Accepter l’ambivalence des choses avec Urde
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Auteur·ice : Charly Galbin
06/12/2023

Accepter l’ambivalence des choses avec Urde

« C’est Maintenant ou jamais » répond Le Rat Luciano au « vivement que ça aille » de Sat l’Artificier. Comme la Fonky Family en 1998 dans ce morceau dont il a pris le titre pour son nouvel EP, Urde a choisi de se confronter au réel, contre espoirs et structures sociales défavorables, pour avancer. Cette route vers soi-même est incertaine, mouvante comme la neige ou le sable, et ne donne même pas l’assurance d’un point d’arrivée enviable. Qu’importe, ce chemin qui nous voit aimer et souffrir, fier et troublé, il faut nous y imaginer heureux. Sur un son émouvant et singulier, le Bruxellois dépeint sincèrement cette apaisante prise de conscience : sans l’ombre point de lumière. C’est ambigu, c’est la vie – la musique d’Urde en déborde. 

« Paraît qu’à un moment la haine passe… » C’est avec ces points du suspension empreints d’une espérance sceptique qu’Urde concluait Thérémine, dernier morceau de son EP précédent. En quelques mois, l’artiste semble avoir encore fait du chemin dans son exploration de lui-même. L’extrait d’un discours de George Bataille sur le trouble qui ouvre Maintenant ou jamais est suivi d’un sentiment du rappeur, désarmant de sincérité, d’apparence évident jusqu’à ce qu’on le ressente vraiment : « ma colère je la pensais contre eux, j’ai compris qu’elle était Contre moi ».

On saisit d’emblée qu’à l’image de l’auteur de L’expérience intérieure mis en exergue du morceau, la musique est autant pour Urde un moyen de raconter ses grands problèmes qu’une solution d’y remédier, d’atteindre l’impossible apaisement. Cette franchise on la trouvait déjà dans Faire des vagues, où le radeau tanguant représentait cet effort d’avancer contre vents et marées.

Un humanisme rare forcément identificatoire qui rendait ce court projet aux clips léchés complètement addictif. Un geste radical qu’on trouvait aussi dans son inventivité concernant le sort à offrir aux politiques et autres managers : les flammes, les oubliettes ou les cornes de vache d’Hérens. Bref, pas l’once d’un compromis pour l’ingé son actuellement bruxellois mais qui connait aussi les froids de l’Auvergne et de la Suisse, si ce n’était avec Faire des vagues, celui de se professionnaliser davantage.

Dans ce nouveau projet, Urde nous en dévoile davantage de sa lutte interne. L’ambient introductive semble alors nous faire plonger de la barque et l’on découvre un abysse aquatique où on se sent léviter tranquillement dans les profondeurs de l’esprit de l’artiste. Là on comprend son réflexe primaire d’éviter la confrontation au réel, celui-là qui fait mal, moche et incertain et qui n’aboutit qu’aux déceptions du non-sens et de l’imperfection.

Images du clip Carélie réalisé par Léo-Paul Joseph

Mais les extraits de ses potes heureux de sa réussite ainsi que cette fragile petite note euphorique semblant sortir de la bouche bienveillante d’un dauphin nous font dire qu’à un passé mortifère se substitue petit à petit le retour d’une force vitale. Urde prend le chemin en l’absence d’issue certaine, comprenant que la beauté se situe dans ce seul effort d’avancer. Et dans la reconnaissance des présentes joies, là et palpables, comme l’amour ou la bonne bouffe, à l’image d’okis, que d’ailleurs il s/o. Le mix laisse de la place à la voix sur cette prod discrète, et on se dit qu’Urde a définitivement décidé de s’affirmer, Maintenant ou jamais – détermination qui s’affiche jusque dans le nom de son label.

 

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« J’aime mettre la tête entre ses jambes ». D’un coup de langue, le spécialiste de la première phrase accrocheuse vient couper cette solennelle et d’abord orageuse prod d’Elle est où ? orchestrée par Seak (SCH, Gen, Houdi…). Belle et contradictoire comme un coucher de soleil, celle-ci se laisse dompter en alchimie par le flow un peu nonchalant d’Urde. À moins que ce ne soit sa voix semblant prendre sa source dans l’amertume qui donne à tout ce qu’il chante cette mélancolie vraie de celui qui est trop conscient des mauvaises choses de ce monde. L’appropriation du communisme par le PCF, l’injustice ou la froide détermination d’être ce que nos parents nous ont fait et mal fait. La liste est non-exhaustive.

Mais Urde ne s’inquiète plus de voir le soleil se lever le lendemain. Un semblant de sourire reflète les yeux de son amoureuse, et le rap, aussi, « le plus bel art mon frère », dont il cache difficilement son aigreur de certains de ses représentants. Car n’en déplaise à la facile binarité qui enkyste nos esprits, on peut aimer et haïr. On peut détester le monde dans lequel on vit mais nous en sommes. Alors on peut choisir la vie, la sienne, aimer et s’accomplir.

Sans oublier, donc, de baiser « Les Lafarges et les Dassaut ». S’il y a bien une haine qui ne doit pas passer c’est celle-là. Celle de soi se règle dans la philo et chez le psy, que l’artiste cite souvent dans une transparence libératrice, aussi conscient que s’il a le luxe de se poser 1000 questions, c’est parce qu’il vit dans un certain confort.

Fleuves propose ainsi une musique beaucoup plus rageuse et angoissante sur laquelle se déversent les Detroit flow successifs d’Urde, du Québécois BELLEZILE et du Bruxellois ozkar, d’ailleurs aussi responsable de cette cover à la couleur si vivante qu’à sa moindre vue on a envie de cliquer dessus.

On garde le gros beat et on rajoute des violons dramatiques : Bizarre. Sous une pluie de 808 Urde a l’air de se lâcher plus qu’ailleurs. Le rappeur fait rebondir ses vérités dans un rythme effréné, son ironie adoucissant difficilement sa haine, qu’elle soit dirigée vers France Inter ou un mauvais rap. Il peut admirer les cendres de ce dernier le sourire en coin, car si ce rap interprété en playback se meurt, le sien se révèle, depuis ce cadavre, d’autant plus authentique.

On trouve une belle synthèse de ce qu’est Urde avec Single. Musicalement, l’ingé son dont le nom figure à la composition de quasi tous les morceaux est de nouveau associé à Seak. Ça donne une prod jazzy : basse qui groove, drum frénétique. On a l’impression d’être dans le sous-sol d’un bar populaire d’un autre temps mais en 2023. C’est sur un tourne-disque parfaitement moderne qu’on aurait envie d’exploser à l’écoute de cette cloche maléfique que matérialise la prononciation du mot « église ».

Dans le texte, Urde livre joliment une fuite que beaucoup prennent : « J’fumais cette merde inconsciemment, j’voulais tout effacer. Une prison pour une autre, personne s’est évadé. » Cette prise de conscience a surement à voir avec l’envie de rouvrir les yeux sur ce qu’on est et ce qu’on a, pour améliorer le premier et chérir le second. Humain trop humain, Urde malgré sa haine ne transige pas sur l’amour à apporter à son prochain, s’inspirant du meilleur des textes sacrés.

Mais tout ça alors qu’on n’a pas encore évoqué les deux meilleurs morceaux de l’EP. Sur Réapparaitre, les frissons se substituent au beat. « On ne peut pas émouvoir sans que le trouble soit en jeu » dit Bataille. Troublé comme Urde qui fume le cannabis comme pour mourir socialement. Émouvante comme cette prod qui dit la pluie averse, la mélancolie de laquelle on a envie de se tremper. Un son qui musicalement touche juste à la pesanteur des questionnements internes, à la fragilité, en même temps, de la beauté de pouvoir se les poser.

Ce son c’est le renouveau, ce sont les chœurs présents, c’est une libération, un sac à dos délesté du poids du perfectionnisme et du regard de l’autre. C’est Cioran et Jésus, la philo, la psycho et la religion réunis. Ce morceau est si l’on s’emporte, une bénédiction pour le rap, un vitalisme sincère et imparfait, c’est un bon conseil, ça fait du bien.

Images du clip Thérémine réalisé par Léo-Paul Joseph et Vincent Jelinek

Comme parfois dans la vie, l’euphorie chasse le calme sur la prod plus vivante que le sang de Maintenant ou jamais. Sur cette basse ronde sur laquelle on a envie de poser l’oreille comme sur un oreiller se joue la réconciliation, celle d’Urde avec lui-même. « Gros j’ai pas tout réglé, on se sauve comme on peut ». Tout est gris, tout est équilibre nous dit-il. Entre l’ombre et la lumière. C’est pas aussi sexy qu’un livre de développement personnel nous promettant la disparition de la souffrance. On n’a de choix que de l’accepter. Reste la vie que pourrait matérialiser cet instrument inconnu d’une douceur incomparable, qui nous fait mécaniquement fermer les yeux de contentement. S’accomplir et se contenter, avec la musique d’Urde et de la FF, car « même angoissés par l’avenir et les sous : on aime nos vies de fous ».

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