JEWEL USAIN : OLGG, grand cru 2023
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Auteur·ice : Anne-Sophie Rasolo
29/11/2023

JEWEL USAIN : OLGG, grand cru 2023

Fin octobre, 2 ans après la sortie de Mode Difficile, Jewel Usain a publié son album Où les garçons grandissent. Sa première date affichait complet avant même sa sortie, et les raisons de ce sold out nous semblent évidentes : premièrement, cet album se compose d’un rap tannique en bouche et tendre au cœur. La seconde raison réside dans son art de l’approche : la compréhension et le temps donnent toute sa valeur à ce projet. Ajoutons à cela un sujet qui nous a particulièrement tenu à cœur, et on vous en parle ici.

Déjà arrivé·es au début de décembre et pourtant, le dernier album de Jewel Usain n’a pas fini de résonner entre nos murs. C’était le temps nécessaire pour découvrir, digérer et s’imprégner de ce grand projet. Chroniquer un album sur le tard, c’est aussi une façon de dire qu’il porte un souffle long, et qu’il a de la vie devant lui. D’une part, les vertus de l’échec sont visibles voire palpables, en ce qu’elles nourrissent l’humilité du personnage et son envie d’être toujours meilleur. D’autre part, il a creusé pour nous un puits d’émotions, qu’il semble avoir exploré de fond en comble pour servir son art, art que Béesau sublime par son apport musical déterminant. Enfin, son approche tout entière convainc : celle de la pédagogie et du dialogue autant personnel qu’universel, poussé dans l’écriture.

Le seum a pavé son expérience et la somme de remises en question devient science. L’artiste est entré dans un tunnel de travail de deux ans, pour aller de titres tels que T’es qu’une merde, morceau de son précédent album qui racontait ses échecs, à Je reste là, dont les lyrics et le final gospel éblouissent. En introduisant l’opus avec le morceau Compliqué, il clôt un cycle pour en ouvrir un autre. On ressent sans difficulté l’ambition et les moyens artistiques, mais surtout le temps d’apprendre, de comprendre et de construire sa pensée. Ainsi s’est bâtie une cohérence narrative et musicale tout au long de l’album. En outre, la sincérité se place au centre du projet. On peut citer l’exemple du morceau Poussière, qui n’oublie pas le but, les loves et la liberté, sans s’éloigner de la réalité d’un homme qui ne vivait pas encore totalement de sa musique. À cela s’ajoute la consistance d’un artiste : The Hustler’s book en est le témoin, l’écriture a plus de dix ans et cela s’entend.

Pourtant, le choix n’est ni à la remontrance ni à l’exhibition. Avec Béeseau, il s’est trouvé. L’harmonie qui s’en dégage est évidente. Leur collaboration a rendu le tout magistral, d’abord par le simple apport d’une instrumentalisation complète, étudiée, mais aussi par l’équilibre qui se joue, selon l’espace que la musique accorde au flow, ou l’inverse. Obligé d’évoquer Eleanor en featuring avec Prince Waly, et le mariage éloquent des basses et de la trompette.

Ce level up est diffus, de la prod musicale à la réalisation cinématographique du clip de Kidhao. La thématique de la mustang de 60 secondes chrono et les skits – qu’on peut définir comme une performance théâtrale à visée informative – glissés entre les morceaux, forment un scénario bien pensé autour de la question de la réussite et de la protection des siens, ou la capacité du storytelling si cher au rap. Dans une conversation avec son acolyte Kidhao, il parle avec justesse d’un besoin de démystification de l’homme protecteur et successful, et c’est sans doute ça qui nous a le plus accroché·es.

Le titre du projet – Où les garçons grandissent – nous avait prévenu·es, mais pas averti·es de la voie large qu’il cherchait à ouvrir. C’est là que Jewel Usain crée un gap avec tout le reste : en évoquant la masculinité dans OLGG, Grandir et Incapable, il émeut mais surtout rend le rap plus mouvant encore, il l’agrandit.

Dans le film Malcolm & Marie – qui est aussi un des titres du précédent album de Jewel, Malcolm se fâche de la critique qui cherche à politiser le propos du jeune réalisateur noir qu’il est. Il se demande alors : faut-il forcément être casé dans un discours politique, et identifié à travers cela ? Alors plutôt que de disserter sur le rap et la masculinité, on peut se contenter de saluer la mise à nu et le talent pour parler de son père, de son fils, et de toutes ces choses muettes, avec autant de délicatesse. Même si les punchlines pleuvent et qu’il n’y a rien de mieux que de vous laisser les découvrir par vous-mêmes, on a retenu ces lignes :

C’est pas notre genre d’être soft
C’est pas notre genre d’être weak
Même si le cœur hurle sous le pull il faut pas qu’il sorte
Il paraîtrait qu’il faudrait même l’enfermer sous le sweat
Mais c’est des conneries, Dieu soit loué
On est claqué pour dire ce qu’on ressent
Alors je vais m’assurer que mon fils soit doué

S’il fallait conclure, on peut se dire : faut-il connaître tout le rap et tout Jewel Usain pour comprendre son projet ? Oui et non. C’est un de ces albums qui peuvent à la fois exister par eux-mêmes, tant ils sont travaillés pour être audibles et appréciables en surface, et à la fois demander une attention démultipliée pour en saisir toutes ses subtilités et l’apprécier à sa juste valeur.

La justesse des mots, de son approche, notamment démontrée par son interview réponse aux fans, font du rappeur un artiste dans sa forme la plus pure, celle qui vise à éduquer sur le temps long et dialoguer, dans un travail qui demande de donner de sa personne, dont le process de création se veut dépourvu d’intentions qui ne seraient pas en lien direct avec sa musique. C’est tout cela qui fait de cet album un grand cru.

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