaa, je suis content d’avoir des commandes parce que ça me permet d’avoir un cadre et des contraintes qui me stimulent différemment. Et à l’inverse, quand j’ai beaucoup de projets de musique à l’image, je suis heureux de pouvoir revenir sur Nascaa ensuite, ça me fait comme une récréation.

LVP : Tu as déjà eu plusieurs expériences musicales auparavant, dans des configurations et des styles différents. Quel est le point de départ de ce nouveau projet ?

N : J’ai commencé la musique à 7 ans par l’apprentissage de la guitare classique à l’école de musique de Metz. J’en ai fait dix ans puis j’ai joué dans différents groupes de rock et ska punk pendant plusieurs années. Ensuite, j’ai pris un peu de distance avec tout ça et je suis revenu plus tard à la musique par la musique à l’image, en composant pour des films ou des documentaires.

J’ai vraiment eu un déclic en découvrant la MAO, qui m’a amenée à la musique électronique. C’est mon coloc qui me l’a fait découvrir en m’initiant à Ableton. J’ai immédiatement trouvé ça incroyable, ça m’ouvrait à une infinité de possibilités pour faire de la musique tout seul puisque je ne travaillais plus en groupe. Je me souviens même avoir ressenti un vertige face à tout ce qui s’offrait à moi, je trouvais ça vraiment exceptionnel ! C’était quelque chose de fort alors même que j’étais plutôt sceptique face à la musique électronique à l’origine.

LVP : On se retrouve aujourd’hui à l’occasion de la sortie de ton premier EP, Vibrations. Est-ce que tu peux nous parler de sa conception, de sa création, de son histoire ?

N : Je crois que cet EP tire son origine du déconfinement. Ça se ressent beaucoup dans son atmosphère et dans les émotions qu’il véhicule : c’est un disque qui est très lumineux, très libérateur. On m’a beaucoup rapporté qu’on y ressentait comme une tension qui se libère. C’est quelque chose que je n’avais pas intellectualisé au moment de sa création mais avec le recul, je pense que ça correspond bien à mon état d’esprit à cette période-là. J’avais commencé à travaillé sur ces morceaux puisque je les avais mis de côté pendant un moment parce que je n’en étais pas entièrement satisfait. La base de ces cinq morceaux a été composée très rapidement, en moins d’un mois, mais j’ai mis un certain temps à les retravailler. J’ai toujours beaucoup de mal à accoucher d’un morceau parce que je trouve que ce n’est jamais assez bien donc ça a été une vraie épreuve. En plus, je fais le mixage moi-même, j’ai dû en faire dix versions différentes… J’ai aussi voulu prendre le temps de travailler la cohérence qui lie ces différents morceaux. C’est ce qui est le plus difficile, de mettre autant de temps à sortir un morceau, parce que tu évolues beaucoup entre le moment où tu commences à travailler dessus et le moment où il sort. Surtout à cette époque où tout peut aller très vite, c’est frustrant quand ça prend autant de temps.

Souvent, mes morceaux partent d’une émotion. J’essaye de ne pas intellectualiser cette émotion, de la conserver brute et spontanée tout au long de mon processus de création. Je m’astreins même parfois à des périodes de “disette” pendant lesquelles je ne compose rien, pour parvenir à un trop-plein émotionnel qui va m’aider à créer ensuite. Ça me permet d’exprimer ces émotions beaucoup plus facilement. J’essaye d’accéder à cet état que tout le monde recherche, dans lequel tu oublies que tu composes et où tu crées sans réfléchir, de manière fluide et spontanée.

LVP : J’ai l’impression que ce premier EP travaille les contrastes, entre l’ombre et la lumière, l’organique et l’électronique… Est-ce que c’est comme ça que tu l’as imaginé ? 

N : Complètement, je suis content que tu l’aies perçu. J’aime beaucoup cette idée d’ombre et de lumière. Je voulais qu’il y ait un véritable cheminement narratif, une histoire qui fait vivre différentes émotions tout en conservant la même esthétique, avec une vraie cohérence entre chaque morceau.

LVP : Cet EP porte effectivement en lui quelque chose de narratif, avec un début et une fin qu’on ressent à travers l’évolution des morceaux, des ambiances et des textures. Qu’est-ce qui te vient en premier à l’esprit, les images ou les sons ?

N : Je n’ai pas de récit en tête à l’avance. C’est quelque chose que je trouve hyper intéressant et je suis assez admiratif des gens qui parviennent à composer de cette manière, mais ce n’est pas mon cas. Je n’arrive pas à penser ou à composer en termes de concept. Les maquettes m’ont permis de dessiner quelque chose et c’est vrai que Vibrations s’est imposé comme un son d’ouverture et Exit comme un son de sortie. Ce sont des choses qui sont venues spontanément.

LVP : On retrouve aussi dans ta musique une sorte de compromis entre un registre assez savant fait de polyrythmies, d’influences pointues et un côté beaucoup plus populaire avec ce côté cinématographique qui est plus abordable et qui permet à chacun·e de s’y projeter facilement. Comment est-ce que tu te situes là-dedans ?

N : Ça me fait plaisir que tu voies ça parce que c’est clairement ce que j’essaye de travailler. Je ne sais pas si c’est conscient, mais j’aime bien qu’on retrouve dans ma musique une influence un peu plus fouillée, un peu plus cérébrale, qui porte une attention particulière aux rythmes et aux textures. Et en même temps, j’aime aussi que l’émotion se ressente immédiatement dans mon travail, qu’elle puisse parler à tout le monde sans détours. Je suis content si on ressent les deux.

Je pense que ça correspond aussi à mon processus créatif : je pars souvent d’harmonies assez simples, presque pop, que je complexifie ensuite et auxquelles je vais apporter des textures et des nuances. Ça me touche que tu aies ressenti tout ça parce que les projets qui me parlent le plus sont des films ou des musiques que tu vas revoir et dans lesquels tu vas repérer de nouvelles choses à chaque fois, qui vont te faire ressentir de nouvelles émotions… Ces œuvres, je les perçois presque comme des endroits, des lieux où on aime retourner et où on découvre de nouvelles choses, qui vont nous toucher différemment.

LVP : Le clip de Shadows reprend beaucoup d’éléments importants de ton identité artistique : ce côté rêveur et mélancolique, cette dimension cinématographique et le lien à la ville de Metz, dont tu es originaire. Est-ce que tu peux nous en parler davantage ?

N : Oui, je crois que ce clip me ressemble beaucoup. J’ai travaillé avec Thibaut Collin et Stéphane Pitti, des réalisateurs messins, pour créer quelque chose d’assez rêveur, qui laisse libre court à l’interprétation, avec un côté contemplatif également. C’était important pour moi que ce clip se déroule à Metz, je me suis toujours dit qu’il y avait quelque chose à faire avec les couleurs du centre-ville qui sont vraiment particulières et propres à la ville. Et comme on était une toute petite équipe, il y avait quelque chose d’assez familial qui m’a beaucoup plu.

Le lien avec la danse s’est fait naturellement : quand je travaille, j’imagine souvent des gens qui dansent sur ma musique. C’est paradoxal parce que ce n’est pas du tout de la musique de club, mais c’est vrai que j’ai toujours en tête cette image de danse lente, contemplative. C’est une des premières idées qui m’est venue quand j’ai voulu clipper ce son. Marie Laurain, la danseuse, a vraiment fait un travail incroyable pour restituer cette notion de danse introspective, d’une personne qui est perdue dans ses pensées et qui les exprime à travers ses mouvements. D’ailleurs, pour préserver ce côté spontané dans sa danse, elle a écouté le son quand on a fait les premiers essais puis elle ne l’a plus écouté du tout jusqu’au tournage. Toute sa prestation est improvisée.

LVP : Comment est-ce que tu t’imagines faire vivre ce projet sur scène ?

N : Je retravaille beaucoup ma musique pour la faire vivre sur scène. Je fais quelque chose de beaucoup plus techno en live, parce que c’est quelque chose que j’aime beaucoup voir sur scène aussi. Ça monte vraiment en intensité. J’aime aussi me laisser une part d’improvisation pour ne pas refaire la même chose à chaque fois. J’ai construit une configuration qui me permet d’avoir complètement le contrôle sur ce que je fais en live : je peux faire durer un morceau pendant trente minutes, faire quelque chose de plus planant ou de plus techno… Je veux toujours apporter une plus-value au morceau.

LVP : Côté studio, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

N : Je suis en train de travailler sur un deuxième EP qui est presque terminé. J’ai énormément de morceaux sous la main parce que j’ai composé quasiment pendant deux ans sans m’arrêter. Je suis en train de prendre un peu de recul par rapport à ça pour voir ce qui en ressort et sélectionner ce qui sortira prochainement.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu as une découverte musicale récente à partager avec nous ?

N : J’ai beaucoup aimé le dernier album de Mount Kimbie. Et sinon, en termes de musique électronique, j’ai découvert un artiste qui s’appelle Oxy, que je trouve vraiment excellent.

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