Il est de ces concerts qui sonnent comme des rendez-vous. Figure montante et désormais incontournable dans la constellation pop française, Gaétan Nonchalant a le don de nous faire vivre des instants hors du temps. C’est donc avec une impatience peu mesurée que nous attendions sa release party qui a eu lieu hier soir à Petit Bain, aux côtés de Michelle Blades et Grand Veymont, que l’on se réjouissait de retrouver. L’occasion pour nous de revenir sur le premier album de notre chansonnier préféré, un disque plein de promesses qui nous berce depuis quelques mois déjà d’une douce lumière.
Alors que septembre sonnait ses dernières heures, Gaétan Nonchalant partageait son Changement de programme, un premier disque accompli, qui s’inscrit dans la lignée de son ep Tout ça pour ça, sorti en 2020. On y découvre et retrouve avec joie quelques titres désormais cultes comme les Plages du Nord, Les Légumes, La Bérézina ou Les Humains, un morceau que l’on avait pu découvrir en live, et que l’on se plaisait à réécouter grâce à un concert capté à la Gaité Lyrique, attendant impatiemment sa version enregistrée.
Du rock psychédélique seventies aux sonorités nineties, en passant par le folk dont la guitare acoustique, l’harmonica et les textes marquent la filiation, nombreuses sont les inspirations que l’on retrouve sur ce disque. Parcourant les territoires sonores et géographiques, Gaétan Nonchalant établit une cartographie pop qui nous transporte de la France à la Californie, des bancs de l’école aux plages de Normandie. Le spectre des États-Unis semble d’ailleurs se glisser jusque sur la pochette, réalisée par Rémy Poncet, artiste aux multiples facettes, connu sous le nom de Chevalrex et fondateur du label Objet Disque sur lequel l’album est sorti. Largement psychédélique, la pochette met en avant une photo du chanteur prise par Michelle Blades, faisant penser aux portraits dagguéréotypes, longtemps en vogue dans le mythique pays. D’ailleurs, si l’album a été enregistré aux quatre coins de la France, il a été mixé au Stones Throw Studios à Los Angeles par Jake Viator qui officie aussi aux côtés d’artistes prolifiques tels que Connan Mockasin, Mild High Club ou Sofie Royer. Changement de programme est donc l’écrin d’une somme d’influences que Gaétan fait siennes et dont la maturation donne résultat à une empreinte pop folk psyché tout à fait spécifique. En esthète, il n’a de cesse de chercher, d’expérimenter, d’explorer, créant ainsi un univers unique.
À la manière de Ryūichi Sakamoto qui comparait la musique à “un exercice de sculpture dans le temps”, Gaétan Nonchalant construit ses morceaux par couches et suite d’éléments qui se superposent, s’entrechassent et se répondent. Ainsi, guitares, piano, batterie, basse et voix s’entremêlent et portent conjointement la majorité des titres, tissant une véritable charte esthétique, complétée par les ornements sonores qui la magnifient. Qu’il s’agisse des solos de guitare acérés et efficaces de Plages du Nord et Programme TV, des chœurs de Michelle Blades sur Les Légumes ou de l’apparition inattendue d’une flûte à la fin de Salle d’attente, Gaétan compose ses chansons en relief et déclinaisons de textures, faisant ainsi preuve d’une véritable inventivité mélodique.
Celle-ci se retrouve par ailleurs dans le choix d’un instrumentarium très riche. À travers ce disque se retrouvent et se lient batterie, percussions, basse, voix, piano, wurlitzer, synthés (dont les modèles analogiques Korg Pe-1000 et Juno 106) mais aussi mellotron, saxophone, guitares, harmonica… Au-delà de la précision de certains claviers spécifiques, on retrouve des instruments plus surprenants comme la guimbarde, jouée par Thomas Subiranin. Cette diversité instrumentale donne à voir l’étendue des connaissances de notre chansonnier, qui n’a de limites que celles de sa créativité.
Au-delà de cette science de l’ornementation, le talent de composition de Gaétan se reflète également dans la solidité de ses chansons pouvant être jouées de manière dépouillée, en guitare-voix, sans pour autant perdre leur efficacité.
Changement de programme ne semble pas être un titre choisi au hasard mais s’apparente davantage à une ligne directive, un fil d’Ariane tissé tout au long du disque. Baigné de douceur et de lumière, l’album se révèle en réalité dans une pluralité de tons et nous offre une palette nuancée. On passe ainsi de morceaux enjoués comme Les Légumes ou Plages du Nord à des chansons plus intimistes comme L’Amour est là, côtoyant même la mélancolie sur Porte ouverte.
© Michelle Blades
Outre les couleurs sonores, cet art de la nuance parcourt les thèmes et les textes du disque. Si seulement, Les Humains, Programme TV, chaque morceau porte un titre court et simple, ce qui confère à l’album une apparente familiarité, renforcée par la légèreté apportée par des morceaux comme Les Légumes ou La Bérézina. L’opus par l’absence de postures apporte une certaine fraîcheur et simplicité qui se jouent dans le choix des sujets : l’observation de nos réalités tangibles et partagées. Pour parler de la musique de Gaétan, on pourrait emprunter à la réalisatrice Alice Rohrwacher cette phrase :
Ce n’est pas la peine de chercher le paradis ailleurs, d’aller dans les étoiles pour être sur une étoile… Il faut modifier nos regards, pour chercher l’ailleurs ici et protéger le paradis de la vie terrestre.
Car oui, le chansonnier s’inspire du proche pour atteindre l’universalité. Dans la beauté de nos quotidiens, il puise son inspiration, affirmant ainsi son identité artistique, sa manière d’être au monde et de le regarder. Changement de programme se présente alors comme une invitation à vivre les émotions “comme des aventures” pour ressentir “le doux vertige de se sentir en vie”.
Gaétan n’est pas candide pour autant. Si certaines chansons nous happent par leur apparente humilité, on observe des modulations de registre qui balaient toute naïveté. La Bérézina à qui nous pourrions prêter des allures de comptine ou de chanson douce, marque une rupture par l’utilisation d’un registre familier, ce qui participe également à apporter plus de nuances et de reliefs à l’album.
Au-delà du jeu de langage, Gaétan Nonchalant n’hésite pas à explorer la palette des sentiments, de la missive amoureuse à l’ode végétale en passant par le souvenir douloureux de l’enfance. De l’ouverture de l’album à sa conclusion, le programme élaboré par le musicien est celui de la confession. Le recours aux chœurs permet d’ailleurs d’accentuer l’aveu. Dans Les Humains, ils donnent par exemple l’illusion d’une discussion intime entre amis autour du feu. Parlant de voix, le chanteur ose se mettre à nu vocalement sur certains morceaux tels que Salle d’attente. Mais la confession implique aussi une forme de sincérité, de laquelle le musicien ne se dérobe pas, avouant de ce fait dans Les Légumes qu’il voudrait “tout, tout de suite, le beurre, l’argent du beurre, une vie en profondeur, chaque minute de bonne humeur et du temps (…) pour aimer”. Gaétan Nonchalant n’hésite donc pas à puiser dans son intimité pour se livrer et dresser des ponts avec les auditeur·rices, allant même jusqu’à aborder des sujets aussi personnels que la déclaration amoureuse. Dans L’Amour est là, il chante le réenchantement amoureux avec une adresse franche et dépourvue de fioritures, à l’image de la simplicité sonore du titre, qui est par ailleurs le plus court de l’album. Mais il vaut mieux parfois aller à l’essentiel lorsqu’il s’agit d’amour.
En somme, comme son mentor Katerine avec qui il partage un duo sur le disque, Gaétan donne l’illusion de paroles simples mais qui revêtent en réalité une certaine profondeur. Tant attendu, leur duo sur Champs de blé fonctionne à merveille et fait la synthèse parfaite de leurs deux univers. Dans le vidéoclip, écrit et réalisé par Martin Schrepel, on retrouve leur ligne directrice commune : la simplicité première. Fidèles aux paroles, cette réalisation met en images le texte, comme on le découvre avec le premier plan ouvrant sur Gaétan les pieds dans l’eau, comme commence la chanson. Toutefois, derrière la facilité apparente de ce titre et de son clip, se cache une réflexion plus profonde, une philosophie de la vie et des relations.
Le chansonnier a donc ce pouvoir d’écrire et de composer des chansons qui nous touchent en plein cœur et donnent l’illusion de dépeindre nos propres réalités, comme avec le morceau Si seulement. Peut-être est-ce en partie ici que réside la magie de la musique : dans sa capacité à créer de l’intime dans l’universel, à devenir nôtre quand elle ne nous est en réalité pas adressée.
Ni volubile, ni taiseux, Gaétan Nonchalant a trouvé le juste équilibre entre voix et musique. Il nous touche par sa grande humilité, son doux regard porté sur la vie et ses chansons qu’il nous offre comme autant de mains tendues et de sourires complices.
Changement de programme est un album qui ne cesse de nous accompagner depuis sa sortie, et dont on se surprend à connaître les paroles par cœur. On pense par exemple au refrain de La Bérézina qui nous revient souvent en tête et que l’on a plaisir à retrouver sur scène puisqu’il donne lieu à des chœurs mémorables repris par le public, faisant de ce morceau une chanson pop et populaire dans son acception la plus noble.
Depuis sa sortie en septembre, ce disque poursuit son épopée, sur scène ou sur nos platines, et continue de nous réserver son lot de surprises, comme ce vidéoclip réalisé lui aussi par Martin Schrepel qui illustre avec humour le fantastique Programme TV partagé avec la mirifique Michelle Blades.
Avec ce premier disque hautement réussi, notre chansonnier préféré fait la part belle à une pop exigeante mais pas élitiste, réaliste mais optimiste confirmant ainsi un talent mélodique qui sublime un univers teinté d’humilité, de drôlerie et de sympathie.
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.
